Le personnage du Père Noël descendrait de l’évêque Nicolas de Tyre qui vécut au IVe siècle. Les historiens s’accordent à le faire naître entre 250 et 270 en Lycie, au sud-ouest de l’actuelle Turquie et à le reconnaître comme évêque de Myre vers 315. Fait rarissime, le 6 décembre l’Eglise fête non pas le jour de sa naissance mais celui de sa mort. Populaire, Saint Nicolas avait la réputation d’un faiseur de miracles. Son fait le plus célèbre est la résurrection de trois jeunes garçons tués et mis au saloir par un boucher. Cet épisode lui valut d’être considéré comme le patron des écoliers.
Nicolas, un saint péripatétique
A la fin du XIe siècle, ses reliques furent transférées à Bari, au sud de l’Italie. Son culte se propage au nord de l’Europe au moment des Croisades, en particulier en Lorraine dont il devint au Moyen-Age le saint patron. On lui attribue un miracle : la libération des assaillants bourguignons de la ville de Nancy, capitale du duché de Lorraine. La basilique de Port, à une dizaine de kilomètres de Nancy lui fut consacrée au XVe siècle. De nos jours, on peut encore y admirer le vitrail représentant Nicolas, portant la crosse et la mitre d’évêque. La ville de Port, désormais appelée Saint-Nicolas-de-Port, célèbre pour ses foires et marchés, colporte son culte au-delà du duché, en Allemagne, Belgique, Pologne et aux Pays-Bas, où il se fit connaître sous le nom de Sinter Klaas.
Le culte de Nicolas n’échappera pas aux bouleversements de l’histoire religieuse en Europe. En Allemagne, où la Réforme du moine Martin Luther interdisait d’adorer la figure d’un saint, Nicolas fut remplacé par le ChristKindl (L’Enfant Jésus). Mais alors que saint Nicolas était « chassé » des régions protestantes luthériennes, paradoxalement, les Pays-Bas, pourtant à majorité calviniste, l’accueillirent favorablement. Le tableau La Fête de Saint Nicolas, exécuté au XVIIe siècle par Jan Steen, met en scène pour la première fois une famille en train de célébrer la fête de saint Nicolas. On y voit un enfant pleurer après avoir reçu une verge en guise de cadeau, alors qu’une petite fille serre tendrement dans ses bras, telle une poupée, une miniature à l’effigie du saint évêque.
Lorsque, fuyant les persécutions religieuses au XVIIe siècle, les Hollandais calvinistes partirent pour le Nouveau Monde, ils emportèrent dans leurs bagages la légende et les hauts faits de Sinter Klaas. Ces émigrants, fondateurs de Nieuw Amsterdam (la future New York) l’introduisirent mais son nom fut déformé du hollandais et américanisé en Santa Claus. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, à l’époque de la Révolution de 1776, Santa Claus devint le symbole de la résistance américaine contre l’occupant anglais ! Saint Nicolas fut « emprunté » à cette tradition hollandaise introduite en Amérique par les premiers immigrants hollandais dans un but politique : une sorte d’antidote à Noël, fêté par l’ennemi anglais et la monarchie coloniale britannique. Sa nouvelle renommée s’étendit dans le Nouveau Monde.
Un Santa Claus truculent
Plus d’un siècle s’était écoulé lorsque l’écrivain Washington Irving publia en 1809 Histoire de New York, racontée sur le mode comique par le supposé historien Dietrich Knickerbocker (pseudonyme de Washington Irving). L’ouvrage contribua à populariser le personnage de Santa Claus et à lui octroyer un rôle tout à fait inédit. En narrant l’histoire humoristique de la fondation de New York, Washington Irving amorçait la transition sous forme littéraire, de Saint Nicolas à Santa Claus. Dans son ouvrage, Irving raconte l’odyssée d’un équipage hollandais quittant Amsterdam au XVIIe siècle pour rejoindre l’Amérique. Saint Nicolas, ou Sinter Klaas de son nom néerlandais, est la figure de proue de leurs navires, les protégeant contre la tempête.
Le saint apparaît en songe à un marin endormi et lui fait part de son souhait de voir s’établir ces émigrants hollandais afin qu’ils construisent une ville, dans l’île de Mana-Hatta (Manhattan). En échange, Sinter Klaas promet de leur rendre visite chaque année sur son char céleste et de descendre par les cheminées de cette nouvelle ville, pour livrer des cadeaux aux enfants. Quelques années plus tard, en décembre 1823, Clement Clark Moore, professeur au collège épiscopalien de New York, publie dans un journal de l’Etat de New York, The Sentinel, un poème intitulé « La Nuit d’avant Noël » qu’il destinait à ses propres enfants. Il y présente un Santa Claus inédit, bonhomme jovial aux joues rubicondes : « He had a broad face and a little round belly; That shook when he laughed, like a bowlful of jelly! He was chubby and plump, a right jolly old elf.«
On ne reconnaît plus dans ce poème inspiré de personnages légendaires du folklore des communautés allemandes, hollandaises, norvégiennes installées aux Etats-Unis, l’austère évêque de Myre ! Le poème connut un succès immédiat et joua un rôle prépondérant dans l’introduction d’un Santa Claus corpulent et truculent dans l’imaginaire collectif américain. Notons qu’aucune mention de la couleur de son habit n’est faite mais cela va évoluer au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. A la même époque, en Angleterre où on l’appelle Old Father Christmas – inspiré sans doute du dieu scandinave Odin – Santa Claus est souvent habillé de vert, portant une couronne de houx sur la têt. Cette figure païenne illustre de nombreuses images victoriennes.
Thomas Nast, le Daumier américain
Bientôt, de nombreux artistes américains s’emparent du personnage. Le plus connu d’entre eux est un caricaturiste d’origine germanique, Thomas Nast (1840-1902), le père du dessin humoristique (cartoon en anglais). Il créa le symbole de l’éléphant républicain et de l’âne démocrate et popularisa la figure de l’Oncle Sam.
Nast complétera la métamorphose Saint-Nicolas/Santa Claus pour le magazine Harper’s Weekly : de 1862 à 1886, Nast réalise trente-trois dessins sur le thème de Santa Claus. En pleine guerre de Sécession, un dessin de Nast datant de 1862 montre Nicolas en colporteur aux couleurs du drapeau américain, se transformant sur la couverture du Harper’s Weekly en héros de l’Union (nordiste anti-esclavagiste). Selon les mots du président Lincoln, Santa Claus devient « son meilleur agent recruteur » ! Santa Claus y apparaît mélancolique face à la séparation des soldats et de leur famille, et distribuant des cadeaux aux soldats unionistes.
Puis le style de Nast évolue et Santa Claus perd de son austérité. Il prend de l’embonpoint, se laisse pousser la barbe, s’habille de fourrure et garde son sac de colporteur sur l’épaule : « A right jolly old elf ». Nast fixera cette métamorphose dans ses meilleurs portraits, mettant parfois en scène ses propres enfants et sa maison familiale de Morristown, dans le New Jersey. Sur une couverture du numéro de Noël du Harper’s Weekly, il se représente devant une cheminée, tenant une longue pipe en écume de mer (meershaum) très populaire en Allemagne et en Hollande. Et, en décembre 1884, mélangeant allègrement traditions et vie moderne, Nast n’hésite pas à représenter Santa en conversation au téléphone, nouvelle invention de l’époque !
En 1885, Santa Claus quitte les rues de New York pour le pôle Nord, une région encore nimbée de mystères. Rappelons que durant les années 1840-1850, une série d’explorations de l’Arctique capte l’intérêt du public pour cette région. L’année suivante, l’écrivain George Webster reprit l’idée de Nast, précisant que la manufacture de jouets et la demeure du Père Noël, le reste de l’année, étaient enfouies dans les neiges du pôle Nord.
Parallèlement, Louis Prang (1824-1907), l’homme qui introduisit les cartes de Noël aux Etats-Unis en 1875, participa lui aussi à la construction du « cliché » en montrant le bonhomme Santa dans un cadre enneigé et glacé et le revêtant d’un grand manteau à capuchon ourlé de fourrure blanche, de bottes et d’un sac de toile pour les jouets. L’ancien évêque Nicolas, privé de sa mitre et de sa crosse, est méconnaissable en grand-père jovial à la barbe blanche.
Coca-Cola s'approprie Santa Claus
L’origine de la couleur rouge des habits du Père Noël est un mystère. Les illustrations de Nast dans le Harper’s Weekly était imprimées en noir et blanc. Les vêtements du Père Noël de Nast n’étaient ni rouges (comme plus tard ceux du Père Noël de Coca-Cola), ni verts (comme souvent ceux de Saint Nicolas) mais bruns à poils courts, conformément à la description donnée dans le poème de Clement Clark Moore intitulé The Night Before Christmas sous le titre A Visit from St. Nicholas (vers 1880) : « He was dressed all in fur, from his head to his foot, And his clothes were all tarnished with ashes and soot. » (Il était revêtu de fourrure de la tête aux pieds, Et ses habits étaient recouverts de cendres et de suie.)
En 1875, le père de la carte postale américaine Louis Prang édita une série de cartes postales de Noël avec un Père Noël au costume rouge. A-t-il inventé la couleur rouge du costume ? Probablement pas, mais c’est lui que l’histoire retient. En 1931, Coca-Cola décide d’élargir son marché aux enfants. La firme d’Atlanta demande à Haddon Sundblom, illustrateur d’origine suédoise, de représenter un Père Noël bedonnant, souriant, vêtu de rouge, aux joues rubicondes et au regard malicieux. Sundblom s’inspire des illustrations américaines, et de celles d’une de ses compatriotes nommée Jenny Nyström (1854-1946). Celle-ci publia, à partir de 1881, des cartes postales représentant des elfes nordiques qui empruntaient également à la tradition de saint Nicolas. Ses peintures restent populaires en Suède aujourd’hui, où on les réimprime chaque année.
Surtout, les couleurs rouge et blanche de la marque Coca-Cola fixèrent celles de l’uniforme du Père Noël contemporain. Quant à la France, elle reprit le thème de Santa Claus aux bonnes grosses joues, en habit rouge et portant une hotte remplie de jouets et le renomma officiellement « Le Père Noël ». Aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, la figure de Santa Claus s’impose au même titre que Coca-Cola et le chewing-gum, preuve que sa popularité est liée au prestige dont l’Amérique jouissait en France dans l’immédiat après-guerre.
Article publié dans le numéro de décembre 2015 de France-Amérique. S’abonner au magazine.