Entretien

« Le Texas est un excellent point d’atterrissage pour les entreprises françaises »

Le Texas est le deuxième Etat américain – derrière la Californie et devant New York – en termes d’emplois créés par des entreprises françaises : 64 400 en 2020. Or, la région est méconnue des entrepreneurs en France, davantage attirés par les côtes. C’est ce qu’entend changer Franck Avice, patron du métro parisien pendant près de dix ans avant d’être élu en 2019 président de la chambre de commerce franco-américaine à Houston.
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© Austin Distel

France-Amérique : Pourquoi le Texas n’attire pas autant les entrepreneurs français que la Silicon Valley ou la côte est ?

Franck Avice : Cet Etat communique peu. Par ailleurs, le Texas est encore perçu en France comme un Etat extrêmement conservateur, tourné vers les énergies fossiles. Ce qui ne correspond plus à la réalité. Houston est la première ville américaine en termes de diversité ethnique et culturelle, avec près de 120 communautés différentes, et elle ambitionne d’être non plus la capitale du pétrole, mais la capitale des énergies bas carbone et de la technologie. Selon les estimations, la population de Houston passera de 7 à 11 millions d’ici 2040 – Houston dépassant Chicago pour devenir la troisième ville des Etats-Unis – et celle du Texas de 27 à 40 millions. Cela représente beaucoup d’opportunités, pour l’industrie mais aussi les services, la restauration ou l’importation de vins et de spiritueux.

Dans ce contexte de croissance, quel est le rôle de la chambre de commerce franco-américaine ?

Notre mission est de créer un réseau d’affaires, de renforcer les liens économiques entre la France et le Texas et de valoriser l’expertise des entreprises françaises présentes sur place. Air Liquide dans le domaine de l’hydrogène, ENGIE [anciennement GDF-Suez] sur les énergies renouvelables, ou encore Total sur la séquestration du dioxyde de carbone, sont parmi les leaders de la transition énergétique. Dans le domaine de la santé, nombre d’entreprises françaises aident et alimentent en nouvelles technologies le Texas Medical Center de Houston, le premier centre médical au monde par sa taille. L’expertise de nos entreprises est aussi reconnue dans le domaine de la ville intelligente, de l’intelligence artificielle avec notamment Schneider Electric, ou de l’aéronautique avec Airbus Helicopters et Safran dans la région de Dallas-Fort Worth. Autant de secteurs où la France peut aider de manière significative un Etat comme le Texas.

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Franck Avice. © Jean-François Mauboussin

La réciproque est vraie : la chambre aussi aide à mieux faire connaître le Texas en France…

En effet, je suis intervenu plusieurs fois dans des évènements de la Banque Publique d’Investissement à Paris et auprès d’accélérateurs comme Station F pour présenter le Texas. J’essaye de faire comprendre aux entrepreneurs français qui veulent se développer aux Etats-Unis qu’il n’y a pas que la Silicon Valley et la côte est : il y a aussi la troisième côte américaine, le golfe du Mexique. Le Texas est un excellent point d’atterrissage. L’Etat est business-friendly et offre un important tissu industriel qui permet aux entreprises d’avoir accès assez facilement à des donneurs d’ordres, des contrats et des financements. Il y a énormément d’argent lié à l’industrie du pétrole et du gaz, avec beaucoup de capital-risqueurs dans ce domaine qui sont en train de diversifier leurs investissements.

Qui sont les membres de la chambre ?

Nous avons toutes les grandes entreprises françaises du domaine de l’énergie – EDF, ENGIE, Total, Schlumberger – et des services à l’énergie – Air Liquide, Vallourec –, ainsi que des entreprises américaines comme Westlake Chemical. Nous comptons aussi des fournisseurs de services comme JLL, des cabinets d’avocats et de conseil comme KPMG ou Sia Partners, qui ont ouvert un bureau à Houston en 2014. La majorité de nos membres sont des grandes entreprises, mais nous avons aussi des PME et des entrepreneurs individuels, dans le commerce de bouche et la restauration, les alcools, mais aussi des gens qui fabriquent des capteurs ou font de la surveillance de pipelines par drone. La moitié de nos 200 membres sont des entreprises américaines. La francophilie joue en notre faveur : nombre de chefs d’entreprise américains apprécient la culture française et possèdent des appartements à Paris ou des maisons en Provence. On en profite pour leur montrer que la France n’est pas que le pays du fromage et du bon vin ; c’est aussi le pays de la technologie !

La chambre de commerce franco-américaine de Houston a récemment étendu ses activités à l’ensemble du Texas. Expliquez-nous cette décision.

Houston est une ville importante, mais elle ne représente qu’une fraction du Texas. Un réseau global signifie plus d’influence auprès des autorités locales et une force pour les entreprises en temps de crise. La pandémie a considérablement impacté nos membres et notre activité. Nous avons résisté grâce à l’aide gouvernementale PPP [Paycheck Protection Program], mais il nous faut grossir pour être plus résilients face aux chocs. Nous visons un doublement du nombre de nos membres et de nos revenus dans les cinq ans à venir. Nous avons ainsi créé une plateforme de services pour aider les entreprises françaises à s’implanter au Texas, à recruter, à trouver des locaux, etc. Nous mettons des bureaux à disposition de start-up qui souhaitent se lancer et nous les accompagnons dans leur développement ; nous aidons aussi des entreprises plus importantes à identifier des start-up françaises qui correspondent à leurs besoins. Nous proposons enfin des cours de français des affaires, une prestation très recherchée par les Américains. A l’avenir, la logique voudrait qu’on ait une antenne dans chaque grande ville de l’Etat, y compris à El Paso, qui est plus proche de San Diego que de Houston.

Quelle expérience des Etats-Unis aviez-vous en arrivant en 2019 ? Quel est votre parcours ?

C’est ma première expatriation ! Avec ma femme, nous avions ce rêve de passer quelques années aux Etats-Unis. Alors quand elle a été nommée présidente-directrice générale d’ENGIE North America à Houston, j’ai démissionné de la RATP – j’étais alors directeur général adjoint en charge du métro et du service aux clients – et nous avons fait nos bagages. En arrivant à Houston, j’ai fait du conseil auprès du Greater Houston Partnership, la chambre de commerce de la ville : je les ai aidés à bâtir leur politique d’attractivité. C’est un sujet que je connais bien. J’ai été conseiller de Jean-Pierre Raffarin quand il était premier ministre, dans l’équipe chargée du programme d’attractivité de la France. J’ai aussi été inspecteur général des finances et conseiller de Jean-Louis Borloo au ministère de l’Ecologie : on a fait passer le premier accord international en matière de réduction des gaz à effet de serre. C’est pour ça que je pousse beaucoup, au Texas, sur le plan de la transition énergétique. Avec leur expertise, les entreprises françaises ont un rôle à jouer sur le terrain.