France-Amérique : Quelles sont les missions d’EDF Renewables en Amérique du Nord ?
Tristan Grimbert : Nous sommes responsables de la génération d’énergie verte et de son optimisation. Nous concevons, installons et opérons des projets renouvelables dans toute l’Amérique du Nord : des parcs éoliens dans le Midwest, au Québec et au Texas, des fermes solaires en Californie ou au Mexique, des éoliennes off-shore au large du New Jersey [prévues pour 2027], ainsi que de plus petites installations derrière le compteur chez des clients industriels sur l’ensemble du réseau. Nous travaillons aussi sur l’hydrogène vert, pour la mobilité électrique et l’export vers l’Europe, et sur les batteries de stockage. Enfin, nous nous sommes positionnés dès 2019 sur la charge de véhicules électriques : par exemple, nous avons installé les 1 200 chargeurs de l’aéroport LAX de Los Angeles et avons aussi équipé les bureaux de TurboTax, Salesforce, Kaiser Permanente et Target. Avec 16 gigawatts de projets développés et 44 gigawatts en développement, nous sommes l’un des plus grands développeurs d’énergies renouvelables sur le marché nord-américain, numéro deux du solaire de toiture dans le secteur commercial et industriel et numéro quatre dans la charge de véhicules électriques. Nous agissons sur l’ensemble de la chaîne.
Les énergies renouvelables – l’écologie en générale – est un sujet éminemment politique. Comment les différentes administrations et l’alternance politique influent-elles sur votre activité ?
D’une manière générale, le renouvelable va dans le sens de l’histoire. Certains présidents ont donné d’importants coups d’accélérateur – c’est notamment le cas de la loi sur la réduction de l’inflation, promulguée par le président Biden en août 2022 – mais le marché a toujours continué à se développer, quelle que soit la couleur politique dominante. Je me souviens de l’inauguration d’un projet éolien au Texas pendant la présidence de Barack Obama : un des fermiers qui nous loue ses terres n’avait pas vu une goutte d’eau depuis des années, mais refusait encore de croire au réchauffement climatique. « Mais non, ce n’est pas ça… », disait-il. « Par contre, j’adore ce que vous faites. Le vent est la seule récolte qui résiste à la sécheresse ! Ça m’amène un fonds de revenu tous les ans et ça m’empêche de faire faillite. » Chacun supportait alors notre industrie pour ses propres raisons. Mais aujourd’hui, le climat politique est tellement tendu que si on est l’ami des uns, on est forcément l’ennemi des autres…
Vous déclariez récemment que « ces trois dernières années, nous avons rencontré beaucoup d’incertitudes ». Faisiez-vous référence au climat politique ?
Plus que l’alternance politique, c’est l’instabilité géopolitique qui nous pose problème : la volatilité des marchés, la guerre commerciale avec la Chine, avec une augmentation des droits de douane et le blocage de certaines importations, comme les panneaux solaires, la plupart étant fabriqués en Chine, et certains composants de turbines éoliennes. Sans parler de la pandémie de Covid-19, la Grande Démission, l’inflation, le coût du capital… C’est beaucoup de turbulences.
Comment la panne électrique qui a paralysé le Texas en février 2021 a-t-elle impacté votre travail ?
A titre personnel, ça a été six semaines de travail à 18 heures par jour pour gérer la crise ! L’effondrement du réseau, principalement causé par le gel des puits de gaz naturel qui alimentent les centrales thermiques, a été très mal anticipé et nous a mis dans l’embarras. Nous avions des obligations de livraison que nous n’avons pas pu honorer et ce, à un moment où les prix de l’électricité flambaient parce qu’il n’y en avait pas assez. EDF Renewables a perdu pas mal d’argent, alors même que notre sœur EDF Trading, qui commerce sur ces marchés, a enregistré d’importants profits. Le Texas a depuis entamé une réflexion poussée sur leur système électrique : ils réfléchissent à des mécanismes d’incitation pour diversifier leurs sources d’énergie et rendre leur réseau plus résistant à ce type d’évènements.
Vu de France, les Américains semblent moins réceptifs aux enjeux climatiques et aux énergies renouvelables. Cliché ou réalité ?
Je pense que c’est une vision partielle de la réalité. Il n’y a pas une Amérique, mais plusieurs. Certaines personnes ici se fichent complètement du réchauffement climatique, d’autres non. C’est vrai que le style de vie américain est en moyenne très énergivore – nous sommes en terrasse à San Diego, entourés de braséros à gaz… De même, vivre à San Diego sans voiture est impensable, mais je vois beaucoup plus de véhicules électriques ici qu’à Paris. La jeune génération, celle de mes enfants, est très consciente des enjeux climatiques et fait de vrais efforts. Ma double culture – j’ai vécu plus de vingt ans aux Etats-Unis, donc je suis à la fois français et américain – m’a appris à ne pas juger l’autre et à adopter les comportements que je trouve vertueux dans chaque pays.
Qu’est-ce que ce travail représente pour vous ? Vous évoquiez « une obligation morale d’agir » pour la planète…
Je suis venu aux énergies renouvelables un peu par hasard [après des études en agronomie à Paris], mais c’est devenu une vocation et une affaire personnelle. Il y a tellement à faire ! Pour vous raconter une anecdote personnelle : un dimanche, au cours de notre traditionnel repas familial, je discutais avec mon fils aîné, qui est aussi dans le renouvelable. Je lui expliquais que la séquestration du dioxyde de carbone sera peut-être au point d’ici dix ans, déployée dans vingt et avec des résultats visibles dans trente. Ce à quoi il a répondu: « Mais c’est toute ma vie ça, je n’aurai jamais le temps d’en profiter ! » Ça a été comme une gifle. Il faut que nous fassions mieux et plus rapidement : on le doit à nos enfants.
Le boom des énergies vertes
Bastion du gaz naturel, du charbon et du nucléaire, les Etats-Unis sont sur le point de devenir l’eldorado des énergies renouvelables. Pour cause : une politique volontariste (la loi de 2022 sur la réduction de l’inflation prévoit 369 milliards de dollars pour soutenir les initiatives qui réduisent les émissions de carbone ; la Californie entend produire une « énergie 100 % propre » d’ici 2045) et assez d’espace pour installer de vastes champs d’éoliennes et de panneaux solaires. En 2021, la part du renouvelable dans la consommation d’énergie primaire des Etats-Unis (12,4 %) était encore en dessous de celle de la France (13,1%), mais la tendance est à l’essor. Ce qui a incité les groupes français EDF et ENGIE à accroître leur présence sur le terrain. Le premier est en train de construire dans l’Ohio un parc solaire sur 1 600 hectares pour alimenter Amazon ; le second vient d’inaugurer au sud de Dallas son plus grand projet éolien terrestre américain, avec 88 turbines et une puissance totale de 300 mégawatts. « Les Etats-Unis représentent quasiment un tiers des capacités renouvelables installées, hors Chine», expliquait un analyste français en 2020 dans Les Echos. « Ces capacités devraient augmenter de 70 % d’ici à 2030. »
Entretien publié dans le numéro d’avril 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.