Streaming

Mediawan, le groupe français qui s’offre Brad Pitt

En acquérant Plan B Entertainment, la société de production de Brad Pitt à l’origine des Infiltrés et de Twelve Years a Slave, le premier groupe audiovisuel indépendant de France – on lui doit notamment Dix pour cent – souhaite produire des contenus universels et les propulser dans le monde entier, en commençant par le marché américain.
[button_code]
Les fondateurs de Mediawan : Xavier Niel (à gauche), Pierre-Antoine Capton (au centre) et Matthieu Pigasse. © Joël Saget/AFP/Getty Images

« Si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les ! » Jamais, dans l’industrie audiovisuelle, proverbe n’aura été aussi pertinent. Réputé pour ses films d’auteur, ses comédies et ses festivals (dont Cannes, du 16 au 27 mai) mais perfusé d’aides et de protections de toutes sortes, le cinéma français peine à satisfaire une demande fascinée par les films d’action et de super-héros américains, qui accaparent 55 % du marché national. Il fallait concurrencer cette cavalerie lourde. Comment ? En s’associant avec l’ami américain, rival mais complémentaire. C’est le choix de la société de production française Mediawan, qui a récemment acheté 60 % du capital de Plan B Entertainment, autre producteur indépendant cofondé et dirigé depuis 2001 par Brad Pitt.

« Dans une industrie de la production globalisée, il faut être capable de permettre à nos talents de s’exprimer dans le monde entier », explique dans Les Echos Pierre-Antoine Capton. « Pour cela, il nous fallait pouvoir nous développer aux Etats-Unis. » Cofondateur et président de Mediawan, associé au milliardaire Xavier Niel, géant des télécoms et de la presse, et au banquier d’affaires Matthieu Pigasse, ancien PDG de Lazard France, il fait le pari qu’en se développant sur le plus grand marché au monde, ses films et séries bénéficieront de la meilleure des rampes de lancement. Le choix est judicieux. Géographiquement complémentaires, l’un dominant l’Europe et l’autre l’Amérique du Nord, les deux poids lourds de la production indépendante partagent la même volonté : produire des films et des séries qui sont à la fois populaires, ambitieuses, exigeantes et plus proches du cinéma d’auteur que des produits fabriqués à la chaîne avec pour seule exigence le retour sur investissement.

Le groupe français a les moyens de ses ambitions. Coté en bourse, il est riche et, en sus de ses trois fondateurs, peut compter sur de puissants actionnaires, notamment le fonds américain KKR et la banque Bpifrance, familière de l’audiovisuel. Fédérant une soixantaine de sociétés de production, Mediawan est le premier fournisseur de fictions télévisées en France. Le groupe connaît les règles et les pièges de l’industrie du contenu. Le palmarès des deux partenaires incite lui aussi à l’optimisme. Mediawan a signé des films noirs hyperréalistes, dont Bac Nord et Novembre, ainsi que des séries cultes comme Dix pour cent, adaptée par une douzaine de pays, et HPI, avec Audrey Fleurot dans le rôle d’une femme de ménage à haut potentiel intellectuel qui se retrouve enquêtrice de police à Lille. Plan B, pour sa part, a déjà glané trois Oscars du meilleur film avec Les Infiltrés, Twelve Years a Slave et Moonlight – sans oublier de multiples nominations, avec The Tree of Life, Le Stratège, Selma, The Big Short : Le Casse du siècle ou encore Women Talking.

Rivaliser avec les studios américains

Officiellement, Mediawan aura la haute main dans ce partenariat. La transaction, chiffrée à 300 millions de dollars selon Les Echos, lui donne en effet la majorité du capital de l’ensemble, avec une option à trois et cinq ans pour un rachat total. Mais payée pour moitié en cash et pour moitié en actions, l’opération fait aussi de Brad Pitt et de ses deux coprésidents, Dede Gardner et Jeremy Kleiner, des actionnaires de Mediawan, permettant aux Français de profiter de leur expertise et de leur carnet d’adresse. L’acteur et producteur américain, qui possède aussi le château de Miraval, un vignoble planté en rosé, une gamme de cosmétiques et un studio d’enregistrement en Provence, cherchait « un partenaire étranger pour réfléchir à nos futurs contenus », explique-t-il au Parisien.

mediawan-xavier-niel-matthieu-pigasse-plan-b-entertainment-brad-pitt-streaming-2
Les fondateurs de Plan B Entertainment : Brad Pitt, Dede Gardner et Jeremy Kleiner. © Eric Charbonneau/Shutterstock

Produire directement aux Etats-Unis, faire jeu égal avec les majors et les plateformes de streaming et faire rayonner la France en Amérique tout en échappant aux dictats et aux clichés d’Hollywood : dans le passé, beaucoup d’opérateurs français ont déjà tenté l’expérience. Sans succès. Mais après Jérôme Seydoux, patron de Pathé et candidat éphémère au rachat d’une MGM malade dans les années 1990, et après les déboires de Vivendi, acquéreur d’Universal en 2000, contraint de revendre quelques années plus tard à General Electric, l’alliance Mediawan-Plan B se présente sous de bons auspices.

Le partenariat, visant prioritairement à produire des contenus pour les plateformes américaines, coïncide avec des projets américains similaires. L’an dernier, Ted Sarandos, co-président de Netflix en quête de nouveaux scénarios et de nouveaux abonnés, promettait d’investir 200 millions d’euros chaque année dans la création de contenus français, dont sa plateforme est la plus grande exportatrice. Car si les blockbusters américains dominent le marché en Europe, les séries françaises s’exportent aussi très bien outre-Atlantique, où elles inspirent des remakes. Après la décision d’ABC (Disney) d’adapter HPI, la série franco-belge phénomène dont les droits de diffusion ont déjà été vendus dans 90 pays, Showtime et Paramount viennent d’annoncer la mise en production de The Department, le remake américain du Bureau des légendes, crée par Eric Rochant pour Canal+. Il sera réalisé par George Clooney, autre grand francophile.

Ingénieux, les cadres américains du cinéma ont imaginé un nouveau genre de coopération pour renforcer leur présence en Europe et notamment en France : la glocalisation. C’est désormais aux réalisateurs locaux, ancrés dans la réalité et la culture de leur pays, de concevoir et mettre en scène dans leur langue des programmes capables de séduire au-delà de leurs frontières, et aux plateformes américaines de les cofinancer et de les diffuser dans le monde entier. Avec Plan B, Mediawan a choisi de (co)produire sur le sol américain, en vue d’une future réexportation à l’international. Les deux vont de pair. Dans une industrie globalisée et dématérialisée, où la demande d’images explose, l’alliance d’une valeur ajoutée artistique et émotionnelle et d’une capacité de projection hors norme est probablement l’avenir. Qu’en pense Brad Pitt ? Comme il le dit lui-même au Parisien, « j’adorerais tourner chez vous » !


Article publié dans le numéro de mai 2023 de France-AmériqueS’abonner au magazine.