Livres

François Busnel : « Je suis de très près les jeunes auteurs américains »

Incontournable rendez-vous littéraire de la télévision française, La Grande Librairie réserve de belles surprises pour sa treizième saison, diffusée sur TV5MONDE : rencontres d’auteurs, visites de librairies et grands débats d’actualité sont au programme. Entretien avec son présentateur, le journaliste américanophile François Busnel.
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François Busnel. © Nathalie Guyon/France Télévisions

France-Amérique : L’émission a été créée en 2008. Comment arrivez-vous à vous renouveler ?

François Busnel : Les écrivains sont par essence très différents les uns des autres et il y en a tellement en France qu’il faudrait au moins trente ans pour épuiser le sujet ! L’émission a toutefois évolué depuis ses débuts : il y a eu des soirées thématiques, des tête-à-tête avec de grands témoins de l’Histoire… J’ai aussi rencontré les auteurs chez eux, dans une déclinaison qu’on a appelé Les Carnets de Route, pour laquelle j’ai sillonné l’Irlande, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis – j’y retourne souvent car c’est actuellement le pays où la littérature présente le plus de diversité, de nouveauté et de force.

Dans cette saison, vous évoquez le rôle des réseaux sociaux, la parole des femmes, l’inceste… Essayez-vous de suivre les grandes questions d’actualité ?

Si ces sujets reflètent une certaine actualité, c’est que les écrivains sont en prise avec le monde dans lequel le public vit. Nous proposons un reflet de la création littéraire ; je place sur notre table ce qu’on trouverait en entrant dans une libraire de Paris ou de New York. Notre ambition est aussi de remettre la fiction au cœur de la vie quotidienne car c’est elle, plus que les essais, qui permet de mieux comprendre le monde dans lequel on vit. Cela semble paradoxal, mais on explique mieux les choses par un détour que de manière frontale et théorique. Comprendre un pays, c’est lire les descriptions des gens et des lieux qu’en proposent ses romanciers.

Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Je suis journaliste et non pas critique littéraire. Je ne pense pas qu’il y ait de mauvais livres, mais je choisis de recommander ceux qui soulèvent une foule d’interrogations et pas ceux qui prétendent apporter des réponses. Il suffit ensuite de choisir quelques-unes de ces questions pour les poser aux écrivains, dont on entend rarement la parole dans le discours médiatique saturé de politiques et d’experts. L’intérêt de La Grande Librairie est alors de transformer les téléspectateurs en lecteurs, en suscitant en eux du désir plutôt que de l’amusement. Mon travail est de réussir à faire parler ces auteurs, presque comme une sage-femme de l’esprit. L’interview est l’art majeur du journalisme et il s’agit de réussir à faire accoucher quelqu’un de choses qu’il ne dirait ni tout seul, ni à un autre. Beaucoup de grands livres sont ainsi nés d’entretiens avec des journalistes.

Quel écrivain rêveriez-vous de rencontrer ?

Je serais ravi de m’entretenir avec Cormac McCarthy, mais il semble qu’il soit décidé à ne donner aucune interview – on pourrait parler de sa passion pour les chevaux, que je partage avec lui ! Il est pour moi l’un des écrivains majeurs de notre époque et pas seulement aux Etats-Unis. Sa manière d’explorer les arcanes de l’âme humaine est tout à fait unique. Nous avons la chance, en France, d’être le pays qui traduit le plus de littérature américaine au monde, ce qui me permet de suivre de très près la jeune génération d’auteurs qui, comme Lauren Groff, vivent loin des villes et racontent avec beaucoup de puissance la manière dont l’Amérique vit (ou survit) depuis plusieurs années.

Les confinements successifs ont-ils modifié les goûts du public ?

Depuis le premier confinement, on remarque une véritable demande de poésie et de sens. Les émissions avec Jean-Marie Gustave Le Clézio, François Cheng et la spéciale Christian Bobin – tous des poètes assez confidentiels – ont très bien marché car les gens cherchent un peu de beauté là où on ne voit que de la difficulté à vivre. Le public ne veut pas tant des livres positifs que de la philosophie, de la réflexion, que leur apportent par exemple Bruno Latour et Boris Cyrulnik, respectivement anthropologue et neuropsychiatre, lorsqu’ils discutent de l’écologie et du rapport entre nos cerveaux et l’environnement dans lequel on évolue. Il y a aussi une demande pour les récits de vie extraordinaires : on vit une période particulière qui génère une certaine appétence pour les livres autobiographiques. Ceux des derniers survivants de l’Holocauste, de la torture en Algérie ou le témoignage de Camille Kouchner dans un autre genre.

Quel est votre souvenir le plus marquant de l’émission ?

Nous avons eu la joie de faire découvrir un bon nombre d’écrivains. Leïla Slimani a fait sa première interview télévisuelle chez nous, il y a eu le dernier entretien avec Philippe Roth quelques mois avant sa disparition et ceux avec Toni Morrison, Jim Harrison et Barack Obama. Ce sont des rencontres importantes, qui donnent du sens à ce que l’on fait. L’idée, avec Obama par exemple, est d’arriver à arracher une parole autre que celle, très convenue, de l’homme politique. Et c’est possible !


Retrouvez La Grande Librairie sur TV5MONDE USA, la première chaîne de télévision francophone aux Etats-Unis.