Rencontrer Elliott Erwitt est une leçon d’humour et d’humilité. Elliott Erwitt, c’est l’incarnation d’une époque révolue : l’âge d’or du photojournalisme, Life, Paris Match. L’artiste, lui, est blagueur et accueillant. Le photographe a toujours aimé parler de ce qui le passionne, des autres, des petites choses remarquables de la vie. Aujourd’hui, l’homme vit dans le luxe spacieux des beaux appartements de Central Park West et possède un studio qui ressemble à un musée de la photo, mais il a connu le dénuement matériel.
Né en 1928 à Neuilly-sur-Seine, en France, de parents russes qui ont échappé à Staline et son régime autoritariste, Elio Romano Ervitz passe son enfance à Milan. Lorsque Benito Mussolini arrive au pouvoir, son père, d’origine juive, décide de quitter l’Europe et emmène sa famille traverser l’Atlantique. Le petit Elio devient Elliott. Il a 10 ans lorsqu’il se retrouve à New York en classe élémentaire, sans connaître un seul mot d’anglais. C’est un enfant un peu solitaire, discret et timide. Sa façon de regarder autour de lui, de scruter minutieusement le détail, annonce les prémices de sa passion pour la photo.
A 25 ans, Elliott Erwitt intègre la célèbre agence Magnum, parrainé par Robert Capa. Il entre dans une famille de véritables passionnés, camarades sous la même bannière. Son œil est espiègle. Ses photos pratiquent déjà la dérision, comme aucunes autres. Il s’amuse du monde, dédramatise ce qui doit choquer, photographie la rue comme un cartoon américain. C’est un farfelu, un peu gamin. Surtout un rêveur, amoureux du regard. Il ne cesse de tester son œil sur les passants. Porté par une petite lanière, le Leica traine toujours sous son bras. L’objet le quitte pourtant de temps à autre. « Quand je vais aux toilettes je ne porte pas d’appareil photo. Mon esprit se consacre à d’autres choses », aime-t-il à plaisanter. Chez lui, un écriteau rappelle les formalités d’usage : Please aim directly (« Prière de bien viser »).
Elliott Erwitt est un observateur de la « comédie humaine » et un intellectuel, à sa façon. Ferdinando Scianna, grand photographe lui aussi, en parle d’une façon très juste : « Elliott est un photographe éminemment politique. Il aime montrer les différences entre les hommes, toujours en utilisant la dérision pour ne pas paraître trop grave. » La photo des lavabos de la ségrégation noire relève de cette catégorie. La composition de la scène, à l’apparence comique, met en lumière la stupidité du racisme. De même, « lorsqu’un soldat noir tire la langue à l’objectif, c’est Elliott Erwitt qui fait une grimace à l’institution militaire ».
L’octogénaire a toujours aimé accumuler les images. Parmi ses photos, les chiens tiennent une place importante. Il les a immortalisés avec une attitude humaine. Une façon de mettre l’homme au même niveau que la bête. Comme ceux qu’il a élevés, Erwitt est peu bavard. C’est son silence qui parle. La pudeur l’a amené à poser son objectif sur de nombreuses personnalités : Marilyn Monroe, Che Guevara ou Clark Gable. Même s’il n’aime pas, par humilité, parler de ses prouesses, il évoque la semaine passée en compagnie de Fidel Castro, son accréditation permanente qui lui donna accès à l’intimité du président du temps de John Fitzgerald Kennedy, l’altercation célèbre entre Nixon et Khrouchtchev.
« En photographie, penser ne sert pas à grand chose, il faut surtout voir. » Chez Erwitt, la bonne photo n’a pas de secret. Rien en particulier ne le guide mais il admire tout de même Henri Cartier-Bresson. Ce dernier a dressé le jeune Elliott à toujours sortir armé d’un appareil. Du « maître », Erwitt a appris les bases pour forger son propre style, dans la recherche de l’instant bien sûr, y apportant son degré d’ironie. Secret de polichinelle : il ne demande jamais l’autorisation de prendre une photo. Comme chez tous les grands, personne ne s’aperçoit qu’il saisit l’instant. Aucun animal ne l’a jamais mordu, aucun homme non plus.
Personal Best, du 20 mai au 28 août 2011 à l’International Center of Photography de New York.