Faisant fi des obstacles, les femmes artistes de la deuxième moitié du XIXe siècle se rendaient à Paris dans l’espoir de se lancer dans la peinture. Malgré les pressions de la société et des institutions, ces femmes ont créé des peintures non traditionnelles reflétant leurs points forts uniques. Une sélection de ces peintures sera présentée dans le cadre de l’exposition « Women Artists in Paris 1850-1900 » parrainée par l’American Federation of Arts, qui voyagera aux Etats-Unis du 22 octobre au 3 septembre 2018 avec des escales à Denver (Colorado), Louisville (Kentucky) et Williamstown (Massachusetts).
Inspirée par ses deux filles et la proéminence grandissante des femmes dans l’art contemporain, Laurence Madeline, ancienne conservatrice du musée d’Art et d’Histoire de Genève et du musée d’Orsay à Paris, a commencé à organiser cette exposition en 2008. Elle a choisi la période de cinquante ans entre 1850 et 1900 pour présenter les débuts du combat de ces femmes qui cherchaient à se lancer. « De plus en plus de femmes devaient gagner leur vie, mais beaucoup de gens pensaient que les femmes n’avaient pas à travailler », explique-t-elle, en décrivant les contradictions entre les attentes de la société et la réalité. « Il existait également une sorte de concurrence entre les hommes et les femmes artistes où les hommes profitaient des avantages professionnels d’institutions comme l’école des Beaux-Arts, l’académie d’art la plus prestigieuse en France. » Il a fallu attendre la fin du siècle pour que les femmes aient le droit de fréquenter cette école. Jusqu’en 1897, elles ne pouvaient pas bénéficier de la formation rigoureuse proposée par cet établissement, que nombre de critiques d’art jugeaient indispensable pour créer des œuvres d’art dignes de ce nom. « L’un des thèmes académiques les plus essentiels était le nu masculin », souligne Laurence Madeline, « et il était très difficile pour les femmes de trouver des modèles masculins. Par conséquent, elles ne pouvaient pas traiter les sujets historiques jugés importants tels que Rémus et Romulus ».
Persévérance et talent étaient des qualités nécessaires pour prétendre à la reconnaissance et se faire une réputation. La peintre française Rosa Bonheur, l’une des premières femmes à acquérir une certaine notoriété et à ouvrir la voie à de nombreuses autres artistes, était célèbre pour porter des vêtements d’homme pour passer inaperçue lorsqu’elle étudiait les chevaux pour ses peintures, évitant ainsi la stigmatisation sociale qui s’attachait souvent aux jeunes femmes peignant en public. D’autres, comme la peintre ukrainienne moins connue Marie Bashkirtseff, engageaient des modèles pour poser afin de pouvoir travailler dans leur propre atelier. De nombreuses femmes artistes étaient même respectées par leurs homologues masculins. L’Américaine Mary Cassatt, notamment, a entretenu une amitié de longue date avec le peintre français Edgar Degas, qui les inspirait mutuellement et leur permettait d’échanger sur le plan artistique. Les mouvements de l’époque, le réalisme et l’impressionnisme, privilégiaient nettement les thèmes modernes de la vie quotidienne, ce qui représentait un avantage essentiel pour de nombreuses femmes.
« Les artistes masculins s’intéressaient de plus en plus aux thèmes en lien avec l’intérieur, comme le jardin ou les enfants, et avec la modernité, et estimaient que les femmes étaient mieux à même de comprendre les sujets qui les touchaient. Ainsi, dans leurs œuvres plus récentes, les femmes commencent à aborder les paysages et à représenter le monde dans lequel elles évoluent », déclare Laurence Madeline. « Prenons Marie Bashkirtseff. Elle a commencé sa carrière en traitant d’abord des sujets très académiques. Toutefois, après avoir séjourné en France, elle s’est mise à lire Emile Zola et a rencontré l’artiste Jules Bastien-Lepage, ce qui l’a poussée à choisir d’autres thèmes. Elle a commencé alors à se pencher de plus près sur les événements de son temps. »
En s’intéressant au monde contemporain, de nombreuses femmes ont été amenées à traiter du sujet de la féminité. Souvent, leurs peintures illustraient des scènes de la vie domestique, des paysages ou des jardins privés. Mary Cassatt, en particulier, représentait souvent des enfants accompagnés de leur nounou ou de leur mère, faisant de ce thème son sujet de prédilection. Elle peignait aussi souvent des jeunes filles pratiquant des activités de loisirs ou domestiques. « C’est comme si elles essayaient de capturer ce moment particulier qui marque le début de la vie d’une femme, mais aussi le début d’une carrière artistique pour de nombreuses femmes », explique Laurence Madeline. Tout en n’étant pas directement une déclaration politique ni un commentaire social, « le fait de traiter le sujet des adolescentes a stimulé l’intérêt porté aux fillettes, ce qui a conduit à un intérêt grandissant envers les femmes et a donné sa place à l’idée que les filles puissent avoir leur propre place dans la société ».
Cette exposition, qui présente plus de 80 peintures réalisées par 37 artistes, sera accompagnée d’un catalogue éponyme, portant sur une série de femmes artistes de cette période. L’histoire de Marie Bracquemond figure notamment dans cette exposition. Peintre prometteuse et l’une des trois grandes dames de l’impressionnisme aux côtés de Berthe Morisot et Mary Cassatt, Marie Bracquemond abandonna sa carrière de peintre plus tard au cours de sa vie en raison de la vive opposition et des critiques de son mari et artiste, Félix Bracquemond. « Je veux rappeler au public qu’être une femme reste une sorte de lutte et un combat », conclut Laurence Madeline. « Il est important de mettre en lumière les femmes artistes, sans inclure leurs homologues masculins, et de comprendre à quel point elles peuvent être fortes. »
Women Artists in Paris: 1850-1900
Conférence à Albertine, New York, NY : 7 septembre
Denver Art Museum, Denver, CO : 22 octobre 2017-14 janvier 2018
Speed Art Museum, Louisville, KY : 17 février-13 mai 2018
Clark Art Institute, Williamstown, MA : 9 juin-3 septembre 2018
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