Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, est une rock star aux Etats-Unis. Il n’a que 19 ans lorsqu’il arrive en Caroline du Sud en 1777 avec une cargaison de fusils à destination des insurgés américains. Il sera aide de camp de George Washington, major général à la tête de l’armée continentale et participera au siège de Yorktown en 1781. Un fait d’arme qui vaudra à l’officier français le titre de citoyen d’honneur américain et le surnom de « héro des Deux Mondes ».
C’est cependant une tournée d’adieu qui est à l’origine du culte dont La Fayette fait encore l’objet aux Etats-Unis. Entre juillet 1824 et septembre 1825, le héros de la guerre d’indépendance visite plus de 400 villes dans vingt-quatre Etats, un périple de 8 000 kilomètres qu’il effectue en diligence, en péniche et en bateau à vapeur. Ces treize mois constituent « un moment clé », explique Julien Icher, fondateur et directeur du projet The Lafayette Trail. « C’est à partir de ce moment-là qu’on célèbre le nom de La Fayette aux Etats-Unis. »
Partout où il s’arrête, le général La Fayette – comme il se fait alors appeler – est accueilli dans la liesse, escorté par les fanfares et les vétérans, célébré et glorifié. On vend des statuettes à son effigie, des chopes de bière ornées de son portrait et on rebaptise des villes en son honneur. Le marquis donnera son nom à une université, dix-sept comtés, trente-six villes et un nombre incalculable de rues, avenues, jardins publics, lycées et théâtres. La Grange, le nom de son château en région parisienne, est aussi devenu un toponyme courant aux Etats-Unis.
3 septembre 1824 : petit déjeuner chez le gouverneur
Julien Icher a croisé le chemin de La Fayette en 2017, à l’occasion d’un stage au consulat de France à Boston. Il termine alors un master de géographie et de système d’information géographique à l’Ecole normale supérieure. On lui confie la mission de cartographier l’itinéraire du marquis en Nouvelle-Angleterre. Pour la journée du 3 septembre 1824, par exemple, huit points sont identifiés : accueil par le notable Isaac Goodwin à Sterling dans le Massachusetts, petit déjeuner chez le gouverneur à Worcester, accueil par le capitaine Howe à Leicester et discours du révérend Joseph Muenschner à Rochdale, pause à la Rider Tavern à Charlton, réception à la Porter’s Stage-house de Sturbridge, nuit à l’auberge Springs House à Stafford Springs dans le Connecticut. Et ainsi de suite.
Toutes les pauses du marquis ne sont pas aussi bien documentées. Une horloge atteste du passage de La Fayette à l’académie militaire de West Point, dans l’Etat de New York, mais rien ne prouve qu’il a bien bu dans le verre qui est exposé dans une maison de Branford dans le Connecticut. « Il est nécessaire d’attester du sérieux de chaque source », explique Julien Icher. « Les informations foisonnent. Presque tous les jours, je découvre un document qui mentionne le passage de La Fayette dans telle ou telle ville, parfois un particulier m’informe qu’il possède des effets personnels de La Fayette. Je me déplace pour vérifier. »
Une entreprise à temps plein
L’historien de 25 ans, résident du New Hampshire depuis 2018, estime qu’il a déjà parcouru 24 000 kilomètres sur la piste de La Fayette. A mesure qu’elles sont authentifiées, les étapes du voyage apparaîtront en ligne sur une carte interactive. Le projet de stage est devenu une entreprise à temps plein, financée par l’agence Business France et une bourse de la Richard Lounsbery Foundation et des American Friends of Lafayette. Les recherches englobent désormais les vingt-quatre Etats visités par La Fayette, du Maine à la Louisiane et de la Géorgie au Missouri. Dans chaque Etat, Julien Icher plaide pour que l’itinéraire de La Fayette soit officiellement reconnu et identifié à l’aide de panneaux d’information. Le Congrès du Massachusetts a approuvé l’initiative en septembre 2018 et le Sénat du New Hampshire examinera une proposition de loi ce jeudi.
Le natif de Carcassonne compte achever sa mission avant 2024 et le bicentenaire de la tournée de La Fayette. Son projet a déjà reçu le support d’Emmanuel Macron – Julien Icher faisait partie de la délégation qui a accompagné le président lors de sa visite d’Etat à Washington D.C. en avril 2018 – et du gouvernement américain : il a discuté de l’idée d’une Route La Fayette nationale avec les représentants du National Park Service. Il planche également sur un livre en français et en anglais, récit de son expérience sur les traces de La Fayette aux Etats-Unis et une lecture historique de cette tournée d’adieu et de son influence sur le pays. Et après ? « C’est important de forger cette relation franco-américaine et de la transmettre aux futures générations. Des programmes d’interprétation du patrimoine à destination des élèves, des professeurs et autres passionnés d’histoire seront bientôt disponibles via une application mobile. »