France-Amérique : Vous avez sorti le 22 avril votre sixième album, Arts martiens. Pouvez-vous nous expliquer le titre de cet opus ?
Imhotep : Le titre Arts martiens se réfère aux arts martiaux. D’abord, nous sommes assez décontractés dans notre manière de travailler, d’où notre côté martial qui s’est ressenti dans la structuration de certains morceaux. Ensuite, en ce qui concerne le jeu de mots « martials, martiens », tout simplement parce que l’on fait référence au style de rap typique de la cité phocéenne, c’est-à-dire Marseille, notre ville d’origine. Nous avons aussi rajouté le mot « arts », pour préciser que nous représentons toutes les variances du hip-hop. Ce titre, assez synthétique, reprend les trois références auxquelles on voulait faire allusion. Nos textes, axés sur les sentiments, marquent notre retour. C’est une production très familiale.
Lors de sa création, quelques turbulences ont apparues…
Akhenaton : Ce ne sont pas des turbulences, c’est plutôt un virage à 180 degrés. En effet, nous étions parti sur un projet réalisé à partir des musiques du légendaire chef d’orchestre italien Ennio Morricone. Ce qui, à notre tristesse, n’a pas pu se faire. Nous nous sommes donc retrouvés mi-septembre [2012] avec trois mois devant nous et des obligations, puisque nous avions réservé un studio à New York en janvier et que nous avions prévu de collaborer avec le célèbre ingénieur du son Prince Charles Alexander, aussi professeur à NYU et à Berklee, qui avait mixé L’Ecole du micro d’argent en 1997. On s’est alors demandé : est-on capables d’écrire un album en trois mois ? Une fois passé le cap de l’abattement des deux premiers jours, on s’est relevé puis on a retrouvé notre force de guerriers.
Shurik’n : C’était une ambiance très sportive, comme à l’usine… Ce revirement de situation, repartir à zéro, nous a tout de même permis de composer notre meilleur album. Sous la pression, en général, c’est là où nous ressortons toute notre puissance, un peu comme le font certaines équipes de foot. Cette montée d’adrénaline nous a justement permis de resserrer les liens. Une fois enfermés en studio, nous n’avons pas eu besoin de redéfinir les rôles, l’alchimie s’est tout de suite recréée comme il y a six ans. C’était un vrai challenge ! Cette rage nous a poussé à écrire 43 chansons en trois mois et demi.
Dans un entretien, vous avez déclaré écouter plus de rap américain que de rap français. Que puisez-vous dans le mouvement du rap aux Etats-Unis ?
Akhenaton : On a grandi à une époque où il y avait peu ou pas de rap français. Nous sommes donc habitués à écouter du rap américain depuis qu’on est gamins. Encore maintenant, on reste très influencés par ce qu’on entend. Le rap U.S., c’est très mobile, il ne cesse de se développer. Rien ne vaut le répertoire d’artistes old school new-yorkais comme Nas, The Notorious B.I.G, Big Daddy Kane ou AZ. Leurs morceaux sont des références. La base de notre rap, c’est le son de New York.
Kheops : L’ouverture d’esprit des rappeurs américains est un modèle pour nous. Method Man ou encore Redman ont l’habitude de tourner en Europe plus qu’aux Etats-Unis. Une fois, nous étions en concert en Espagne et ils sont venus nous voir pour nous soutenir et nous conseiller. Ce sont des gens très simples, accessibles, qui n’ont pas besoin de trois gardes du corps. Nous essayons de nous inspirer de ce tempérament et de cette âme positive qui règne dans le hip-hop américain. Comme on dit, « derrière le bonhomme, il y a l’artiste ».
Trouvez-vous que la France et les Etats-Unis ont un rapport différent à la culture hip-hop ?
Imhotep : Oui, d’un point de vue historique. Ce sont les artistes du Bronx à New York qui ont incorporé cette culture dans les années 1970. Aux Etats-Unis, le hip-hop se reflète à travers une filiation de musiques afro-américaines telles que le jazz, le blues, le funk, la soul, le rhythm and blues ou encore le reggae. Le hip-hop se retrouve quant à lui accroché à la dernière branche de l’arbre. Les Américains ne le voient pas comme un style de musique, mais comme un état d’esprit.
Akhenaton : La France considère encore le rap comme une culture d’animateurs sociaux qui ont de la chance et qui ont réussi dans leurs vies. Les gens ne le perçoivent pas comme un art à part entière. Malheureusement, ce sont des choses difficiles à combler, en tant que rappeur français. Jeudi dernier, nous sommes allés sur une terrasse hyper branchée appelée Boom Boom Room au Standard Hôtel dans l’East Village. Quoi de plus magique que de s’y assoir et d’écouter du bon hip-hop sous le soleil accompagnés par des personnes de toutes origines. En Europe, dans le même genre d’endroits, on te mettra de la lounge music bien souple, bien molle, bien flasque. C’est une sacrée différence !
Depuis votre premier album en 1991, le rap français a connu une certaine évolution. Comment le percevez-vous actuellement ?
Akhenaton : Il y a des artistes qui nous plaisent beaucoup, comme Orelsan ou Yousoupha par exemple, et d’autres qui nous impressionnent moins. C’est juste une question de goût. La France a de la chance d’être dotée aujourd’hui d’un rap un peu plus varié qu’il y a cinq ou six ans. On y retrouve une multitude de branches, de disciplines, de groupes qui composent une musique authentique avec des textes intelligents et des thèmes divers. Le rap français s’est débarrassé de cette forme de snobisme, de fierté, de clichés. Il prend aujourd’hui la même courbe que le rap américain qui, dans les années 2000, se perdait un peu.
Vous avez récemment tourné le teaser de votre titre « Notre Dame Veille » à New York. Akhenaton, vous avez composé un album intitulé We Luv New York avec Faf Larage en 2011. Et ce soir, vous chantez devant un public français à Central Park. La ville de New York doit forcément occuper une grande place dans votre coeur…
Akhenaton : C’est vrai. A nos débuts. Kheops et moi avons sorti notre premier disque à Brooklyn en 1987. Bizarrement, notre retour 25 ans après sur la scène de Central Park est un cycle qui se boucle. New York incarne tous les principes auxquels je crois et que je respecte. Cette ville m’a donné ma première chance. Elle m’a autorisé à exprimer librement mes idées. Des rappeurs américains comme Rakim ou encore Talib Kweli m’ont accueilli comme un des leurs. Je ne l’oublierai jamais.
Shurik’n : Nous entretenons une relation à la fois musicale et affective avec New York. Cette atmosphère, cette ambiance, cette culture du hip-hop, notre inspiration pour nos textes se trouvent très rapidement dans ses rues. C’est ici que tout a démarré pour nous. Ce qui est assez drôle puisque nous n’avons jamais organisé de concert à New York jusqu’à ce soir. Sachant la grande communauté française présente à New York, je pense qu’une forte émotion va se ressentir des deux côtés. Nous sommes agréablement surpris de savoir que nous y avons encore notre place vu le monde qui arrive.
Après 25 ans de carrière, pouvez-vous nous révéler votre secret ?
Akhenaton : Notre amitié, notre confiance et notre complicité artistique constituent un atout important. Nous nous comprenons et nous n’avons pas peur, en cas de désaccord, de crever l’abcès. Lorsqu’on fait du rap, il est très important de mettre son égo de côté. Le plaisir reste au centre de nos préoccupations, donc cela mène forcément à une durabilité. Nous ne sommes jamais basés sur les enjeux. Nous sommes sanguins. Nous arrivons à maintenir le cap dans les bons comme dans les mauvais moments.
Shurik’n : On nous décrit souvent comme les anciens du rap français. Nous avons grandi avec ce style de musique et pour l’instant, arrêter n’est pas envisageable. Nous sommes très fiers de cet album et ravis d’être sur scène.