Entrepreneur

La Franco-Américaine qui séduit les grands restaurants

Après avoir dirigé deux start-up européennes à succès, Christine de Wendel est revenue aux Etats-Unis pour lancer un système de paiement par QR code.
[button_code]
Christine de Wendel. © Sunday

C’est un petit carré qui occupe une place de plus en plus grande dans nos vies. Le QR code, mosaïque de pixels noirs et blancs lisible par tous les téléphones portables, est devenu omniprésent avec la pandémie de Covid, que ce soit pour lire la carte d’un restaurant ou montrer son statut vaccinal. Et, demain, pour payer l’addition sans avoir à sortir sa carte de crédit. C’est le pari de Christine de Wendel, cofondatrice de la start-up Sunday, qui propose aux restaurateurs un nouvel outil de paiement sans contact. Lancée en France l’année dernière, Sunday est arrivée cet été aux Etats-Unis, où travaille une partie de l’équipe. La start-up, qui a levé 120 millions de dollars en moins de six mois, a en effet choisi, dès le départ, d’être franco-américaine. A l’image de sa dirigeante.

Si elle est née à Atlanta, où elle s’est réinstallée à l’automne 2020, Christine de Wendel a été pendant dix ans une des femmes qui comptent dans le milieu français de la tech. C’est l’une des rares à avoir occupé des postes de direction dans deux « licornes », ces jeunes entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars : d’abord Zalando, géant allemand du e-commerce spécialisé dans la mode, puis ManoMano, spécialiste du matériel de bricolage et de la décoration.

Rien ne prédisposait cette quadra enthousiaste, qui ponctue ses phrases de mots comme « génial », « fabuleux » et «magique », à faire carrière dans les nouvelles technologies. Née d’un père autrichien entrepreneur, parti aux Etats-Unis « pour vivre son rêve américain », et d’une mère française, elle suit des études de relations internationales dans la capitale américaine à l’université de Georgetown puis à la London School of Economics. Ce parcours la mène jusqu’à Paris, sur les bancs de Sciences Po. Un double coup de foudre. « J’ai adoré », explique-t-elle. « J’avais vingt ans et j’habitais le Quartier latin ; c’était une vie parisienne de rêve ! Et j’ai rencontré mon mari. »

Le pari d’un profil franco-américain

Avec son diplôme, elle décroche aussi son premier emploi, dans un secteur très éloigné de ses études : le conseil en stratégie, pour le groupe américain Bain & Company. « J’ai été recrutée un peu par hasard. J’étais un oiseau exotique, mais ils ont fait le pari d’un profil franco-américain, avec un parcours différent des grandes écoles de commerce. » Jeune mariée, elle enchaîne avec trois années à New York : « On avait moins de trente ans et on découvrait la ville : c’était absolument génial ! »

Le couple revient en France pour reprendre des études de commerce, avec un MBA à l’INSEAD, à Fontainebleau. Dès la sortie, alors qu’elle vient d’avoir son premier enfant, Christine de Wendel est recrutée par Zalando, vendeur en ligne de chaussures et de vêtements qui vient alors d’arriver en France. « Ils voulaient des cadres qui comprennent la culture des pays où ils s’installent, tout en étant capables de travailler avec le siège en Allemagne. » Elle y restera sept ans. Elle est d’abord directrice des achats, puis directrice générale pour la France, participant à la croissance spectaculaire du groupe, qui passe d’une centaine de salariés à plus de 12 000 et de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires à quatre milliards. « J’ai eu mes deux autres enfants pendant ces sept ans, donc la période a été productive dans tous les sens du terme ! » Seul inconvénient : elle doit faire chaque semaine la navette entre Paris et Berlin – un rythme épuisant.

« Quand mon troisième enfant est arrivé, je me suis dit qu’il fallait que je trouve une entreprise avec autant de potentiel que Zalando, mais implantée à Paris. » Ce sera ManoMano, qui commence alors à percer sur le marché du bricolage et du jardinage. L’histoire se répète : nommée directrice opérationnelle, Christine de Wendel gère l’hypercroissance d’un groupe dont le chiffre d’affaires passe de 300 millions à 1,2 milliard d’euros. Elle décrit cette expérience comme « une lune de miel, avec une culture d’entreprise fabuleuse. »

sunday-tigrane-seydoux-victor-lugger-christine-de-wendel
Christine de Wendel et ses collègues et cofondateurs de Sunday, Tigrane Seydoux (à gauche) et Victor Lugger (au centre). © Sunday

Retour à ses sources américaines

L’envie d’un retour aux sources sera plus forte. « J’ai toujours voulu que mes enfants grandissent aux Etats-Unis et qu’ils connaissent les valeurs qui vont de pair avec une éducation américaine : l’optimisme, l’enthousiasme et a confiance en soi. Avec mon mari, on s’était donné 2020 comme date butoir, donc j’ai quitté ManoMano et nous nous sommes installés à Atlanta. » Un « saut dans l’inconnu » professionnel, même si elle connaît bien la capitale de la Géorgie, où elle a grandi. Autre avantage, Atlanta est un vivier de start-up : la ville a vu éclore dix licornes en moins de dix ans. L’endroit idéal pour fonder sa première entreprise avec deux associés parisiens : Victor Lugger, qu’elle a rencontré en suivant le programme Young Leaders de la French American Foundation en 2018-2019, et Tigrane Seydoux.

Au début de la crise sanitaire, le duo à l’origine des restaurants italiens Big Mamma en Europe a l’idée d’utiliser les QR codes pour régler l’addition. Il s’agissait avant tout de limiter les risques de contamination, mais très vite, ils s’aperçoivent que le système plaît aux clients : plus besoin d’attendre que le serveur apporte la note ! Le paiement par code accélère aussi la rotation des tables et augmente le niveau moyen des pourboires. Ils décident alors d’en faire une entreprise, Sunday, et de confier à Christine de Wendel son développement sur le territoire américain. « On a démarré avec un état d’esprit transatlantique », explique-t-elle. Le projet et le discours ont séduit les investisseurs : après un premier tour de table de 24 millions de dollars en avril, l’entreprise a levé 100 millions supplémentaires cet automne. Des fonds nécessaires pour aller vite et se développer à l’international : outre les Etats-Unis et la France, Sunday est présente au Royaume-Uni, en Espagne et au Canada, et emploie 170 salariés. Plus de 1 500 restaurants utilisent déjà son application, un chifffre qu’elle compte multiplier par dix d’ici à la fin 2022.

Après dix ans à Paris, Christine de Wendel trouve « très rafraîchissant » d’être confrontée au monde des affaires américain, dont elle salue l’audace et l’ambition. Autre changement notable : « Ici, dans le monde des start-up, le fait que je sois une femme n’est pas du tout l’exception. J’ai eu la chance de travailler dans des entreprises géniales, mais la réalité est qu’il y a encore trop peu de femmes dans la scène tech française ! »


Article publié dans le numéro de novembre 2021 de France-AmériqueS’abonner au magazine.