Francophonie

Saint-Pierre-et-Miquelon, un confetti français en Amérique

Dans l’Atlantique Nord, à vingt kilomètres de Terre Neuve, les 6 274 habitants de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon vivent au rythme de Paris. La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon est un confetti de l’empire colonial français. Jusque dans les années 1990, la pêche était sa raison d’être, mais aujourd’hui, les insulaires misent sur leur « francité » pour relancer l’économie.
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© Patricia Detcheverry

Sur la place du Général de Gaulle, les drapeaux tricolores flottent toute l’année. Les gendarmes portent des képis, les plaques d’immatriculation affichent la lettre « F » et chacun s’exprime dans un français parfait. A 4 300 kilomètres de Paris, sur la même latitude que Nantes, les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon composent le territoire ultramarin le plus proche de la France métropolitaine.

Les Américains s’y sentent en France, les « mayoux » – expression locale pour désigner les métropolitains – aux Etats-Unis. Sur l’archipel, les bus scolaires sont jaunes comme en Amérique ; les maisons de l’île sont recouvertes d’un bardage de bois, peintes de couleurs vives et dotées d’un sas d’entrée isolant – le « tambour » – comme au Canada. Car le climat est rude : moins 15 degrés Celsius en hiver en minimale. Quand il neige à gros flocons, on dit qu’il « tombe des bérets basques ».

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© Patricia Detcheverry

Saint-Pierre-et-Miquelon dans la littérature

La brume qui enveloppe l’archipel pendant un quart de l’année lui vaut le surnom de « pays des ombres » dans les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, publiées en 1791 : « Ses côtes perçaient, en forme de bosse noire, à travers la brume […]. J’attendis qu’une rafale, arrachant le brouillard, me montrât le lieu que j’habitais, et pour ainsi dire le visage de mes hôtes dans ce pays des ombres. » Pour Louis-Ferdinand Céline, Saint-Pierre est « l’île-Reproche », « la plus pauvre et la plus désolée du monde ».

Parmi les écrivains inspirés par l’archipel, citons également Pierre Schoendoerffer (Le Crabe-Tambour, 1976), Hervé Jaouen (L’Adieu aux îles, 1986), Didier Decoin (Louise, 1998), Alexis Gloaguen (Les Veuves de verre, 2010 ; Digues de ciel, 2014) et Yann Queffélec. Mais le seul écrivain natif de Saint-Pierre vit aux Etats-Unis : en 1988 paraît le premier tome de L’œuvre des mers, la fresque littéraire d’Eugène Nicole, professeur de littérature française à New York University. Ancrée dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, elle mêle histoire familiale, histoire collective et mythologie et demeure à ce jour le plus important ouvrage littéraire consacré à « ces chiures de mouche entre les rives en chiens de faïence de l’Océan ».

Un confetti ultramarin

Se rendre sur l’archipel est déjà une aventure. Au départ de la France, un passeport biométrique et une Autorisation de voyage électronique (AVE) sont nécessaires. Les Américains n’ont besoin que de leur passeport. L’escale est obligatoire, à Halifax (en Nouvelle-Ecosse), à Montréal ou à Saint-Jean-de-Terre-Neuve, d’où la compagnie locale Air Saint-Pierre opère un ATR 42 de moins de cinquante places. En juillet et août, ASL Airlines France relie Saint-Pierre à Paris en moins de sept heures.

Au sud de l’archipel, Saint-Pierre ou « le Caillou » rassemble près de 90 % de la population sur ses 25 kilomètres carrés. Elle abrite la plus petite prison de France (cinq cellules, onze places), le port et l’aéroport. Au nord, Miquelon (110 kilomètres carrés) compte 641 habitants et de nombreuses infrastructures. Un Reims-Cessna F406 à huit sièges et un bateau assurent la navette entre les deux îles.

Sans eau courante ni électricité, Langlade (91 kilomètres carrés) est un lieu de villégiature où les Saint-Pierrais viennent passer l’été. Un isthme de sable d’une douzaine de kilomètres la relie à Miquelon. Les eaux qui séparent les deux territoires ont gardé le nom de « Gueule d’enfer » : 600 bateaux y ont fait naufrage depuis le XIXe siècle. L’archipel compte aussi une multitude de petites île désertes : l’île aux Vainqueurs, l’île aux Pigeons… L’île aux Marins est un lieu de pèlerinage ; le Grand Colombier abrite des oiseaux rares.

© Patricia Detcheverry

Une identité française

Saint-Pierre-et-Miquelon vit avec pragmatisme son insularité. Tous ses systèmes (judiciaire, scolaire, administratif ou postal) sont français, mais l’influence du Canada est grande. Si les Saint-Pierrais jouent à la pelote basque, ils soutiennent aussi les équipes de hockey, le sport national canadien.

Les opérations médicales lourdes sont pratiquées à l’hôpital de Terre-Neuve et chaque lundi, un bateau arrive d’Halifax avec une cargaison de produits frais. « Lorsqu’il tombe en panne, il arrive que les étals des épiceries soient vides pendant 15 jours », explique Patricia Detcheverry, hôtelière à Saint-Pierre. « Ici, tout est plus compliqué et plus cher, car les produits viennent de l’extérieur. Il faut beaucoup de patience. »

En contrepartie, les îliens ont un accès privilégié à leurs représentants et à leurs élus. Territoire d’outre-mer, puis éphémère département entre 1975 et 1986, Saint-Pierre-et-Miquelon est désormais une collectivité territoriale d’outre-mer. Ce statut lui permet d’appliquer sa propre fiscalité et d’être représenté dans les instances de coopération régionale, à égalité avec le Canada et les Etats-Unis. Son préfet, Thierry Devimeux, et son député, Stéphane Claireaux (LREM), représentent les habitants des îles. L’actuelle ministre de l’outre-mer, Annick Girardin, y avait été élue en 2007. Cette indépendance autorise l’archipel à éditer ses propres timbres, prisés des philatélistes.

202 ans d’histoire

Malgré sa petite taille, le « Caillou » est riche d’histoire. Découvert par Jacques Cartier au XVIe siècle, il a été peuplé par les marins bretons, normands et basques. Les drapeaux de ces trois régions figurent encore sur ses armoiries. Longtemps disputé entre la France et l’Angleterre, le territoire a changé sept fois de propriétaire avant de redevenir français en 1816.

« Les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon sont exemptés du service militaire depuis le Directoire », rappelle Marc Cormier, conseiller consulaire à Toronto et spécialiste de l’histoire de l’archipel. « Néanmoins, les Saint-Pierrais ont toujours répondu à l’appel, lorsque que la France était en guerre. » Les îliens combattaient en première ligne aux côtés des troupes coloniales. Une centaine de combattants sont morts pour la France entre 1914 et 1918.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, Saint-Pierre a su tirer profit de sa situation géographique et de sa spécificité française. Pendant la Prohibition, dans les années 1920, les lois et taxes françaises ont permis aux habitants de s’enrichir en improvisant une plateforme de revente d’alcool. A cette période, 350 000 caisses de bouteilles transitent chaque mois par les îles. Importées depuis le Canada et stockées dans le port, elles sont emportées la nuit par les contrebandiers. Le parrain de la mafia de Chicago en personne, Al Capone, aurait séjourné une nuit à l’hôtel Robert, où il aurait laissé son chapeau, exposé au côté d’autres reliques de l’époque.

Le premier territoire de la France libre

Un épisode fait la fierté des Saint-Pierrais. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’archipel fut le premier territoire à rejoindre la France libre du Général de Gaulle. Disposant d’une radio à longues ondes et du câble télégraphique sous-marin, la position de Saint-Pierre-et-Miquelon est stratégique. L’archipel se trouve à l’embouchure de la route maritime par laquelle transitent les bateaux qui ravitaillent l’Angleterre.

Avec l’aval des Britanniques mais contre l’avis de Franklin Roosevelt, l’amiral français Muselier organise le ralliement des îles au Général de Gaulle. En 1941, à la veille de Noël, il débarque à Saint-Pierre avec 230 hommes. Pas un coup de feu n’est tiré. Lors d’une consultation, la population choisit à la quasi-unanimité de rejeter le régime de Vichy. Plus de 500 volontaires (dont 55 femmes) s’engagent dans les forces de la France libre. Un geste que De Gaulle, alors président de la République, saluera au cours de sa visite sur l’archipel, le 20 juillet 1967 : « La France aime et estime ces îles. Je suis venu le leur dire. »

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© Patricia Detcheverry

L’ère de la grande pêche

« A mare labor », le travail vient de la mer. La devise de Saint-Pierre-et-Miquelon rappelle que la pêche a été l’activité principale de l’archipel jusqu’au moratoire canadien sur la morue, menacée d’extinction en 1992. Des dizaines de bateaux de toutes nationalités venaient mouiller au port ; les marins passaient la nuit dans les multiples boîtes de nuit et bars de la ville. Tout, sur l’archipel, était tourné vers cette mono-économie qui a marqué son histoire et son vocabulaire. Une collision entre deux véhicules est un « abordage » ; on « amarre » son soulier lorsqu’on le lace et on « embarque » dans son lit pour se coucher.

De la « forêt de mâts » d’autrefois, il ne reste que quelques bateaux de petite pêche ou de plaisance. A Miquelon, deux chalutiers pêchent chaque année quelques tonnes de morue, que les employés salent et conditionnent sur place. Les fruits de mer font partie du régime quotidien. « Il arrive qu’en été, le prix du kilo de jambon soit le double de celui du kilo de homard », s’amuse Patricia Detcheverry.

La francité, un atout économique

La fin de l’ère de la grande pêche a contraint les Saint-Pierrais à diversifier leurs activités économiques, en développant l’aquaculture et d’autres types de pêche : le crabe des neiges, le homard, ou le concombre marin, prisé par le marché chinois. Sur Miquelon, on produit aussi du foie gras et des coquilles Saint-Jacques.

Depuis 1992, le Francoforum joue sur la spécificité régionale de l’archipel. Ce programme subventionné par le Conseil territorial offre un enseignement du français en immersion totale à Saint-Pierre. Il accueille près de 700 professeurs, lycéens et étudiants anglophones chaque année au cours de séjours linguistiques d’été et d’hiver. Promouvoir le tourisme de proximité, la culture française et offrir aux jeunes diplômés des opportunités de carrière sont autant de défis pour l’archipel. Il les réalisera, comme on dit dans la région, « si temps le permet ».


Article publié dans le numéro d’avril 2018 de France-AmériqueS’abonner au magazine.