Enquête

Une sociologue passe la mentalité des Américains et des Français à la loupe

Michèle Lamont, professeur de sociologie à Harvard, a comparé dans deux ouvrages les cadres et les ouvriers français et américains. Rapport à l’argent ou perception des inégalités, elle pointe les différences de mentalité des travailleurs.
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Michèle Lamont. © Regine Hendrich

La sociologue canadienne Michèle Lamont étudie la manière dont les travailleurs catégorisent leur univers social. Pour deux de ses ouvrages – La morale et l’argent: les valeurs des cadres en France et aux Etats-Unis (éditions Métailié, 1995) et La dignité des travailleurs : Exclusion, race, classe et immigration en France et aux Etats-Unis (Les presses de Sciences Po, 2002) –, elle a interviewé des dizaines de cadres et ouvriers à New York, Indianapolis, Paris et Clermont-Ferrand. Elle analyse ensuite à partir de ces entretiens « les conditions culturelles et structurelles qui poussent les individus à utiliser certains critères d’évaluation au lieu d’autres ». Frontières de classe et de race, ainsi que l’importance de la religion et de la moralité dans les deux pays, sont ainsi abordés. L’auteure, parfaitement bilingue, a été nommée membre du Haut conseil de la science et de la technologie en 2006, dont la mission est d’éclairer le gouvernement et le Parlement français en matière de politique de recherche scientifique et d’innovation.


France-Amérique
: Qu’est-ce qui distingue les cadres français et américains ?

Michèle Lamont : Aux Etats-Unis, l’insécurité matérielle structure davantage la vie quotidienne. Les cadres supérieurs américains sont plus anxieux que leurs homologues français. Ils veulent assurer la reproduction de leur position sociale, en permettant par exemple à leurs enfants d’étudier dans de bonnes universités, qui coûtent très cher. Il faut dire aussi que le statut de « loser » est tellement stigmatisé, que la perspective d’être un jour un loser, est un facteur de stress. La force de la société française est que le succès professionnel y est moins prédominant pour mesurer la valeur des gens, même si cela est en train de changer.

Et pour les ouvriers ?

Aux Etats-Unis, l’égalité se définit en termes économiques. Si je peux m’acheter telle maison et toi aussi, alors on est égaux. Il n’y a pas comme en France une élite qui a des comportements méprisant envers les autres.

Comment définissent-ils leurs valeurs ?

Les travailleurs français mettent  l’accent sur la solidarité pour définir une personne morale. Chez les Américains le terme « solidarité » a disparu, on parle éventuellement d’altruisme. En France, c’est l’intégrité intellectuelle qui compte : vivre en accord avec ses propres principes. Et les ouvriers insistent sur le fait de pouvoir payer ses factures à la fin du mois. Les Américains mettent davantage l’accent sur l’honneur : ne pas mentir, ne pas tricher.

Quel est le rôle de la religion dans les deux pays ?

Quatre-vingt-cinq pour cent des Américains déclarent croire en Dieu, contre 15 % en France. Mais au-delà de cela, aux Etats-Unis, la religion a un rôle important dans l’intégration sociale des individus. Pour beaucoup d’habitants, l’identité ethnique est liée à l’identité religieuse. Ainsi, les minorités se retrouvent dans les lieux de culte.

Et concernant les différences ethniques ?

Les Français avaient tendance à me dire que les différences raciales importaient peu, à cause du mythe républicain, très présent. Les Maghrébins, eux, se sentaient différents des Français. Pour eux l’égalité consistait à dire « Nous sommes tous des enfants de Dieu ». Ce concept d’enfant de Dieu est très présent chez les Noirs américains également.