Perspectives

Panne démographique en France et aux Etats-Unis

Dans l’un et l’autre pays, la natalité est en berne. Seule l’immigration leur permettra d’éviter une baisse de leur population.
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© Boris Séméniako

Souvenons-nous : il y a deux ou trois décennies, c’est-à-dire hier, les mots manquaient pour évoquer la vertigineuse croissance de la population dans le monde. On parlait alors d’explosion, de bombe démographique. De 1,5 milliard de terriens en 1900, on était passé à 2,5 milliards en 1950, puis à plus de 6 milliards en 2000. Plus cauchemardesques les uns que les autres, les scénarios s’enchaînaient. On imaginait jusqu’à 15 milliards d’êtres humains en 2100.

Par un de ces retournements dont l’histoire a le secret, on cherche aujourd’hui les formules pour décrire le vieillissement de cette même population. On s’alarme de la diminution du nombre d’habitants un peu partout dans le monde.

Excepté en Afrique, où les indices de fécondité (le nombre d’enfants par femme en âge de procréer) restent supérieurs à 4, partout la natalité s’est effondrée. En 2050, selon des estimations récentes, plus de 150 des 195 pays du globe seront en situation de décroissance démographique. La faute au Covid-19 ? Assurément non. Si elle a occasionné un surcroît de mortalité (moins de 10 % dans un pays très touché comme la France), la pandémie n’a eu somme toute qu’un impact limité sur un mouvement de fond amorcé il y a plusieurs décennies.

De moins en moins d’enfants

Dans ce phénomène de reflux qui touche de plein fouet les régions les plus développées, quelques nations s’en sortaient jusqu’ici mieux que les autres : les pays scandinaves, les îles britanniques, la France et les Etats-Unis. L’indice de fécondité y restait proche de 2,1, considéré par les démographes comme le seuil de renouvellement des générations.

C’est de moins en moins vrai. Dans ces pays aussi, la natalité est en baisse ces dernières années. C’est aux Etats-Unis, qui se distinguaient jusqu’ici par leur vigueur démographique, que le retournement est le plus spectaculaire. De 2,1 enfants par femme en 2007, l’indice de fécondité est tombé à 1,64. Parallèlement, le nombre des décès, passé de 2,8 millions en 2018 à 3,4 millions en 2020, est en forte hausse. Résultat : le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, a été ramené à 150 000 en 2021 – l’un des chiffres les plus bas de l’histoire récente du pays.

C’est essentiellement grâce à l’immigration que la population américaine connaît traditionnellement une croissance très forte. Or, celle-ci est en net recul ces dernière années. Pour deux raisons. A la politique anti-migratoire de l’ex-président Donald Trump est venue s’ajouter la pandémie de Covid-19, particulièrement dévastatrice aux Etats-Unis, avec près d’un million de morts enregistrés au milieu du mois d’avril 2022, qui a incité nombre d’immigrés à rejoindre leurs pays d’origine.

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© Boris Séméniako

La France se dépeuple

En France aussi, l’indice de fécondité a baissé ces dernières années, tombant à 1,83 en 2021. Malgré cela, la population, évaluée à 67 813 000 habitants au 1er janvier 2022, continue à augmenter : certes de très peu (plus 187 000 habitants en 2021), mais une progression appréciable, quand on sait que bien des pays européens, notamment dans l’est du continent, se dépeuplent déjà.

Les deux tiers de ce surcroît de population s’expliquent par le solde migratoire, qui mesure la différence entre les arrivées en France et les départs (140 000 en 2019). Cependant, le solde naturel, qui s’établit à 81 000 en 2021, repart à la hausse après une chute occasionnée par le Covid en 2020.

Ruée vers le Texas et la Floride

Si l’évolution démographique de la France est assez homogène sur le plan géographique, il en va autrement dans le pays de Joe Biden. Certains Etats gagnent des habitants, d’autres en perdent. Dans la première catégorie, on trouve notamment la Floride et le Texas, lequel a vu en 2020 sa population croître de 1,1 %, grâce essentiellement à l’afflux (170 000 individus) de personnes venues d’autres Etats.

Dans le nord-est du territoire, en revanche, la population diminue. Entre juillet 2020 et juillet 2021, l’Etat de New York a perdu quelque 350 000 habitants, soit 1,6 % de sa population, retombant sous la barre des 20 millions d’habitants. A Washington, la capitale fédérale, la baisse a même été de 2,9 % pendant la même période.

On connaît la raison de ces mouvements : beaucoup d’Américains des classes moyennes souhaitent s’établir dans des villes moins tentaculaires afin d’y gagner en tranquillité, en qualité de vie et en pouvoir d’achat.

Les Américains de plus en plus nombreux ; les Français de plus en plus vieux

Autre différence entre les deux pays, l’évolution de l’espérance de vie à la naissance. Elle continue à augmenter légèrement en France pour s’établir à 85,4 ans pour les femmes (chiffre record dans l’Union européenne) et à 79,3 ans pour les hommes. Pendant ce temps, elle baisse aux Etats-Unis, tombant en 2020 à 79,9 ans pour les femmes et 74,2 ans pour les hommes. L’écart entre les deux pays – environ cinq ans – est tout sauf insignifiant et en dit long sur l’état sanitaire de nos deux nations.

Qu’en sera-t-il dans les décennies à venir ? Selon toute vraisemblance, l’immigration aux Etats-Unis retrouvera bientôt son rythme habituel. Sachant que les familles d’origine étrangère, notamment celles venues d’Amérique latine, ont plus d’enfants, la population américaine pourrait augmenter de quelque 30 % d’ici à 2100, pour dépasser les 430 millions d’habitants (335 millions aujourd’hui).

Alors qu’un pays voisin comme l’Italie pourrait voir sa population divisée par deux, la France, elle, arrivera à se maintenir à peu près à son niveau actuel. Mais elle ne pèsera plus que 0,6 % de la population mondiale à la fin du siècle. Et le tiers de ses habitants auront plus de 65 ans, contre 20 % actuellement, donnant à l’expression « vieille France » une tout autre signification.

 

Article publié dans le numéro de mai 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.