Deuxième ville de France par sa taille (1,7 million d’habitants en comptant son agglomération), Marseille a longtemps brillé par son exubérance et ses excès avant de connaître, avec la décolonisation de l’Algérie dans les années 1960, un lent déclin. C’est pour tourner la page qu’est né, au milieu des années 1990, le projet Euroméditerranée avec, sur sa façade maritime de soixante hectares, la création de la Cité de la Méditerranée conçue pour réhabiliter et construire logements et équipements. Manquait un trait d’union entre le passé sublimé de la cité et sa modernité reconquise. Pour donner un visage à ce nouveau Marseille et placer la culture au premier plan ouvrit, en 2013, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM).
Classique par sa géométrie cubique et sa volumétrie horizontale, moderne par les prouesses techniques requises pour produire et assembler sa dentelle de béton, le MUCEM est une ode à la cité de Massilia. Fondée 600 ans avant J.-C. par des navigateurs grecs, elle accueille aujourd’hui les superpétroliers et les paquebots de croisière géants. Rudy Ricciotti, l’architecte français du musée, voulait que ce bâtiment dédié aux civilisations méditerranéennes ait « les pieds dans l’eau » et « parle à la fois au ciel, à la mer, au sel et au vent ». Pari réussi. Sur un môle millénaire à l’entrée du Vieux Port, ce sculptural carré minéral, enserré sous sa résille gris anthracite perforée comme la section d’une roche marine, amplifie les reflets de la lumière sur la mer. Emotion garantie !
Un musée promenade
Célébré pour ses accrochages audacieux – de Jean Dubuffet, maître de l’art brut en 2019, à Jeff Koons et ses œuvres kitsch et pop, mises en regard des plus belles pièces du musée, en 2021 –, le MUCEM est dépositaire des collections du musée national des Arts et Traditions populaires, venues de Paris. Photos, sculptures, estampes, affiches et objets de la vie quotidienne y racontent les sociétés qui ont essaimé autour de la mer intérieure, berceau de nombreuses civilisations. Mais, plus encore qu’un musée, le bâtiment de Rudy Ricciotti propose une promenade éblouissante, accessible en dehors de la visite des expositions. « Comme dans une ziggourat [une pyramide mésopotamienne] », souligne l’architecte dans Le Monde, « le visiteur se baladera, autour du musée, sur des rampes jusqu’au toit, entre l’air, le ciel, le soleil, les embruns, l’iode ». En haut sur la terrasse, des chaises longues proposent une halte avec vue imprenable sur le Vieux Port, la basilique Notre-Dame de la Garde, la mer et les îles du Frioul. Le restaurant panoramique du chef marseillais Gérald Passedat, Le Môle Passedat, offre une cuisine méditerranéenne à l’unisson.
Entouré d’eau, avec la mer pour horizon, l’édifice ressemble à un paquebot relié à la terre ferme par deux immenses passerelles de béton d’une incroyable finesse. L’une vous conduit au fort Saint-Jean, bâti au XVIIe siècle pour protéger la ville et asseoir l’autorité royale de Louis XIV. L’autre, s’élançant de ce fort, relie le MUCEM au quartier du Panier, la partie la plus ancienne de Massilia, autrefois colonie de la Grèce antique. En quelques minutes, on atteint les ruelles étroites et les maisons entassées sur les pentes raides de ce quartier organisé autour de la place de Lenche – probablement l’ancienne agora grecque – qui a le charme de la Provence. La perle : la Vieille Charité, un hospice édifié au XVIIe siècle sur les plans du sculpteur et architecte Pierre Puget pour accueillir, selon un édit royal de 1640, enfants et vieillards dans le besoin. Ses galeries, superposées sur trois étages, entourent une chapelle coiffée d’une impressionnante coupole ovale inspirée du baroque italien, créant un lieu d’exposition hors norme. En 2021, avec 180 œuvres de plus de 80 artistes, l’exposition Le surréalisme dans l’art américain y a fait un triomphe.
Randonnée urbaine
Du MUCEM, si vous êtes plus aventureux, vous pourrez aussi emprunter le GR2013, chemin de randonnée d’un type nouveau dont une section emprunte la passerelle Saint-Jean et longe le bâtiment dessiné par Rudy Ricciotti. Imaginé par un groupe d’artistes marcheurs et pensé comme un « musée en plein air » où « l’œuvre serait le chemin », ce « sentier métropolitain » fléché traverse les quartiers sur les flancs de la colline Notre-Dame de la Garde et permet de découvrir un autre visage de la ville, de la mairie sur le Vieux Port jusqu’aux plages du Prado, porte d’entrée du parc national des Calanques.
Est-ce la fin du Moyen Age culturel et le début de la Renaissance artistique pour Marseille ? Emergeant d’une longue période de doute, la cité phocéenne, capitale européenne de la culture en 2013, retrouve ses attraits. Plus de 1,2 million de visiteurs, dont près de 25 % d’étrangers, se pressent chaque année au MUCEM, membre du top 30 des musées les plus fréquentés au monde. Rudy Ricciotti, fils de pieds-noirs rapatriés d’Algérie et penseur du musée – sa « casbah verticale » – comme signe de ralliement des rives de la Méditerranée, dissipe les clichés. Dépasse les clivages. Et rapproche les peuples. Le propre de l’art !
La French Connection
Dans les années 1960, plus de 80 % de l’héroïne en circulation aux Etats-Unis était made in Marseille ! Les truands corses de la ville contrôlent alors les chimistes, qui transforment l’opium importé de Turquie, et livrent aux familles du crime organisé new-yorkais une poudre blanche réputée pour sa pureté. Les morts par overdose se comptent par milliers. Un véritable fléau que le président Richard Nixon promet d’enrayer. Face à Georges Pompidou, il exige que la France se donne les moyens d’arrêter les trafiquants et de démanteler les laboratoires clandestins. Il faudra une dizaine d’années aux Français pour éradiquer cette multinationale de la drogue dont Robin Moore détaille les rouages en 1969 dans son livre The French Connection. Une enquête portée au cinéma par William Friedkin deux ans plus tard.
Article publié dans le numéro de février 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.