A nous deux Paris !
Une amoureuse de l’amour
Le 1er mai 1910, l’autrice Elisabeth de Gramont, alors épouse du duc Philibert de Clermont-Tonnerre, entra dans le lit de Natalie Barney. Bien que les deux femmes aient décidé, en 1918, de sceller leur destin en rédigeant un contrat d’union symbolique, la peintre américaine Romaine Brooks fit elle aussi son entrée dans la vie de Barney en 1916, pour ne plus en sortir. Il arriva même à notre séductrice américaine de mener de front trois histoires d’amour, comme à la fin des années 1920 après qu’elle eut suscité la passion de Dolly Wilde, flamboyante nièce du grand Oscar.
Le salon de la rue Jacob
Natalie Barney – qui publia de son vivant une douzaine d’ouvrages, la plupart composés en français – marqua la vie intellectuelle française par ses réunions du vendredi. Ses goûters littéraires devinrent une véritable institution après l’emménagement de la plus parisienne des Américaines dans le Quartier latin, rue Jacob, en 1908. Agrémenté de jardins, flanqué d’un édifice néo-classique à colonnes doriques dédié à l’amitié, le pavillon du 20 rue Jacob sut réunir durant plus de 50 ans gens d’esprit, amis des arts et des lettres et tous ceux qui pouvaient se montrer sensibles à la cause féminine. Aussi sociable que douée de sens pratique, Natalie Barney ne répugna jamais à ce que la beauté s’invitât parmi cette petite société où les adeptes de Sappho étaient souvent majoritaires.
En 1927, réagissant à l’obstination de l’Académie française de n’accueillir en son sein que des hommes, Barney constitua sa propre Académie des Femmes. L’idée était de saluer et promouvoir le talent d’autrices injustement écartées des institutions en raison de leur sexe et/ou de leurs mœurs. Parmi les personnes dont les œuvres furent fêtées et distinguées rue Jacob se trouvaient Gertrude Stein, Mina Loy, Djuna Barnes – à qui Barney inspira le personnage de Dame Evangeline Musset dans Ladies Almanack –, Colette, Rachilde, Lucie Delarue-Mardrus ou encore Radclyffe Hall, qui dépeignit, en 1928, l’indomptable séductrice sous les traits de Valérie Seymour dans son grand roman lesbien Le Puits de solitude.
A 87 ans, Natalie Barney n’avait pas renoncé à l’amour. Elle mit à distance Romaine Brooks, son amour de toujours, pour vivre librement avec Janine Lahovary, une jeunette de 62 ans, fraîchement veuve. Mais selon ses dernières volontés, c’est avec la photographie de sa chère Romaine qu’elle fut enterrée, au cimetière de Passy, à son décès survenu le 2 février 1972, à l’âge de 95 ans. D’aucuns feront remarquer que notre séductrice repose non loin de la tombe de Renée Vivien, son amante d’antan… C’est que c’est bien long, l’éternité!
Article publié dans le numéro d’octobre 2021 de France-Amérique. S’abonner au magazine.