Les hivers à Chicago sont réputés longs et rigoureux. Mais à entendre les Français qui ont choisi de s’y installer, c’est bien le seul désavantage de la « Windy City ». Et il ne pèse finalement pas bien lourd, face à une qualité de vie que certains expatriés n’hésitent pas à qualifier d’exceptionnelle. Un bien-être qui n’a pas échappé au consul général de France, Graham Paul, arrivé en juin dernier et qui affronte aujourd’hui son premier hiver dans l’Illinois. « J’ai habité plusieurs pays au cours de ma carrière », explique-t-il. « Et les Français de l’étranger, en général, râlent… Et bien ici, je n’arrive pas à trouver de râleurs », s’amuse-t-il. Par contre le diplomate a trouvé « une communauté française bien intégrée dans la vie économique et sociale » et constaté « une appétence des Américains pour la France qui se traduit par des faits ».
Une dernière impression confirmée par Jack McCord, le président de l’Alliance Française de Chicago depuis 2003, une année où les relations avec la France étaient pourtant tendues. « Nos inscriptions ont augmenté de 10 à 15 % dans les trois années qui ont suivi », explique-t-il. « Il y a ici un amour de la France particulièrement enraciné. Il n’y a qu’à assister aux fêtes du 14 juillet pour voir les Américains danser sur des airs de musette. Ce sont eux qui chantent ‘La Marseillaise’ ! » L’Alliance Française de Chicago, créée en 1897, est la deuxième des Etats-Unis en importance, derrière celle de New York. Jack McCord attend environ une centaine de personnes à la prochaine opération porte ouverte qui se déroulera en février. Des dégustations de vins et fromages aux « coups », comme l’apparition surprise de Gérard Depardieu en octobre dernier pour présenter le film Le Dernier Métro, le secret d’un évènement réussi est, selon lui, une vraie volonté de coopération des partenaires impliqués. « Il faut noter qu’ici les associations francophiles et francophones travaillent bien ensemble. »
Le prochain Bastille Day sera l’occasion de tester la capacité des acteurs du monde associatif à soutenir un projet commun. L’an dernier, pas moins de trois événements ont été organisés pour commémorer la prise de la Bastille : le bal de l’Alliance Française, celui de l’Union des Français de l’étranger et des Français du monde et enfin celui du réseau French in Chicago de Sébastien Labat, également créateur d’un tournoi de football, la Chicago World Cup. Pour 2011, le consul général de France a demandé à une vingtaine d’associations d’unir leurs forces. « Je crois qu’on est parvenu à une sorte de consensus », se réjouit Graham Paul, qui penche pour une block party, une fête de rue à l’américaine.
Le double effet du lac
Aïda Camara faisait partie l’an dernier du comité d’organisation du 14 juillet de l’association French in Chicago. Arrivée il y a cinq ans, elle a fondé en 2008 une société de coaching de carrière, Next Land Consulting, et connaît bien les réseaux francophones. « Il y a une forte communauté francophone qui fait de gros efforts pour être visible », explique la jeune femme franco-ivoirienne. « Et c’est vrai qu’une fois qu’on y a mis les pieds, le réseau s’étend très rapidement. Je me sens vraiment bien. » Elle travaille avec des Américains bien sûr, mais aussi des Français. Elle vient de monter un projet pilote en partenariat avec le consulat proposant des modules de développement professionnel en français et en anglais. En cas de succès, il pourra être proposé ailleurs aux Etats-Unis.
Aïda Camara est très heureuse d’avoir atterri à Chicago, dont le rythme un peu provincial lui convient parfaitement. L’été, les longues pauses-déjeuner dans Millenium Park lui rappellent la France. Elle ne peut cependant s’empêcher de faire un aparté météo. « Ici, le froid est vraiment glacial », dit celle qui a pourtant grandi à Grenoble. « C’est ce qu’on appelle l’effet du lac… » Les kilomètres de lac en bordure de Chicago sont une particularité géographique qu’Emmanuelle van Houdenhoven, la nouvelle directrice de la Chambre de commerce franco-américaine, apprécie particulièrement. Une fois l’hiver passé évidemment.
Celle qui a vécu à Miami, à Boston et à New York s’anime en évoquant cette ville « pensée sur mesure, harmonieuse ». Comme d’autres expatriés impressionnés par l’offre culturelle et la qualité des infrastructures, elle est heureuse de pouvoir profiter « des avantages de cette mégapole à échelle humaine ». Ses trois enfants sont scolarisés au Lycée Français de Chicago, un choix qui a un coût. Mais elle apprécie l’environnement qu’offre ce « véritable cocon ». Elle fait partie du groupe qui a organisé la levée de fonds auprès des parents, dans le cadre du déménagement de l’établissement dans de nouveaux locaux à l’horizon 2014. « Ce sont vraiment les familles américaines qui étaient à fond derrière cette action », remarque-t-elle. « Elles ont été une vraie source de motivation pour les Français. »
Selon Emmanuelle van Houdenhoven, environ 115 sociétés françaises sont implantées dans la région de Chicago. Des grosses entreprises comme Veolia mais aussi des petites et moyennes structures spécialisées dans des secteurs technologiques très pointus, en particulier l’outillage ou bien des entreprises de services. La Chambre de commerce compte un peu moins de 300 membres et la directrice compte bien agrandir l’organisation, notamment en resituant la France dans un contexte élargi à l’Europe. « Il faut élever le débat afin d’attirer des entreprises locales plus importantes. »
Une ville internationale
Ses nouvelles fonctions lui ont permis de faire la connaissance d’un autre pilier de la communauté : David Reithoffer, le président du Groupe professionnel francophone (GPF). Américain, il a fait la couverture en octobre de la Revue francophone, un magazine dirigé de Chicago par Tamsir Gueye, professeur de littérature franco-africaine d’origine sénégalaise, qui reparaît après un hiatus de cinq ans. « Une belle surprise », réagit David Reithoffer, qui ne ménage pas sa peine pour faire rayonner la France à Chicago. Et ce, dans tous les domaines. Si près de 500 coureurs venus de France s’inscrivent aujourd’hui au marathon de la ville, c’est grâce à lui. « En 1995, les organisateurs m’ont demandé de tenir un stand pendant le marathon de Paris », se souvient-il. « Je me tenais entre une photo d’Al Capone, barrée d’une croix rouge, et d’une silhouette en carton grandeur nature de la star des Chicago Bulls Michael Jordan ! » Bilan : cette année-là, 50 coureurs français ont traversé l’Atlantique pour prendre part à la course américaine. Aujourd’hui on en compte dix fois plus.
David Reithoffer a créé le GPF, qui compte aujourd’hui une centaine de membres, il y a tout juste vingt ans, avec une compatriote, Ellen Urquiaga. Chaque mois, des rencontres sont organisées dans une ambiance décontractée. Il y a cependant une règle à laquelle les participants ne peuvent déroger : il faut parler français. « Ce qui compte, c’est la langue, pas la nationalité », s’exclame l’organisateur. Il a d’ailleurs effectué un jour un petit sondage informel à main levée et a pu constater que 50 % des personnes présentes étaient françaises, 25 % américaines et le reste, un mélange. « Cela reflète aussi une réalité, à savoir que Chicago est devenue une ville bien plus internationale. »
Article publié dans le numéro de février 2011 de France-Amérique. S’abonner au magazine.