The Brief

Energies renouvelables : « Il y a tellement à faire ! »

En 2002, Electricité de France (EDF) rachetait une entreprise danoise fondée dans les années 1980 pour entretenir un parc d’éoliennes à côté de Palm Springs, en Californie. C’est l’acte de naissance d’EDF Renewables, devenu en deux décennies l’un des leaders sur le marché des énergies renouvelables en Amérique du Nord, avec 1 650 employés et plus de 300 sites de production et de stockage développés au Canada, aux Etats-Unis et au Mexique. A sa tête depuis 2004, un Français de 55 ans : Tristan Grimbert. Nous l’avons rencontré à San Diego en marge du Power Summit, la « grand-messe annuelle » des développeurs de l’entreprise.
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Tristan Grimbert. © EDF Renewables

France-Amérique : Quelles sont les missions d’EDF Renewables en Amérique du Nord ?

Tristan Grimbert : Nous sommes responsables de la génération d’énergie verte et de son optimisation. Nous concevons, installons et opérons des projets renouvelables dans toute l’Amérique du Nord : des parcs éoliens dans le Midwest, au Québec et au Texas, des fermes solaires en Californie ou au Mexique, des éoliennes off-shore au large du New Jersey [prévues pour 2027], ainsi que de plus petites installations derrière le compteur chez des clients industriels sur l’ensemble du réseau. Nous travaillons aussi sur l’hydrogène vert, pour la mobilité électrique et l’export vers l’Europe, et sur les batteries de stockage. Enfin, nous nous sommes positionnés dès 2019 sur la charge de véhicules électriques : par exemple, nous avons installé les 1 200 chargeurs de l’aéroport LAX de Los Angeles et avons aussi équipé les bureaux de TurboTax, Salesforce, Kaiser Permanente et Target. Avec 16 gigawatts de projets développés et 44 gigawatts en développement, nous sommes l’un des plus grands développeurs d’énergies renouvelables sur le marché nord-américain, numéro deux du solaire de toiture dans le secteur commercial et industriel et numéro quatre dans la charge de véhicules électriques. Nous agissons sur l’ensemble de la chaîne.

Les énergies renouvelables – l’écologie en générale – est un sujet éminemment politique. Comment les différentes administrations et l’alternance politique influent-elles sur votre activité ?

D’une manière générale, le renouvelable va dans le sens de l’histoire. Certains présidents ont donné d’importants coups d’accélérateur – c’est notamment le cas de la loi sur la réduction de l’inflation, promulguée par le président Biden en août 2022 – mais le marché a toujours continué à se développer, quelle que soit la couleur politique dominante. Je me souviens de l’inauguration d’un projet éolien au Texas pendant la présidence de Barack Obama : un des fermiers qui nous loue ses terres n’avait pas vu une goutte d’eau depuis des années, mais refusait encore de croire au réchauffement climatique. « Mais non, ce n’est pas ça… », disait-il. « Par contre, j’adore ce que vous faites. Le vent est la seule récolte qui résiste à la sécheresse ! Ça m’amène un fonds de revenu tous les ans et ça m’empêche de faire faillite. » Chacun supportait alors notre industrie pour ses propres raisons. Mais aujourd’hui, le climat politique est tellement tendu que si on est l’ami des uns, on est forcément l’ennemi des autres…

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Le projet Switch Solar, installé dans le Nevada en 2017, alimente en électricité 46 000 foyers. © EDF Renewables

Vous déclariez récemment que « ces trois dernières années, nous avons rencontré beaucoup d’incertitudes ». Faisiez-vous référence au climat politique ?

Plus que l’alternance politique, c’est l’instabilité géopolitique qui nous pose problème : la volatilité des marchés, la guerre commerciale avec la Chine, avec une augmentation des droits de douane et le blocage de certaines importations, comme les panneaux solaires, la plupart étant fabriqués en Chine, et certains composants de turbines éoliennes. Sans parler de la pandémie de Covid-19, la Grande Démission, l’inflation, le coût du capital… C’est beaucoup de turbulences.

Comment la panne électrique qui a paralysé le Texas en février 2021 a-t-elle impacté votre travail ?

A titre personnel, ça a été six semaines de travail à 18 heures par jour pour gérer la crise ! L’effondrement du réseau, principalement causé par le gel des puits de gaz naturel qui alimentent les centrales thermiques, a été très mal anticipé et nous a mis dans l’embarras. Nous avions des obligations de livraison que nous n’avons pas pu honorer et ce, à un moment où les prix de l’électricité flambaient parce qu’il n’y en avait pas assez. EDF Renewables a perdu pas mal d’argent, alors même que notre sœur EDF Trading, qui commerce sur ces marchés, a enregistré d’importants profits. Le Texas a depuis entamé une réflexion poussée sur leur système électrique : ils réfléchissent à des mécanismes d’incitation pour diversifier leurs sources d’énergie et rendre leur réseau plus résistant à ce type d’évènements.

Revenons sur la loi sur la réduction de l’inflation. Que prévoit-elle au juste et en quoi représente-elle, selon vos mots, « un moment historique pour les énergies renouvelables » ? C’est une loi très complexe et très complète. En ce qui nous concerne, elle prolonge les crédits d’impôt alloués aux projets de génération et de stockage, ce qui va permettre d’abaisser le coût de revient de ces énergies et donc leur prix à l’achat. Ensuite, cette loi nous donne une visibilité sur dix ans. Avant, les crédits d’impôt expiraient au bout d’un, deux ou trois ans, alors qu’une dizaine d’années en moyenne sont nécessaires pour développer un parc d’éoliennes ou de panneaux solaires. Enfin, pour ces crédits, la loi ouvre la porte à d’autres technologies que le solaire et l’éolien : l’hydrogène notamment, qui va être fortement subventionné et faire des Etats-Unis le pays où ce gaz est le moins cher à produire au monde, mais aussi la séquestration du dioxyde de carbone [la captation du CO2 directement à la sortie des usines], la création aux Etats-Unis de lignes de fabrication de panneaux solaires, d’éoliennes, de batteries, d’onduleurs… Ce qui permettra de créer des emplois, de sécuriser notre chaîne d’approvisionnement et d’être moins dépendants des importations. Cette loi est transformatrice, mais elle oublie un gros morceau : le transport de l’énergie. C’est un élément indispensable pour réorganiser le réseau électrique américain, conçu autour de très gros centres de production à proximité des villes. Pour acheminer l’électricité des campagnes, où se situent la plupart des projets renouvelables, nous avons besoin de super lignes qui quadrillent le pays – l’équivalent des interstate highways construites dans les années 1950. L’administration actuelle y est sensible, mais il faut trouver le véhicule législatif et ça va être compliqué avec un Congrès mixte comme celui que nous avons en ce moment…
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Installation d’une pale dans le parc éolien Nicolas-Riou, mis en service au Québec en 2018. © EDF Renewables

Vu de France, les Américains semblent moins réceptifs aux enjeux climatiques et aux énergies renouvelables. Cliché ou réalité ?

Je pense que c’est une vision partielle de la réalité. Il n’y a pas une Amérique, mais plusieurs. Certaines personnes ici se fichent complètement du réchauffement climatique, d’autres non. C’est vrai que le style de vie américain est en moyenne très énergivore – nous sommes en terrasse à San Diego, entourés de braséros à gaz… De même, vivre à San Diego sans voiture est impensable, mais je vois beaucoup plus de véhicules électriques ici qu’à Paris. La jeune génération, celle de mes enfants, est très consciente des enjeux climatiques et fait de vrais efforts. Ma double culture – j’ai vécu plus de vingt ans aux Etats-Unis, donc je suis à la fois français et américain – m’a appris à ne pas juger l’autre et à adopter les comportements que je trouve vertueux dans chaque pays.

Qu’est-ce que ce travail représente pour vous ? Vous évoquiez « une obligation morale d’agir » pour la planète…

Je suis venu aux énergies renouvelables un peu par hasard [après des études en agronomie à Paris], mais c’est devenu une vocation et une affaire personnelle. Il y a tellement à faire ! Pour vous raconter une anecdote personnelle : un dimanche, au cours de notre traditionnel repas familial, je discutais avec mon fils aîné, qui est aussi dans le renouvelable. Je lui expliquais que la séquestration du dioxyde de carbone sera peut-être au point d’ici dix ans, déployée dans vingt et avec des résultats visibles dans trente. Ce à quoi il a répondu: « Mais c’est toute ma vie ça, je n’aurai jamais le temps d’en profiter ! » Ça a été comme une gifle. Il faut que nous fassions mieux et plus rapidement : on le doit à nos enfants.

Le boom des énergies vertes

Bastion du gaz naturel, du charbon et du nucléaire, les Etats-Unis sont sur le point de devenir l’eldorado des énergies renouvelables. Pour cause : une politique volontariste (la loi de 2022 sur la réduction de l’inflation prévoit 369 milliards de dollars pour soutenir les initiatives qui réduisent les émissions de carbone ; la Californie entend produire une « énergie 100 % propre » d’ici 2045) et assez d’espace pour installer de vastes champs d’éoliennes et de panneaux solaires. En 2021, la part du renouvelable dans la consommation d’énergie primaire des Etats-Unis (12,4 %) était encore en dessous de celle de la France (13,1%), mais la tendance est à l’essor. Ce qui a incité les groupes français EDF et ENGIE à accroître leur présence sur le terrain. Le premier est en train de construire dans l’Ohio un parc solaire sur 1 600 hectares pour alimenter Amazon ; le second vient d’inaugurer au sud de Dallas son plus grand projet éolien terrestre américain, avec 88 turbines et une puissance totale de 300 mégawatts. « Les Etats-Unis représentent quasiment un tiers des capacités renouvelables installées, hors Chine», expliquait un analyste français en 2020 dans Les Echos. « Ces capacités devraient augmenter de 70 % d’ici à 2030. »


Entretien publié dans le numéro d’avril 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.