Icône

« Il y a une part de moi dans Pierre Cadault »

Dès la première saison, arrivée sur Netflix en octobre 2020, le personnage du créateur de mode parisien Pierre Cadault s’est imposé comme une figure culte de la série Emily in Paris. Du nom de son iguane à sa querelle avec Valentino en passant par sa liaison avec Elton John, les fans n’ignorent rien du passé et de l’actualité haute en couleur de ce couturier fictif plus vrai que nature. Rencontre, à Paris, avec Jean-Christophe Bouvet, l’acteur français qui incarne à l’écran l’extravagant Pierre Cadault.
[button_code]
Jean-Christophe Bouvet. © David Balicki

France-Amérique : Votre carrière compte plus de 70 longs métrages, autant de projets pour la télévision, une dizaine de rôles au théâtre, des incursions dans le domaine du cinéma d’auteur et des interprétations remarquées dans des succès auprès du grand public. Qu’est-ce qui vous a amené au rôle de Pierre Cadault ?

Jean-Christophe Bouvet : J’ai commencé à avoir des propositions de la part du cinéma américain après ma participation en 2006 au film Marie-Antoinette de Sofia Coppola, où j’incarnais le duc de Choiseul. Mais je dois avouer que lorsque j’ai été appelé, durant l’été 2019, en vue de réaliser des essais pour Emily in Paris, je n’avais qu’une idée vague de ce que le personnage offrait de possibilités. J’étais peu familier avec le monde de la mode et je n’avais jamais incarné de rôle s’approchant de près ou de loin de la création. Mais dès mes premières répliques, Darren Star [le créateur de la série] a insisté pour que j’aie le rôle. J’ai donc été choisi sur-le-champ et depuis je m’amuse beaucoup.

A qui ou quoi avez-vous pensé pour camper ce personnage souverain et extravagant ?

Il faut reconnaître qu’il y a une part de moi dans Pierre Cadault : sa sensibilité, son caractère extraverti… Pour le reste, il m’a suffi de m’inspirer de certains aristocrates que j’ai bien connus dans ma jeunesse, tel le comte de Bervard ou le comte de Taille. Ils connaissaient les règles de l’étiquette sur le bout des doigts et savaient se montrer féroces vis-à-vis de ceux qui ignoraient le savoir-vivre.

Comment expliquez-vous la popularité du personnage de Pierre Cadault ?

Aux yeux d’une grande partie du monde, la France est encore aujourd’hui considérée comme la patrie de la haute couture, au moins pour les femmes. En tant que créateur, Pierre Cadault incarne la quintessence de notre pays. Il est normal qu’il soit la synthèse de tout ce qu’on peut envier ou reprocher aux Français : leur sens du raffinement, leur goût de la qualité, mais aussi une certaine arrogance. Et puis n’oublions pas que, dans la série, Pierre Cadault, dont les créations sont en perte de vitesse, renoue avec le succès grâce à l’intervention d’Emily Cooper, venue de Chicago. Donc le parcours de Pierre Cadault souligne une nouvelle fois les liens forts d’amitié et de coopération entre nos deux pays.

© Marie Etchegoyen/Netflix
© Stéphanie Branchu/Netflix

On murmure que votre personnage a été inspiré par Karl Lagerfeld…

Il est vrai qu’il peut se montrer délicieusement snob et qu’il aime se rafraîchir à l’aide d’un éventail, mais la ressemblance, je crois, s’arrête là. En fait, Pierre Cadault emprunte à beaucoup de créateurs français : ses initiales sont celles de Pierre Cardin, mais l’orthographe de son nom rappelle celle de Jean-Paul Gaultier. Dans la saison 3, le décor de la rétrospective Pierre Cadault a été inspiré à la production par l’exposition dédiée en 2017 au 70e anniversaire de la marque Dior, au musée des Arts décoratifs de Paris. Et on pourrait aussi relever le clin d’œil à Yves Saint-Laurent. Comme il ne supportait pas l’idée de la mort, il a fait remplacer son bouledogue français par un animal identique baptisé lui aussi Moujik. Durant la vie du couturier, il y eut quatre Moujik ! C’est la même chose avec Evangelista, l’iguane de Pierre Cadault, dont les équipes s’ingénient à masquer la disparition…

Que nous dit le personnage de Pierre Cadault sur la mode d’aujourd’hui ?

On voit à travers la série que c’est un univers redoutable : il faut sans cesse se renouveler, se remettre en cause et la concurrence y est extrêmement rude. Pierre Cadault doit constamment affronter son jeune protégé et rival, Grégory Elliott Duprée. En même temps, la série drape le travail de création d’une sorte de mystère mêlant magie et excellence. On sent, de la part de la réalisation, un vrai respect pour la mode. Il faut saluer ici le travail de Marylin Fitoussi qui conçoit, depuis les premiers épisodes, les tenues de mon personnage.

Comment croyez-vous que les créateurs regardent ce qui, à certains égards, pourrait ressembler à une caricature de leur profession ?

Ils adorent ! Je ne cesse d’être invité à leurs défilés. En janvier dernier, Guillaume Henry, le directeur artistique de Patou, s’est arrêté à ma hauteur lorsqu’il a traversé le podium et s’est prosterné devant moi ! Et c’est la même chose pour le public. A Paris comme à New York, les téléspectateurs ont une tendresse particulière pour mon rôle. Dernièrement, un fan m’a arrêté en pleine rue, à Manhattan, et en découvrant ma tenue s’est écrié : « Mais je ne savais pas que vous étiez couturier pour de vrai ! » Il faut dire que ce jour-là j’avais choisi des vêtements assez peu discrets…

© Stéphanie Branchu/Netflix
© Carole Bethuel/Netflix

Pierre Cadault évolue au quotidien dans un monde fait de splendeur. Votre rôle dans la série vous a-t-il donné le goût du luxe ?

Je crois avoir toujours apprécié les belles choses. Mes parents m’ont raconté que j’avais été conçu au Negresco [l’un des principaux palaces de Nice]. Ça doit venir de là. Durant mon adolescence, j’ai été exposé à des milieux sociaux très différents : depuis la bourgeoisie jusqu’à la vieille aristocratie française en passant par le monde du spectacle. J’ai choisi en chacun le meilleur. Je suis heureux partout ! C’est ce qui me permet d’apprécier de jouer pour le cinéma d’auteur comme pour Emily in Paris, où les conditions sont particulièrement confortables. Sur le plateau, en dehors des comédiens, une centaine d’assistants et techniciens se tiennent à l’écoute de nos besoins ou suggestions. On prend vraiment soin de nous. En disant cela, une image me revient : durant la pandémie, il nous est arrivé de devoir tourner. Afin de respecter les règles de distanciation, la production a fait convertir la cathédrale américaine de Paris et sa nef magistrale en un réfectoire où chacun était en mesure de se sustenter sans rien craindre de la proximité des autres commensaux. Royal, non ?

Pour finir, quel est votre lien à la langue anglaise et aux Etats-Unis ?

D’abord, je tiens à préciser que j’ai fait des études de sémiologie et que c’est en tant que linguiste que je suis tombé amoureux de l’anglais, en suite d’un premier séjour à Londres quand j’avais 17 ans. C’est une ville que j’aime beaucoup et où j’ai passé, si j’additionne mes différents séjours, près de six années de ma vie. Mais je dois sans doute aux Etats-Unis ma vocation d’acteur. Il se trouve en effet que j’avais une tante qui était partie faire carrière à Broadway dans les années 1930 sous le nom de « Bobette Christine ». Je me souviens très bien de nos rencontres lors de ses passages à Paris, de l’aura qui entourait à mes yeux sa personne. Nul doute qu’elle a fait forte impression sur l’enfant que j’étais. Vous voyez donc que je renoue avec mes liens du sang !


Entretien publié dans le numéro de septembre 2023 de France-AmériqueS’abonner au magazine.