Le Solex a sa poésie. Instrument de liberté autant que de plaisir, on l’enfourchait pour se rendre à l’usine, à l’église ou au bistrot. À 35 kilomètres/heure en vitesse de pointe – moins d’un cheval de puissance ! –, son pilote avait tout le loisir d’admirer le paysage, cheveux aux vents. Son statut officiel de bicyclette autorise en effet son utilisateur à rouler sans casque, ni plaque d’immatriculation.
Longtemps proposé exclusivement en noir, comme la Ford T, le Solex se voulait une réponse aux défis de la mobilité urbaine et rurale de la France d’après-guerre. Il faut alors motoriser le pays à reconstruire. Le Solex entre en production à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, au printemps 1946. Des millions d’exemplaires de « la bicyclette qui roule toute seule » sortiront des usines. A l’époque, le Solex coûte l’équivalent d’un Smic.
Au cent, il ne consomme qu’un litre de Solexine, un mélange d’huile et d’essence. Soit « un sou le kilomètre», comme le clamait un slogan publicitaire de la fin des années 1960. Le Solex est économique, mais rustique. Son moteur à deux temps est bruyant et peine dans les montées – il faut alors pédaler ! Monté sur la fourche de sa roue avant, il pèse sur le guidon, ce qui rend sa conduite délicate, surtout par temps de pluie.
Mais le capital sympathie du véhicule l’emporte sur ces désagréments. Au moins jusque dans les années 1980. A cette époque, concurrencé par les mobylettes, plus puissantes et plus viriles, le Solex devient ringard. Ses ventes périclitent jusqu’à l’arrêt de la production, en 1988. La marque sera finalement rachetée par la société française Easybike, qui convertit l’engin à la motorisation électrique avec le modèle « Intemporel », son dernier en date, assemblé en Normandie.
Le Solex chez l'Oncle Sam
Aux Etats-Unis, le deux-roues est devenu « une machine à voyager dans le temps », affirme Howie Seligman, qui a déposé la marque VeloSolex America en 2000. Parmi ses clients, il compte d’anciens militaires nostalgiques, passés par les bases de l’armée américaine en France, aussi bien que des esthètes. « Le VéloSoleX n’est plus un produit de masse mais désormais un objet de collection », explique-t-il. «Certains le traitent même comme une relique et vont jusqu’à l’exposer dans leur salon ! »
Quand le New York Times consacre quelques lignes au vélomoteur français en 2001, c’est la consécration. « Ce matin-là, vers sept heures moins le quart, mon téléphone sonne », se souvient Howie Seligman. « Je décroche. C’était quelqu’un qui venait de lire l’article et qui voulait passer commande. A peine raccroché, le téléphone sonne à nouveau. Ça a duré toute la journée comme ça ! En tout, une trentaine de personnes m’ont appelé et nous avons vendu l’équivalent d’un conteneur en quelques heures. »
Si l’effusion est depuis retombée, le Solex fait encore régulièrement l’actualité. Comme en 2008, lorsqu’un groupe de Néerlandais s’est mis en tête de faire la Route 66, de Chicago à la Californie. « Des gars de deux mètres traversant le désert sur un Solex, vous voyez le tableau ! » Ou à l’occasion du traditionnel défilé de Citroën dans les rues de New York, pour le 14 juillet. Les amateurs peuvent passer commande chez Steve’s Moped and Bicycle World, un négociant du New Jersey qui livre sur tout le territoire. Comme disait la réclame : « Tôt ou tard, vous aurez un VéloSoleX ! »
Article publié dans le numéro d’avril 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.