Portfolio

Elliott Erwitt : histoires de France

A Paris, le musée Maillol consacre une impressionnante rétrospective au photographe américain Elliott Erwitt. C’est l’occasion de se replonger dans Found, Not Lost, livre publié en 2021 avec 171 images inédites, dont plusieurs réalisées en France. Un formidable aperçu de sa relation intime avec le pays qui l’a vu naître.
Paris, 1952. © Elliott Erwitt/Magnum Photos

Du haut de ses 94 ans, avec son regard espiègle, Elliott Erwitt est sans doute la dernière légende de la photographie encore en vie. Membre de l’agence Magnum depuis 1953, il a touché à tout : reportage social, portrait de célébrités, photographie de rue, mode, publicité, avec ce style inimitable, plein d’humour et de compassion, qui permet de s’attacher si facilement à des inconnus.

Elliott Erwitt a toujours aimé les hommes, qu’il a magnifié avec une rare constance, tout autant que les chiens, qu’il a photographiés par centaines dans des situations souvent rocambolesques. Sa photographie est une observation honnête du monde, un tas de petites choses innocentes saisies sur le vif, une sorte d’opéra pour l’humanité. Alors quand un nouvel ouvrage d’Elliott Erwitt voit le jour, avec des images jamais publiées, c’est un évènement. « Cette étude de l’humanité, ce travail d’une vie, est sans précédent et nous rappelle à tous de continuer à marcher et de continuer à écouter », écrit à propos du livre Jody Quon, directrice de la photographie de New York Magazine.

Les grands photographes ont souvent pour trait de caractère commun l’humilité. Chez Elliott Erwitt, elle a été forgée par une enfance imprévisible, celle d’un émigré né Elio Romano Ervitz, à l’hôpital américain de Paris en 1928, de parents russes qui avaient fui le bolchevisme, venus chercher en France une paix relative. Avec la montée du fascisme en Europe, la famille Ervitz, dont le père Boris est juif, gauchiste, bouddhiste et franc-maçon, prend la décision de rejoindre les Etats-Unis. Le petit Elio et sa mère Eugenie quittent le Havre pour New York le 2 septembre 1939, la veille de la déclaration de guerre à l’Allemagne par l’Angleterre et la France. Le paquebot britannique Athenia sera torpillé par un sous-marin allemand dans les heures qui suivent et Elliott Erwitt se souvient que son navire, l’Ile-de-France, est « totalement plongé dans le noir parce que nous pensions que nous risquions d’être coulé ».

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Paris, 1951. © Elliott Erwitt/Magnum Photos
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Paris, 1951. © Elliott Erwitt/Magnum Photos

En 1949, Elliott Erwitt, qui entre-temps est devenu photographe, retourne en France pour réaliser un documentaire sur le cinquième anniversaire du débarquement allié en Normandie. Le film est aujourd’hui malheureusement perdu, mais ce séjour lui permet de passer du temps avec des membres de sa famille qu’il n’a pas revu depuis son enfance et de réaliser quelques photographies, comme celle, emplie de douceur, de cette jeune fille devant un immeuble parisien, enfin publiée dans Found, Not Lost. L’histoire veut aussi qu’Elliott Erwitt ait rencontré Robert Frank – autre monstre sacré de la photographie, décédé en 2019 – sur le paquebot entre New York et la France.

La France, une histoire d’amour

Enrôlé dans l’armée américaine, Elliott Erwitt retourne en France en 1951, pour être stationné à Verdun, la ville des horreurs de la Grande Guerre. C’est là qu’il rencontre sa première femme, Lucienne van Kan, une magnifique Hollandaise qui travaille à l’U.S. Army Post Exchange et que l’on peut apercevoir dans ses images, allongée sur un lit, en paisible endormie, ou dans l’une des plus célèbres photographies d’Elliott Erwitt, auprès de son premier enfant, nu, et de son chat. Impossible de penser qu’il ne profite pas de ce nouveau voyage pour observer les Français et les immortaliser dans ce qu’ils ont de plus authentique, comme cette famille posant devant son objectif dans la vallée de la Loire ou ces titi parisiens dont les regards et sourires malicieux rappellent ceux des films d’Albert Lamorisse.

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Vallée de la Loire, 1952. © Elliott Erwitt/Magnum Photos
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Verdun, 1951. © Elliott Erwitt/Magnum Photos
Vallée de la Loire, 1952. © Elliott Erwitt/Magnum Photos
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Lucienne van Kan, Paris, 1952. © Elliott Erwitt/Magnum Photos
Paris, 1949. © Elliott Erwitt/Magnum Photos
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Eglise Notre-Dame-des-Anges, Collioure, 2006. © Elliott Erwitt/Magnum Photos

Elliott Erwitt est alors un jeune homme romantique. Quand il s’affranchit de sa garnison, c’est pour aller tirer le portrait à Simone de Beauvoir, engagé en 1952 par Alfred A. Knopf, un éditeur new-yorkais qui publie les éditions américaines de livres d’auteurs européens. Ou pour rendre visite à Robert Capa, le père du photojournalisme et co-fondateur de l’agence Magnum. « Je me suis rendu à son bureau à Paris », raconte-t-il à un journaliste en 1977. « Il me semblait sympathique et il m’a promis de me prendre dans la minute où je sortirais de l’armée. »

Il finira son service en 1953. Chez Magnum, il rencontre surtout Henri Cartier-Bresson, « le plus flamboyant des pickpockets du XXe siècle », surnom donné par la journaliste Brigitte Ollier au célèbre photographe français. Henri Cartier-Bresson devient le maître absolu d’Elliott Erwitt, presque une religion quand on compare les signatures – « une même vision du monde, présentée avec honnêteté et franchise, sans jamais confondre les genres », se souvient Elliott Erwitt dans un entretien avec France-Amérique en 2010. « Henri donnait volontiers de son temps pour quelques conseils au jeune photographe que j’étais », se souvient-il. « Mais attention, s’il ne vous aimait pas, vous n’existiez pas ! »

Lors d’une exposition à New York en 1987, Elliott Erwitt arbore fièrement un col de prêtre au milieu des cravates et nœuds papillons habituels. Henri Cartier-Bresson adore. Le plus bel hommage d’Elliott à Cartier ? Cette croustillante photographie d’un père provençal à vélo sur une route bordée de platanes, son fils et des baguettes bien accrochés sur le porte-bagages. L’un de ses plus célèbres clichés, pris en 1955, utilisé par un office du tourisme pour illustrer et promouvoir l’art de vivre à la française et que l’on peut aujourd’hui admirer dans la collection permanente du Metropolitan Museum of Art.


Found, Not Lost
d’Elliott Erwitt, GOST Books, 2021.

Elliott Erwitt : une rétrospective, au musée Maillol de Paris jusqu’au 15 août 2023.


Portfolio publié dans le numéro d’avril 2021 de France-Amérique. S’abonner au magazine.

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