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Joy Sorman : à fleur de peau

Ninon Moise, dix-sept ans, est la dernière descendante d’une famille de femmes frappées par d’étranges maladies. Atteinte d’une pathologie qui rend son épiderme hypersensible, elle entame un long parcours vers la guérison. Préfacé par l’autrice américaine Catherine Lacey, Sciences de la vie est le premier roman de Joy Sorman traduit en anglais : il vient de remporter le prix de traduction de la French-American Foundation USA dans la catégorie fiction.
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© Joël Saget/AFP

Certaines familles se transmettent des légendes et des gestes héroïques. Chez les Moise, la maladie est le ciment qui, depuis le XVIe siècle, unit une lignée de femmes, frappant uniquement les filles aînées. Durant toute son enfance, Ninon s’est endormie en écoutant sa mère, Esther, lui raconter des histoires de transes, de crises, de femmes soudainement atteintes de pathologies rares et effrayantes.

La première, Marie Lacaze, la folle dansante, était brodeuse à Strasbourg. Suivront Brune Clamart, souffrant d’un effritement des vertèbres, les jumelles Eve et Adèle, atteintes du syndrome de Gilles de La Tourette, Louise Tempe, la grand-mère de Ninon, aveugle et sourde, inventrice d’un alphabet digital composé de minuscules pressions sur la peau. Atteinte d’une maladie qui la prive de la vision des couleurs, Esther Moise a élevé sa fille dans l’idée qu’elle serait aussi touchée par le mal héréditaire, comme d’autres le sont par la grâce. Un matin, la lycéenne de 17 ans se réveille avec d’atroces brûlures aux bras et la sensation que sa peau est dévorée par les flammes.

Autrice de romans et de récits documentaires installée à Paris, Joy Sorman nourrit ses fictions de solides recherches. Précise jusque dans l’emploi des termes médicaux, son écriture s’approche des sensations, traque les moindres tressaillements du corps. Alternant le récit principal et des passages en italique qui retracent l’histoire des ancêtres de Ninon, elle suit le parcours de la jeune fille à travers une forêt de signes et de mots, entre science et croyances. Une fois le mal nommé, l’allodyinie, une hypersensibilité de l’épiderme née d’un dysfonctionnement du système nerveux, il lui faudra vivre avec la douleur, capricieuse compagne des jours et des nuits.

Face à l’impuissance de la médecine, Ninon s’abrutira de joints et d’alcool, cherchera le réconfort auprès des magiciens et des chamanes, jusqu’à entrevoir le chemin vers la guérison et l’émancipation. Rompant avec son encombrant héritage et l’apparente fatalité génétique, elle gagnera sa liberté en faisant de sa peau une page banche, un paysage immaculé où peuvent se dessiner tous les possibles.

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Sciences de la vie de Joy Sorman, Seuil, 2017. 272 pages, 18 euros.


Article publié dans le numéro d’octobre 2021 de France-AmériqueS’abonner au magazine.