Entretien

Frédéric Jung, un nouveau consul à San Francisco

Du Golden Gate Bridge aux grands espaces de l’Utah et du Montana, l’imaginaire français assimile le Nord-Ouest américain à un vaste décor de cinéma. Mais le film qui s’y joue actuellement est un drame, témoigne Frédéric Jung, qui a récemment pris ses fonctions de consul général de France pour la circonscription de San Francisco. Le diplomate de 40 ans, originaire de Mulhouse en Alsace, fait le bilan de ses deux premiers mois en poste. Une période marquée par la pandémie de Covid-19, les tensions et les violences en marge des manifestations de soutien au mouvement Black Lives Matter à Seattle et Portland et les incendies qui ravagent la Californie et l’Oregon.
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© Jules Caron

France-Amérique : Vous arrivez aux Etats-Unis et dans votre circonscription dans une période troublée. Quelles sont vos premières impressions ?

Frédéric Jung : Mon dernier souvenir des Etats-Unis, et de San Francisco en particulier, était plus léger que ce que j’ai découvert en août. Je suis arrivé au pic de l’épidémie, dans une atmosphère extrêmement lourde. C’est aussi le moment où la foudre a frappé les forêts de Californie et d’Oregon, causant de terribles incendies et une forte pollution. Et les manifestations se poursuivent à travers la circonscription, surtout à Portland. C’est une période marquée par de nombreux évènements inhabituels. Je me souviens d’une expression du gouverneur de Californie qui disait, en parlant des incendies, « this is America fast forward ». Avec une pandémie, une polarisation sociale très forte et le changement climatique, on a l’impression que c’est une capsule du monde à venir qu’on observe ici.

Comment la communauté française de votre circonscription vit-elle cette période ?

C’est un défi pour tout le monde, à beaucoup d’égards. Plusieurs familles françaises ont été évacuées en raison des feux. Nous avons aussi proposé de l’aide à des enseignants qui venaient d’arriver à Santa Rosa et qui ont dû abandonner leur maison. Triste hasard, j’ai visité peu après mon arrivée le vignoble Newton, dans la vallée de Napa : le domaine a entièrement brûlé huit jours après. Le groupe français Moët Hennessy est propriétaire du domaine et le Français Jean-Baptiste Rivail était en train de faire de ce vin un cru d’exception. Dans la récession économique qui découle de la pandémie de Covid-19, le milieu de la tech se porte relativement bien, avec des Français qui continuent de naviguer entre la Silicon Valley et Paris, mais l’autre vitrine de la France, les restaurateurs et les viticulteurs, souffrent.

Quelles seront vos mesures phares pour la circonscription ?

Première chose : répondre aux questions des Français et soutenir ceux qui essayent de circuler entre les Etats-Unis et la France, ceux qui n’ont pas réussi à obtenir un test virologique ou ceux qui souhaitent retrouver un amoureux en France – c’est un défi car nous sommes très peu d’agents et nous recevons chaque jour des dizaines de demandes en ce sens. Le deuxième point, c’est l’économie. Le plan de relance français fait des nouvelles technologies un pilier central du rebond de notre économie. A nous d’utiliser les rouages qui existent pour appuyer l’internationalisation de nos start-up – les Etats-Unis sont une porte incontournable pour les entreprises françaises qui souhaitent dépasser le marché européen – et inversement, présenter la créativité de nos entrepreneurs et l’expertise de nos ingénieurs aux venture capitalists et fonds d’investissements en quête de débouchés prometteurs. Le consulat joue là un rôle d’entremetteur. Une fonction capitale qu’il faut poursuivre avec Business France, la communauté French Tech San Francisco, la Chambre de commerce franco-américaine et les conseillers du commerce extérieur, via des rencontres, des visites et des incubateurs, virtuels pour le moment, et des invitations à la résidence consulaire dès que les circonstances le permettront à nouveau. Les investisseurs américains sont sensibles à cette forme de diplomatie économique. Ma troisième priorité, c’est la poursuite des projets culturels engagés. Le service culturel du consulat à San Francisco a été un creuset de projets emblématiques aux Etats-Unis, comme la Villa San Francisco, qui a placé San Francisco sur la carte des résidences françaises d’artistes, ou encore la Nuit des Idées, dont la dernière édition, en février à la Bibliothèque publique de San Francisco, avec plus de 5 200 participants, a marqué la vie culturelle de la ville. J’ai à cœur de faire vivre ces projets dans la durée, malgré le contexte que nous connaissons aujourd’hui.

Comment administre-t-on une circonscription consulaire sept fois plus vaste que la France ?

C’est une question centrale. Le consulat général de France à San Francisco est le consulat de toute la circonscription [qui regroupe plus de 60 000 Français]. Seattle compte une importante communauté française, tout comme Portland, et il y a aussi des Français à Boise, à Missoula, à Salt Lake City, à Hawaï, à Anchorage ou à Guam, puisque la circonscription s’étend à travers le Pacifique. J’ai l’intention de me rendre aussi vite que possible dans chacun des Etats de la circonscription. Nous avons des relais précieux sur place en la personne des consuls honoraires : ces bénévoles facilitent les démarches administratives des Français et ont un rôle fondamental dans la période actuelle.

Avant de prendre vos fonctions le 28 août dernier, quelle expérience aviez-vous de San Francisco ?

Mon expérience de San Francisco était celle d’un touriste ; j’y ai passé une semaine par-ci, quelques jours par-là, toujours intrigué par cette ville mystérieuse. Je retrouve facilement mes repères à New York, où j’ai vécu pendant cinq ans lorsque je travaillais à la Représentation permanente de la France auprès des Nations Unies, mais San Francisco offre une expérience nouvelle. Comme le suggère la chanson d’Hugues Aufray, c’est un long voyage pour arriver jusqu’à ce port du bout du monde. Et puis c’est une ville de collines et de vallées, une ville où le climat est déroutant : c’est un peu toujours l’été, un peu toujours l’hiver, avec un brouillard fascinant que les San Franciscains surnomment « Karl ». La ville a de nombreux visages et se prête à toutes les histoires ; d’innombrables réalisateurs y ont d’ailleurs installé leur scénario, Hitchcock, Fincher, Coppola… C’est un décor de cinéma. Mais je suis arrivé dans un contexte particulier où la vie s’est effacée dans ce décor. J’ai hâte de voir tous les acteurs revenir sur scène !