De la célèbre photo du soldat qui tombe à la renverse, fauché pendant la guerre civile espagnole et immortalisé par Robert Capa, à l’incendie de Notre-Dame saisi par le photographe parisien Patrick Zachmann, en passant par l’inoubliable portrait de Che Guevara par René Burri et les grands formats new-yorkais de Raymond Depardon, plus de 120 tirages dessinent sur les murs blancs de la galerie une frise chronologique qui s’étire des années 1930 jusqu’à aujourd’hui.
L’exposition s’intitule 70 ans de correspondances : Magnum Photos et Picto 1950-2020, mais l’histoire parallèle de l’agence et du laboratoire commence il y a près de cent ans, dans le Paris de l’entre-deux-guerres. A la brasserie du Dôme et dans les cafés du quartier de Montparnasse, se soude un groupe de photographes humanistes. Les uns sont nés aux portes de Paris, les autres ont fui la Hongrie ou la Pologne ; ils s’appellent Henri Cartier-Bresson, André Kertész, Brassaï, Robert Capa, David Seymour, Pierre Gassmann…
« Ils étaient tous à la fois photographes et tireurs à cette époque », explique Julien Alamo, vice-président de Picto New York. « Cartier-Bresson était excellent photographe et Gassmann était excellent tireur. » Le jeune homme, qui a étudié l’optique et la chimie à Berlin, a converti sa salle de bain parisienne en chambre noire et rince les tirages dans le bidet. En 1937, il développe les photos espagnoles de Capa et de Seymour : c’est vraisemblablement la première collaboration entre le futur fondateur de Picto et les futurs fondateurs de Magnum.
Le début d'une grande aventure
Après la guerre, Pierre Gassmann abandonne son activité de photographe pour devenir le tireur attitré de l’agence Magnum Photos, qui voit le jour à New York le 22 mai 1947. Il imprime les images du premier voyage de Cartier-Bresson en Chine et la série Enfants d’Europe de Seymour, reportage sur les enfants réfugiés réalisé pour le compte de l’Unesco dont plusieurs photos sont exposées dans le cadre de l’exposition. Le tireur travaille aussi avec les Nations Unies, l’Otan, le MoMA, les magazines américains Vogue et Harper’s Bazaar et le 12 janvier 1950, fonde le laboratoire Pictorial Service – que tout le monde appelle bientôt Picto – au 17 rue de la Comète dans le 7e arrondissement.
L’entreprise, qui comptait à son lancement six agrandisseurs, a étoffé son activité – impression numérique grand format, retouche technique, service aux marques et aux particuliers en ligne – et a ouvert en 2015 un laboratoire à Manhattan. Philippe Gassmann a succédé à son grand-père aux commandes de la maison et la collaboration avec Magnum se poursuit : en témoignent les photos de la Californienne Carolyn Drake, de la New-Yorkaise Alessandra Sanguinetti et de la Singapourienne Sim Chi Yin, qui représentent le dernier volet de l’exposition, intitulé « Demain ». « Ce qui se faisait hier avec des plumes et des masques dans une chambre noire se fait aujourd’hui sur Photoshop », explique Julien Alamo, « mais la complicité entre photographe et tireur reste inchangée ».
Le photographe prélève une emprunte du réel sur un ruban de film négatif ; le tireur, dans l’obscurité au sens propre comme au figuré, matérialise cette vision sur une feuille de papier photosensible. Une relation symbiotique admirablement décrite dans une lettre adressée par Henri Cartier-Bresson au fondateur de Picto en 1999 et reproduite dans l’exposition. « Pierre Gassmann est un grand entomologue qui a fixé et mis en valeur ce que nous, photographes, avons saisi dans nos filets à papillons. »
70 ans de correspondances : Magnum Photos et Picto 1950-2020
Du 29 octobre au 20 décembre 2020
Galerie Richard Taittinger, New York