Lorsqu’ils découvrent son travail sur Instagram, les followers de Sébastien de Oliveira ont presque toujours la même réaction : la scène – un groupe de soldats français prêts à partir au front en 1914, une famille de l’Oklahoma poussée sur la route par la sécheresse et la Grande Dépression ou une jeune femme hélant un taxi à Manhattan en 1956 – leur paraît étonnamment moderne !
« Nous ne sommes plus habitués à voir des photos en noir et blanc », s’amuse le coloriste parisien. Par ailleurs, la couleur abolit l’aspect documentaire de l’image, la rendant plus familière, plus proche. Ce qui explique l’engouement actuel pour la colorisation d’images d’archives : Peter Jackson lui-même a tenté l’expérience avec le très réussi They Shall Not Grow Old, sur le quotidien des soldats britanniques dans les tranchées. Citons aussi la série documentaire WWII in Color: Road to Victory, depuis peu sur Netflix, avec un épisode consacré à l’évacuation de Dunkerque et un autre sur la libération de Paris.
Sébastien de Oliveira, 51 ans, a commencé à coloriser des images il y a quelques années. « Entre deux boulots » pour la mode, il se fait la main sur une photo de la place de l’Opéra à Paris, prise en 1889. Son métier de retoucheur a fait de lui un expert de Photoshop : « Je détoure des sacs à main, lisse les plis des vêtements, nettoie le tapis rouge du festival de Cannes. J’ai le coup de main ! » Sa formation à l’image et à la couleur, à l’institut d’arts visuels d’Orléans, fait le reste.


Là où l’œil profane voit un pull vert, comme sur ce portrait de Lauren Bacall pris en 1945, l’expert voit un faisceau de couleurs. « Les zones sombres du vêtement partent sur le bleu et les zones éclairées vers le jaune. Dans la couleur d’un même élément, il y a en réalité de multiples nuances que je reproduis. C’est ce qui fait la qualité de mon travail – et ce qui m’a aidé à me faire une place dans le petit monde de la colorisation. » Ses images ont fait l’objet d’une exposition à Dunkerque en 2019 et vingt autres sont apparues dans le beau livre Voyages extraordinaires, publié par Louis Vuitton en mai dernier.
Restituer la vivacité des couleurs
Un autre point distingue le travail de Sébastien de Oliveira. Là où certains coloristes privilégient un traitement sobre des couleurs, donnant aux photos cet aspect délavé, le Français « pousse les curseurs ». Ses images resplendissent, inondées de pixels colorés. C’est frappant sur ces vues de l’Amérique des années 1940 et 1950, sa période de prédilection : l’uniforme bleu d’un marin, l’écharpe multicolore d’une chauffeuse de bus, un tramway jaune, un biplan rouge, une publicité Coca-Cola sur un mur.
« Mon objectif est de prendre une photo noir et blanc et d’en faire une image qui aurait pu être prise avec les moyens de l’époque, avec les pellicules Technicolor ou Ektachrome, développées au début des années 1940. » Pour les photos plus anciennes, il émule une invention française : l’autochrome des frères Lumière, un procédé de prise de vue breveté en 1903. « Une pure beauté, ça ressemble à un tableau impressionniste. On pense toujours qu’une image des années 1910 aura des couleurs fades, mais c’est tout le contraire ! »
Pour l’aider dans son travail, le coloriste a amassé une banque de photos anciennes en couleur. Il s’y réfère pour décider quelle teinte donner à tel uniforme, tel drapeau ou telle affiche de cinéma. En effet, seul le rouge, qui correspond à un niveau de gris de 70 %, donne au coloriste un indice. Toutes les autres couleurs sont sujettes à interprétation. « Je m’efforce de rester crédible, mais je suis artiste avant d’être historien. J’ai corrigé la couleur de l’hydravion de Lindbergh après de plus amples recherches, mais on ne saura jamais avec certitude de quelle couleur était tel parapluie ou tel pantalon. Je propose avant tout une promenade dans le passé. »












Portfolio publié dans le numéro de février 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.