Elle a son bout de trottoir, ses clients habitués, une petite chambre qu’elle partage avec sa fille, Samia, et la pieuse Halima, à qui elle doit apprendre les ficelles du métier. Avec ses hanches mobiles, ses cheveux tombant jusqu’à la taille, sa poitrine généreuse et son franc-parler, Jmiaa sait affoler les hommes et les tenir en respect. Quinze ans déjà qu’elle se prostitue dans un quartier central de Casablanca dont elle connaît par cœur les mœurs et les trafics, où elle a vu monter l’islam radical.
Véritable mémorialiste, elle possède un talent hors pair pour décrire son petit monde : son proxénète, le sanguin Houcine, son amoureux, Chaïba, un truand à la panse rebondie, sa meilleure amie, Samira, qui perd son temps avec un policier véreux. Quand elle rend visite à sa mère, Mouy, qui vit à Berrechid, au sud de Casablanca, Jmiaa invente un scénario pour préserver sa fierté. Sa rencontre avec « Bouche de cheval », une réalisatrice venue de Hollande qui s’apprête à tourner son premier film et propose à Jmiaa de l’assister, va changer sa vie.
Premier roman de Meryem Alaoui, qui vit au Maroc après plusieurs années passées à New York, La vérité sort de la bouche du cheval est un monologue, écrit sous forme de journal intime, adressé à un mystérieux interlocuteur. On est d’emblée séduit par la gouaille de Jmiaa, son humour décapant qui cache une réalité sordide : un mari violent et paresseux qui l’a mise sur le trottoir et vit toujours à ses crochets, sa fille, obligée d’attendre dans le couloir pendant qu’elle est avec un client, le défilé des hommes qui veulent croire qu’elle les désire.
« Tu les montes tous », écrit Meryem Alaoui. « Le minable, le frustré, l’esseulé, le fils de pute, le juste là. Celui qui pointe l’ardeur de ta main pour sa joie faible et stérile. Et celui dont aucun trou ne comble la haine. Qui ne s’apaise qu’au son déchiré d’une tache brune et sang. »
Préférant la comédie au réalisme social, elle confronte deux univers que tout oppose : le cinéma et la rue. Les scènes de tournage, où Jmiaa débarque comme un chien dans un jeu de quilles, sont jubilatoires. Au terme d’une émancipation qui doit beaucoup à la solidarité féminine, elle ira jusqu’en Amérique, sans jamais perdre sa lucidité et l’esprit critique qui font d’elle une authentique rebelle.
La vérité sort de la bouche du cheval de Meryem Alaoui, Gallimard, 2018. 272 pages, 21 euros. Disponible chez Albertine, la librairie française de New York.
Article publié dans le numéro de septembre 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.