En avalant l’A89 au cœur de la Dordogne, on croit rêver. Au loin entre les arbres, se détachent un portique de forme ovale, six colonnes ioniques et deux volées d’escaliers circulaires. Le célèbre portique sud de la Maison-Blanche ? Non, la façade nord-est du château de Rastignac, remarquablement similaire. Le château, érigé entre 1811 et 1817, est postérieur à la « Maison du Président », dont la construction a débuté en 1792. Mais la fameuse rotonde de la façade sud n’a été ajoutée qu’en 1824 : incendié pendant la guerre anglo-américaine en 1814, le bâtiment sera plus tard reconstruit et agrandi.
Alors qui a copié qui ? L’historien de l’art et anthropologue néerlandais Ronald Kerkhoven, copropriétaire du château de Rastignac depuis 2000, n’en est pas sûr. « Si la construction de la Maison-Blanche a été documentée pierre par pierre, celle de Rastignac est bien plus floue », explique-t-il. Les plans du château de style Louis XVI ont probablement été dessinés entre 1780 et 1785, mais ils ont depuis disparu. Quant à l’architecte, le nom de Mathurin Salat revient souvent. Sans preuve non plus.
En 1792, l’architecte irlandais James Hoban remporte le concours pour la réalisation du manoir présidentiel à Washington, fondé juste un an auparavant. Pour la façade nord, côté Pennsylvania Avenue, il s’est inspiré de l’ancienne résidence du duc de Leinster à Dublin, où siège aujourd’hui le parlement irlandais. Pour la façade sud, il a dessiné un portique elliptique avec six colonnes et un escalier double. Un élément distinctif du style néoclassique qui figure sur les plans de 1792 mais ne sera construit que plus tard.
Thomas Jefferson, ambassadeur en France, aurait-il aperçu les plans du futur château de Rastignac pendant sa visite à l’école d’architecture de Bordeaux en 1789 ? En aurait-il ensuite fait part à James Hoban ? Après tout, le troisième président des Etats-Unis était grand amateur d’architecture et s’inspira de l’hôtel de Salm à Paris, l’actuel siège de la Légion d’honneur, pour dessiner sa résidence de Monticello. « Cette histoire revient fréquemment, mais elle n’a aucun fondement », selon Ronald Kerkhoven. « En l’absence de preuves, nous pouvons seulement affirmer que les deux bâtiments partagent un certain style, inspiré de l’architecture gréco-romaine et palladienne qui fleurissait alors en Europe. »
Article publié dans le numéro de juin 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.