La liste des anciens « Young Leaders » a de quoi faire pâlir d’envie les écoles les plus prestigieuses. On y trouve deux présidents français (François Hollande et Emmanuel Macron) et un américain (Bill Clinton), deux Premiers ministres (Alain Juppé et Edouard Philippe) et de nombreux ministres, un maire de Los Angeles (Eric Garcetti), des dizaines de chefs d’entreprises et de journalistes renommés… et même un astronaute (Thomas Pesquet). Beau palmarès pour un programme lancé alors que la France et les Etats-Unis semblaient plus éloignés que jamais, en 1981, année de l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et François Mitterrand.
Encourager le dialogue
L’initiative doit beaucoup à deux de leurs prédécesseurs, Gerald Ford et Valéry Giscard d’Estaing. En 1976, constatant que les liens d’amitiés remontant à la Deuxième Guerre mondiale commencent à se distendre, les deux chefs d’Etat apportent leur soutien à la toute jeune French-American Foundation. Cette organisation non gouvernementale, séparée en deux entités indépendantes basées à Paris et à New York, a pour but d’encourager le dialogue entre les deux pays.
C’est dans cette optique, quelques années plus tard, que la Fondation confiera à un professeur de sciences politiques de Princeton, Ezra Suleiman, grand connaisseur des élites françaises, le soin de trouver de chaque côté de l’Atlantique une douzaine de profils prometteurs, âgés de trente à quarante ans. « L’idée était de repérer, puis de rapprocher, des personnes dont on sentait qu’elles allaient devenir importantes à l’avenir », se souvient Ezra Suleiman. Pour cela, chaque promotion rassemble une dizaine de Français et autant d’Américains, qui effectuent ensemble deux voyages de cinq jours, de chaque côté de l’Atlantique, à la rencontre d’intervenants du monde politique, économique et intellectuel.
Pas les mêmes élites
Dès leurs premières promotions, les Young Leaders ont accueilli quelques pépites, comme François Léotard, futur ministre français de la Défense, Alain Juppé, qui deviendra ensuite Premier ministre puis maire de Bordeaux, ou Bill Clinton, alors tout jeune gouverneur de l’Arkansas. A l’époque, les profils des auditeurs reflètent les différences de chaque pays. Qu’ils viennent de la politique, des médias ou de la haute fonction publique, les jeunes leaders français sont souvent parisiens et sont passés par les mêmes grandes écoles, Sciences Po et ENA en tête.
Les Américains se distinguent en accueillant très tôt des personnalités bien plus diverses, géographiquement et professionnellement, notamment des militaires. Ce fut le cas, en 1981, du général Anthony Smith, qui occupera ensuite de hautes fonctions à l’Otan avant de diriger de 2001 à 2005 la French-American Foundation USA. « Quand j’ai rejoint le programme », raconte-t-il, « ce qui m’a frappé, c’est que tous les participants français se connaissaient. De mon côté, je ne connaissais aucun des Américains ».
L’écrivain et économiste Guy Sorman, ancien directeur de publication de France-Amérique, a fait partie de la deuxième promotion, en 1982. « Il faut se rappeler que c’était une époque où l’anti-américanisme était très virulent en France. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres participants français, cette expérience a profondément changé l’image que nous avions des Etats-Unis. »
Des profils de plus en plus divers
Quatre décennies plus tard, et même si « les voyages transatlantiques sont devenus beaucoup plus courants », comme le note Ezra Suleiman, le programme continue de faire connaître des aspects méconnus des deux pays. Le mathématicien et député français Cédric Villani, Young Leader en 2012, se souvient d’y avoir découvert Atlanta – « nous avons été reçus par le maire de la ville, mais aussi aux sièges de CNN et de Coca-Cola » – et considère cette expérience comme « super intéressante » : « Cela vous sort de votre milieu, et les discussions sur nos deux pays, ou sur la marche du monde, sont très enrichissantes. »
Aujourd’hui, les Young Leaders peuvent être scientifiques, écrivains, producteurs de cinéma, ou venir du monde associatif. Et la promotion actuelle, qui a effectué en octobre 2019 son voyage américain à Chicago, comprend autant de femmes que d’hommes. « Le programme a gagné en diversité », estime le général Smith. « Il s’est ouvert aussi à des personnalités du monde des arts, ce qui n’était pas du tout le cas au départ. » Guy Sorman le confirme : « Dans les années 1980, et dans celles qui ont suivi, la haute fonction publique était beaucoup plus représentée chez les Français et les chefs d’entreprise presque totalement absents. Cela dit quelque chose du recrutement des élites françaises. »
Les choses ont changé, même si – reflet du centralisme à la française – les jeunes leaders de France viennent essentiellement de Paris – et, bien souvent, se connaissent déjà avant le programme, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues américains. Etre sélectionné est toujours vu comme un signe de réussite et de reconnaissance publique, en particulier à Paris, où les anciens se retrouvent fréquemment dans les événements organisés par la branche française de la Fondation, qu’il s’agisse du gala annuel ou de petits déjeuners en présence d’invités de marque. Les liens tissés vont cependant bien au-delà de ces retrouvailles un peu mondaines, estime Ezra Suleiman : « Je reste convaincu de la pertinence de ce programme : parce que les séjours que font les Young Leaders sont très intenses en termes de contenus, c’est un des meilleurs moyens de promouvoir la communication entre la France et les Etats-Unis. »
Article publié dans le numéro de janvier 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.