« Comparé au Metropolitan Museum of Art, le Clark est un petit musée, mais il est plus important que ne le suggère sa taille », assure Olivier Meslay, directeur depuis 2016 de cette étonnante institution. Le Clark Art Institute cultive le paradoxe. Il n’a pas la notoriété du Met de New York ou de l’Art Institute de Chicago, ni leur superficie ou leur nombre de visiteurs. Isolé dans les Berkshires, cette région vallonnée de l’ouest du Massachusetts, le musée incarne toutefois ce que la sphère culturelle américaine peut offrir de plus achevé.
Le Clark, comme la plupart des musées aux Etats-Unis, est né du mécénat. En l’occurrence de la générosité de Robert Sterling Clark, héritier d’une riche famille new-yorkaise propriétaire d’une partie de l’Upper West Side de Manhattan et principale actionnaire de Singer, le fabricant de machines à coudre. Voyageur impénitent, lieutenant de l’U.S. Army aux Philippines et en Chine, Sterling Clark s’installe à Paris en 1910. Là, il épouse une actrice de la Comédie-Française, Francine Clary, et tombe amoureux de la peinture européenne. Il commence dès lors à collectionner les œuvres d’art : Dürer, Rodin, Sargent ou encore Renoir, avec Femme faisant du crochet, sa première acquisition impressionniste.
Sans enfants, le couple franco-américain songe un temps léguer ses trésors au Petit Palais, le musée des beaux-arts de la ville de Paris. Avant de décider d’ouvrir sa propre collection, comme celle d’Albert Barnes à Philadelphie ou celle d’Henry Clay Frick à Manhattan. Mais où ? Après avoir hésité entre l’Upper East Side, où ils ont acheté trois bâtiments sur Park Avenue, et Cooperstown, dans le nord de l’Etat, ils jettent finalement leur dévolu sur le Massachusetts et la petite ville de Williamstown – « à trois heures en voiture de Boston et trois heures et demi de New York », précise Olivier Meslay.
Petit mais costaud
Le Sterling and Francine Clark Art Institute ouvrira ses portes en 1955. C’est alors, selon la revue Art News, « le musée le mieux organisé et le plus fonctionnel jamais érigé ». Sterling Clark décède un an plus tard. À l’institution qu’il a créée, il lègue un fonds substantiel. « Géré avec beaucoup d’attention et sous le contrôle d’un board of trustees vigilant, ce capital assure au Clark une totale indépendance », indique Olivier Meslay. Grâce à cette dotation, le petit musée, en partenariat avec la municipalité de Williamstown et son voisin le Massachusetts Museum of Contemporary Art, entre autres, va développer une série d’activités, de l’enseignement à la recherche, confortant sa réputation internationale.
Au centre du Clark, sa collection composite, abritée dans un bâtiment en marbre blanc de style néoclassique : maîtres anciens (Botticelli, Goya, Memling, Rubens), impressionnistes (Degas, Manet, Monet, Renoir, Van Gogh) et figures de l’art américain (Homer, Sargent). Aussi doté d’un centre universitaire, le musée propose plusieurs programmes de résidences ainsi qu’un master en histoire de l’art en collaboration avec le Williams College non loin. Un cursus qui compte parmi ses anciens élèves James Rondeau, le directeur de l’Art Institute de Chicago, Paul Provost, ancien vice-président de Christie’s, et Olivier Meslay lui-même.
Né au Maroc il y a 66 ans, diplômé de la Sorbonne et de la prestigieuse Ecole du Louvre, il travaillera longtemps au Louvre, dont il dirige de 1993 à 2006 le département des peintures américaines, britanniques et espagnoles. En 2001, il prépare une exposition sur le peintre Henri-Pierre Danloux, et une autre sur les influences étrangères dans l’art paysager français au tournant du XVIIIe siècle, et passe un an en résidence au Clark. Avec sa femme Laure de Margerie, qui dirige aujourd’hui un inventaire de la sculpture française aux Etats-Unis, il plonge dans la fabuleuse bibliothèque de recherche du musée, riche de 295 000 ouvrages en plus de 72 langues.
Olivier Meslay est « profondément français », selon ses propres termes, mais ce séjour dans le Massachusetts dictera le reste de sa carrière. Il ne l’oubliera pas lorsqu’il prendra plus tard les rênes du projet de collaboration du Louvre-Atlanta, puis celles du Louvre-Lens, deux manières de décentraliser les collections du grand musée parisien. Ni lorsqu’il deviendra conservateur en chef de la peinture européenne et américaine au Dallas Museum of Art (il garde « un souvenir ému » de la villa La Pausa, propriété de Coco Chanel sur la Côte d’Azur, méticuleusement reconstituée dans une aile du musée avec son mobilier et ses œuvres d’art). Avant d’être élu directeur d’un Clark où chaque nouvelle activité suscite un nouveau bâtiment – et une nouvelle architecture.
Un musée ouvert sur l’extérieur
Au bâtiment initial, dessiné par Daniel Deverell Perry, le musée a ajouté en 1973 le Manton Research Center, conçu par Pietro Belluschi, pour accueillir le programme de recherche et d’enseignement. Plus récemment, le campus s’est étendu avec un bâtiment signé par l’architecte japonais Tadao Andō, lauréat du prix Pritzker. Sobre, dominant un plan d’eau, ce nouvel espace accueille un café, une boutique ainsi que des expositions spéciales : les animaux revisités des Français Claude et François-Xavier Lalanne il y a deux ans, par exemple, ou les œuvres colorées de l’Américaine Elizabeth Atterbury, jusqu’en janvier prochain.
Cette extension, inaugurée en 2014, représente un nouveau chapitre dans la vie du musée, explique fièrement Olivier Meslay : « Grâce à cette nouvelle aile, ouverte sur une nature exceptionnelle faite de forêts et de collines, nous avons pu attirer des artistes vivants. » En 2020, le Clark invitait six d’entre eux à prendre possession du site – un écrin de 60 hectares – et à y créer des installations reflétant le passage du temps dans la nature. Première exposition extérieure organisée par le Clark, Ground/work est un succès. Cerise sur le gâteau : une des artistes, la sculptrice iranienne Nairy Baghramian, remportera dans la foulée le Nasher Prize !
Le directeur du Clark – également chercheur, esthète et spécialiste de Turner – trouve son bonheur dans ce « contact avec des collections incomparables ». Admirateur des Etats-Unis et de leur pragmatisme, cette « capacité de faire sans se créer de barrières inutiles », Olivier Meslay apprécie aussi leur conception des musées. Alors qu’en France, la relation entre la nation et son patrimoine, longtemps fusionnelle, s’est un peu desserrée, au risque d’oublier parfois le public, « les musées américains ont fait de l’ouverture de leurs collections une priorité ». Ici, le musée est « un outil d’éducation, enraciné dans la communauté locale » qui fournit les docents, ces guides bénévoles accueillant le public et favorisant les échanges entre l’institution et la société civile.
S’il apprécie la subtilité « parfois énervante » des Français et goûte « l’infinie variété des architectures, des saisons et des paysages » de son pays d’origine, Olivier Meslay est ancré aux Etats-Unis. Il sait aussi que la passion américaine pour le patrimoine français, encore manifeste lors de l’incendie de Notre-Dame, doit s’entretenir « au-delà de la curiosité pour le design, la mode, la cuisine ou la danse ». Autant dire que cet esprit polyvalent soutient la volonté de la France de multiplier ses relais culturels outre-Atlantique avec un maillage de résidences. Un ambitieux mécanisme qui permet à des artistes français de diffuser leur propre culture tout en prenant « le pouls de l’Amérique ». Un pays, insiste-t-il, « à l’avant-garde mais souvent méconnu au-delà de New York et de la côte est ».
Article publié dans le numéro de juin 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.