Architecture

Balade Art déco à Boulogne-Billancourt

Peu de villes françaises ont un patrimoine architectural contemporain aussi riche que Boulogne-Billancourt. Dans les années 1930, cette commune à l'ouest de Paris, haut lieu de l’industrie aéronautique et automobile, devint un laboratoire de la modernité.
La piscine Molitor a été dessinée par Lucien Pollet et inaugurée en 1929. Restaurée à l’identique et transformée en hôtel de luxe, elle a réouvert ses portes en 2014 et a récemment fait une apparition dans Emily in Paris. © Sébastien Giraud

Ce fut une petite révolution aux porte de la capitale. A l’orée du bois de Boulogne, dans le quartier du Parc des Princes, les fondateurs de la modernité – Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens, Jean Lurçat, Auguste Perret, Pierre Patout et Jean-Léon Courrèges – bâtissent résidences, ateliers, immeubles de rapport et hôtels particuliers grâce à l’appui d’un maire visionnaire, André Morizet, et de mécènes et artistes qui ont pris fait et cause pour l’architecture nouvelle. L’objectif est de faire de Boulogne-Billancourt un modèle urbain qui privilégie la fonctionnalité de l’habitat. Avec des terrains à bas prix, ces architectes trouvent là un champ d’expérimentation. En quelques années, Boulogne-Billancourt devient une « ville d’art ». La mairie propose aujourd’hui un parcours guidé de ce patrimoine, balisé par des stèles qui retracent l’histoire de ces lieux d’exception. En voici quelques-uns que vous devriez connaître.

Les résidences-ateliers Lipchitz-Miestchaninoff

9 allées des Pins

Le Corbusier s’installe à Paris en 1917, en quête de commandes et de reconnaissance. Le sculpteur Jacques Lipchitz, rencontré lors d’une vente, lui commandera en 1924 deux résidences-ateliers alignées, à partager entre lui-même et son ami, le sculpteur Oscar Miestchaninoff. Elles seront construite dans une allée privée de Boulogne-Billancourt où Marc Chagall avait résidé. Le jeune Corbusier trouve en cette ville encore neuve un terrain de choix pour l’application de ses idées. Inspiré par les matériaux modernes, comme le béton armé, et l’esthétique industrielle, il préconise des formes géométriques simples, des murs lisses et blancs, des toits-terrasses et de vastes fenêtres donnant sur la nature et laissant passer la lumière. L’accent est mis sur le confort et la simplicité. Ces éléments se retrouvent dans les deux résidences-ateliers de l’allée des Pins, orientées vers un jardin commun. A l’angle de cette allée, la « tourelle de proue » de l’atelier d’Oscar Miestchaninoff, avec ses pontons et terrasses, commande l’ensemble de la réalisation. Son emplacement se prête à la réalisation d’une forme en paquebot, à la mode en cette époque des grands transatlantiques. On y retrouve une cheminée de paquebot encadrée par un escalier en colimaçon ainsi que le garde-corps, réplique du bastingage. S’y exprime partout ailleurs un jeu de parallélépipèdes emboîtés qui révèle l’influence du cubisme sur Le Corbusier. Pour Jacques Lipchitz, la résidence-atelier reste d’une grande simplicité, par choix, mais aussi en raison du budget du client.

© Philippe Fuzeau

Les villas Collinet, Cook et Dubin

8, 6 et 4 rue Denfert-Rochereau

La rue Denfert-Rochereau héberge « un dictionnaire d’architecture moderne » : trois villas mitoyennes, réalisées par trois architectes avant-gardistes. Si chacun a imposé son style, le résultat est d’une homogénéité sans pareille. Air, lumière, hygiène, économie : des principes qu’ils ont suivis à la lettre. La première à avoir été construite est celle de Robert Mallet-Stevens, en 1926. Façade lisse et dépouillée, toit-terrasse, fenêtres plus larges que hautes : ce dandy parmi les modernes, comme on le surnommait, revendique la pureté des volumes. Pour l’anecdote, la propriétaire exigera du Corbusier et de Raymond Fischer qu’ils descendent leur toit-terrasse de deux mètres pour ne pas avoir de vis-à- vis. A ses côtés se dresse la maison de William Cook, journaliste américain et ami de Gertrude Stein, construite par Le Corbusier. Cette demeure validera pour la première fois sa théorie des « cinq points pour une architecture moderne », c’est-à-dire une construction faite sur pilotis, une organisation intérieure totalement libre, une façade indépendante des structures mêmes, percée de fenêtres en longueur, et un toit-terrasse arrangé en jardin et en lieu de détente. Plus que dans les matériaux, l’important réside dans les volumes, l’espace et la lumière. Dernier venu sur ce front de rue, Raymond Fischer avec sa villa pour la créatrice de mode Suzanne Dubin. Disciple du Corbusier, il privilégie les mêmes critères : façade en béton lisse, baie horizontale pour profiter du soleil dans toute sa course et toit-terrasse.

La villa Collinet de Robert Mallet-Stevens. © Philippe Fuzeau

La villa Ternisien

5 allée des Pins

La villa Ternisien, emblématique, elle aussi, de l’architecture moderne du début du XXe siècle, fut à l’origine construite par Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret en 1927. Elle ne garde de sa forme initiale qu’une partie du rez-de-chaussée. Les quatre étages qui la composent seront construits en 1936 par Georges-Henri Pingusson. En 1923, le musicien Paul Ternisien et son épouse peintre passent commande au Corbusier lors d’une de ses conférences à la Sorbonne. Ils souhaitent construire une résidence avec ateliers de musique et de peinture, autour d’un arbre « intouchable » et sur un terrain triangulaire. Un défi que l’architecte relève : il adapte la surface de la maison à la contrainte spatiale du petit terrain triangulaire, tout en préservant l’arbre grâce à une division tripartite des espaces. Des difficultés financières et la mise en œuvre de procédés nouveaux qui déplaisent aux propriétaires feront échouer le projet. Suite à un procès pour malfaçons, l’édifice sera rasé et Georges-Henri Pingusson construira à sa place en 1936 un immeuble de rapport de quatre étages. Il conservera, en hommage au Corbusier, la pointe en rez-de-chaussée en forme de proue. Avec ses fenêtres hublots, l’architecte se réclame, lui aussi, du style paquebot.

© Philippe Fuzeau

La résidence-atelier d'Alfred Lombard

2 rue Gambetta

L’architecte Pierre Patout est une exception parmi les modernes. Bien que se réclamant du style international, il ne renonce pas au pittoresque. Son immense « navire » de béton, style paquebot, construit pour son ami le peintre Alfred Lombard – qu’il avait rencontré sur l’aménagement du transatlantique Ile-de-France – en est l’illustration. En dehors des traditionnels murs et toits-terrasses, la recherche de l’originalité se manifeste dans les nombreux décrochements, les ouvertures variées, les volumes irréguliers et les arêtes vives. Alfred Lombard lui-même y a apposé son empreinte. Sur le sol du vestibule orné de six colonnes se déploie une mosaïque en pâte de verre noire et blanche. En 1946, « le capitaine » Lombard quitte son « navire » pour Toulon. Sa résidence-atelier connaîtra alors plusieurs vies beaucoup plus prosaïques : elle servira de centre de yoga, puis sera laissée à l’abandon avant d’être rénovée pour devenir un immeuble locatif !

© Philippe Fuzeau

L'hôtel particulier des époux Renard

19 bis avenue Robert-Schuman

Avec ses toits pentus, ses façades à pignon, ses tuiles plates de Bourgogne et ses hautes fenêtres à meneaux, la demeure paraît une antithèse de l’architecture avant-gardiste. Elle est un exemple d’architecture Art déco de tendance régionaliste construite par Jean-Léon Courrège, père du célèbre couturier. Dans cet hôtel particulier a résidé André Malraux. Appréciant l’esthétique de cette bâtisse de brique rose, il s’y installera à la Libération, jusqu’en 1962. L’auteur de La Condition humaine y rédigera Les Voix du silence et La Métamorphose des dieux. La résidence fut aussi le théâtre d’un attentat. Le 7 février 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, une bombe déposée par l’OAS explose chez André Malraux, alors absent.

© Philippe Fuzeau

La villa Dora Gordine

21 rue du Belvédère

Le prophète du béton Auguste Perret, professeur du Corbusier, se distingue des autres précurseurs car il agit en constructeur autant qu’en architecte. Il a acquis sa réputation en reprenant avec succès l’entreprise paternelle de béton armé. En 1929, il réalise avec son frère Gustave pour la sculptrice Dora Gordine, disciple d’Aristide Maillol émigrée d’Estonie, une villa en béton armé d’une grande simplicité. Ici, l’emploi de ce matériau privilégié des avant-gardistes n’exclut pas le recours aux formes traditionnelles. L’architecte opte pour la fenêtre verticale qui, selon lui, offre un panorama plus complet que la fenêtre bandeau, plus restrictive. La façade raffinée de la villa lui vaudra une inscription au titre des monuments historiques.

© Philippe Fuzeau

La résidence-atelier Froriep de Salis

9 rue du Belvédère

Avec Robert Mallet-Stevens et Le Corbusier, Jean Lurçat est un des artistes les plus importants du style international. Sa résidence Froriep de Salis est une construction géométrique, simple, pragmatique et rapide à réaliser. Elle consiste en un cube réservé à l’atelier et un parallélépipède destiné aux pièces de vie. La grande baie vitrée horizontale de l’atelier est surmontée d’une pergola en ciment. L’ensemble représente un témoignage du fonctionnalisme et du rationalisme de l’architecture moderne.

© Philippe Fuzeau


Article publié dans le numéro d’octobre 2018 de France-Amérique. S’abonner au magazine.

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