« Offrez à votre maison le traitement royal grâce à nos collections antiques et notre linge de maison royal pour le lit, le bain et la table. Inspiré par les chambres les plus élégantes au monde. » C’est ainsi qu’une boutique new-yorkaise présente ses serviettes, couvertures et taies d’oreillers « inspirées par Versailles ». En stock également : une nappe « Château Blanc », des draps « Richelieu » et une parure de lit « Antoinette ».
Les symboles de la royauté française, brûlés pendant la Révolution, ont été récupérés par la publicité. Louis XV aide à vendre des meubles de style. Versailles prête son nom aux bijoux « uber-sophistiqués » de l’enseigne américaine Brighton et à la salle de réception d’un hôtel Ramada dans le New Jersey. Et que penser de ce poulailler inspiré par le Petit Trianon, vendu 100 000 dollars chez Nieman Marcus ?
Marie-Antoinette, icône de supermarché
Dans cette débauche de marketing, Marie-Antoinette est souveraine. La reine mal aimée, critiquée pour ses dépenses extravagantes et décapitée en 1793, s’est muée en icône de mode : Karl Lagerfeld s’en inspire dès 1988 et Madonna lui rend hommage en 1990 dans une improbable performance mêlant robes à panier et house music sur le titre « Vogue ». Mais Marie-Antoinette est aussi une icône de supermarché. Son visage orne des assiettes, des parapluies, des cartes de vɶux, des brosses à cheveux et des porte-savons. Quant à sa célèbre réplique apocryphe, « Qu’ils mangent de la brioche » (« Let them eat cake« ), elle a inspiré un parfum « décadent » et une crème hydratante pour les mains.
« C’est ironique, mais le phénomène a des racines historiques », rappelle Antoine de Baecque, professeur d’histoire du cinéma à l’Ecole Nationale Supérieure et commissaire de l’exposition Marie-Antoinette : métamorphoses d’une image, organisée à la Conciergerie à Paris l’hiver dernier. « Marie-Antoinette était une femme de communication, soucieuse de sa réputation et qui s’est entourée d’artistes qui ont façonné son image et mis en valeur sa figure d’indépendance. On pense à la peintre Elisabeth Vigée Le Brun, à la couturière Rose Bertin et au coiffeur Léonard. »
Il faudra attendre les années 1970 et un manga japonais, La rose de Versailles, pour qu’émerge l’image romantique de Marie-Antoinette. Aux antipodes du personnage politique conspué par le peuple, elle se présente sous les traits d’une jeune femme moderne et émancipée qui se bat contre l’adversité. Une sorte de Carrie Bradshaw en perruque poudrée qui, comme l’héroïne de la série Sex and the City, vit sa vie comme elle l’entend. « C’est ce portrait qui a infusé la culture populaire et qu’on retrouve au cinéma chez Sofia Coppola, dans la mode et dans la publicité. »
Versailles, victime de son image vétuste
Associée au raffinement, au luxe et à l’élégance, la monarchie française a longtemps fait le bonheur des publicitaires américains. Avant de tomber en désuétude. « La marque Versailles », explique Julien Delatte, fondateur de la société de conseil aux marques One Thing at a Time et ancien directeur de la stratégie à l’agence de publicité McCann à New York, « a été tellement utilisée qu’elle a perdu son sens et sa valeur ».
Toutes les marques qui se réclament de la cour ne sont pas galvaudées. La maison Cire Trudon, héritière de la Manufacture royale des cire, produit des bougies depuis 1643 et joue avec élégance de son passé historique avec des noms de bougies tels que « La Marquise », « Trianon » et « Mademoiselle de La Vallière ». Ladurée doit son salut à la pop culture : le pâtissier n’a jamais servi Marie-Antoinette, mais ses macarons ont fait une apparition très remarquée dans le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola. On y voit l’actrice Kirsten Dunst dans le rôle-titre, en robe haute couture et Converse aux pieds, se régaler de ces douceurs multicolores. Même Parfums de Marly, ainsi nommé en référence à Louis XV bien que fondé en 2009, tire son épingle du jeu avec des fragrances nobles et originales.
La référence à la monarchie est moins habile lorsqu’elle sert de rustine à une enseigne de mauvais goût. « Estampiller sa marque d’un label France ou Versailles pour faire haut de gamme n’est plus aussi efficace qu’il y a trente ans », selon Julien Delatte. « Les marques qui sursignifient leur lien à la France sont souvent déjà ringardes. »
Article publié dans le numéro de juillet 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.