Louise Bourgeois : L comme Labyrinthe, B comme Beauté

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L’artiste franco-américaine Louise Bourgeois a créé plus de 3 000 œuvres d’art : dessins, lithographies, bijoux, sculptures de bois, de tissu, de plâtre et de caoutchouc, sans oublier ses araignées démesurées. Un beau livre sous forme de glossaire publié par Rizzoli commémore la carrière de celle que l’on a surnommé « la lionne de l’art contemporain ».

De ses débuts aux côtés des Surréalistes parisiens dans les années 1930 à son triomphe international dans les années 1990, la carrière de Louise Bourgeois s’étend sur plus de soixante-quinze ans. En 1938, elle s’installe à New York pour suivre son mari américain et y passera le reste de sa vie. Naturalisée en 1955, elle conservera toujours son accent gouailleur parisien ! Elle enseigne l’art au Brooklyn College et au Pratt Institute avant de devenir artiste elle-même : elle commence avec des toiles puis se tourne vers la sculpture, influencée par Giacometti et Le Corbusier.

La reconnaissance est tardive. Louise Bourgeois a soixante-et-onze ans lorsque les musées du monde commencent à lui consacrer des rétrospectives. Elle reçoit la Médaille nationale des arts des mains de Bill Clinton en 1997 et la Légion d’honneur de celles de Nicolas Sarkozy en 2008. Elle décédera deux ans plus tard à l’âge de 98 ans et repose aujourd’hui au cimetière de Cutchogue à Long Island.


A COMME ARAIGNEE
Cette sculpture est emblématique de Louise Bourgeois. Il en existe plusieurs versions, exposées en France et aux Etats-Unis. A Bentonville dans l’Arkansas, une créature de neuf mètres de haut enjambe la cour du Crystal Bridges Museum of American Art : les visiteurs se prennent en photo sous ses huit pattes de bronze avant d’entrer dans le musée. L’animal porte le nom de Maman, un hommage à la mère de l’artiste, décédée de la grippe espagnole lorsqu’elle avait vingt-et-un ans. L’araignée est aussi l’animal qui tisse sa toile. Un autre hommage à sa mère, restauratrice de tapisseries anciennes à Choisy-le-Roi, au sud de Paris. C’est dans l’atelier familial que Louise se découvre une sensibilité artistique : elle dessine les motifs qui aident au tissage.

C COMME CHELSEA Les dimanches après-midi, Louise Bourgeois tient salon dans la maison qu’elle habite au numéro 347 de la 20e Rue Ouest, dans le quartier de Chelsea à New York. Elle écoute les étudiants, artistes, journalistes et conservateurs venus lui présenter leurs travaux. « L’expérience pouvait être rude », se souvient la photographe française Dominique Nabokov, voisine et amie de l’artiste. « Il ne fallait pas attendre de la Reine Louise des compliments ou des encouragements de circonstance : ses questions laconiques étaient redoutées ! Il régnait dans ces réunions dominicales une atmosphère d’adoration presque religieuse. »

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Le salon de Louise Bourgeois, dans le quartier de Chelsea à New York, en 1997.
© Dominique Nabokov

D COMME DESTRUCTION DU PERE En 1974, Louise Bourgeois orchestre le sacrifice de son père — un personnage violent, humiliant et volage. L’installation s’appelle The Destruction of the Father. Dans un intérieur lugubre baigné de lumière rouge, on devine une table sur laquelle repose un corps démembré : le tyran est mort, sa femme et ses enfants l’ont assassiné et l’ont dévoré. La haine que l’artiste éprouve pour son père influencera l’ensemble de sa carrière. « C’est devenu ma spécialité », explique-t-elle. « Je me moquais des pères. J’ai essayé de les ridiculiser. La Rochefoucauld disait que le ridicule tue. C’est ce que j’essayais de faire. Les éliminer. » Sa sculpture Fillette (1968) évoque un sexe masculin suspendu au plafond, fiché sur un croc de boucher. Pour le photographe Robert Mapplethorpe, elle posera avec la verge de plâtre et de latex sous le bras !

F COMME FEMME La femme est au centre de son œuvre : elle est coiffée d’un toit dans les dessins Femme maison, nue et élancée dans les sculptures de marbre Femme Couteau et enceinte dans The Reticent Child. Mais Louise Bourgeois refuse le rôle de madone féministe qu’on lui fait endosser. Elle milite aux côtés de Lee Krasner et d’Hedda Sterne dans les années 1940 pour que davantage d’artistes contemporains, et notamment des femmes, soient exposés dans les musées américains. Mais elle rejette le féminisme des années 1960.

M COMME MORT Chaque décès ouvre un nouveau chapitre dans la vie et le travail de Louise Bourgeois. Celui de sa mère en 1932, de son père en 1951, de son mari en 1973, de son fils Michel en 1990. Pour lui, elle achète et rénove une maison centenaire à Staten Island. Mais la demeure restera inoccupée et deviendra une œuvre en elle-même : Maison vide. « C’est une belle maison, mais elle est sans âme », expliquait l’artiste. « De l’extérieur, la maison est belle : elle essaye de paraître droite et forte, mais l’intérieur est désert, il n’y a plus rien, la maison a été abandonnée par la vie elle-même. Elle représente le deuil, le deuil d’une mère, d’un père ou seulement d’un bon ami. »

N COMME NEW YORK En septembre 1938, Louise Bourgeois épouse l’historien de l’art américain Robert Goldwater et s’installe avec lui à New York. Elle y restera jusqu’à son décès en 2010. Elle suit des cours à l’Art Students League de Manhattan, son mari lui présente l’intelligentsia américaine et les intellectuels européens en exil. En 1945, Louise Bourgeois présente douze toiles à la Bertha Schaefer Gallery sur la 41e Rue Est, sa première exposition personnelle.

P COMME « PERSONAGES » Sur le toit de l’appartement qu’elle occupe avec son mari et ses trois enfants dans le Lower East Side, Louise Bourgeois commence à sculpter le bois. Son travail reflète le paysage, les immeubles, les châteaux d’eau et les antennes. Portrait of Jean-Louis (1947-1949) représente son fils sous les traits d’un gratte-ciel blanc percé de fenêtres. Portrait of C.Y. (1947-1949) évoque une pile de livres et Figure (1954) une aiguille démesurée. Ces totems sont surnommés « Personages » : ils représentent les proches de l’artiste restés en France et l’aident à surmonter le mal du pays. En 1951, le MoMA acquiert une de ces sculptures de balsa, Sleeping Figure, pour sa collection permanente.

R COMME RETROSPECTIVE La première rétrospective américaine consacrée à Louise Bourgeois a lieu au MoMA en 1982 : c’est la première dédiée à une femme sculpteur. Pendant le week-end, l’artiste de 71 ans se faufile dans les galeries, écoute les commentaires des visiteurs et déplace ses œuvres. « Je suis l’artiste », rétorque-t-elle aux vigiles qui tentent de l’en empêcher. Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris lui consacrera à son tour une rétrospective en 1995.

S COMME STUDIO Après la mort de son mari en 1973, Louise Bourgeois remodèle leur maison de Chelsea et consacre les quatre niveaux à ses créations. La bâtisse de briques est restée telle quelle après le décès de sa propriétaire. Dans le sous-sol transformé en atelier, on trouve une machine à coudre et deux presses à imprimer. « Robes et manteaux pendent dans l’armoire », témoigne le New York Times, qui a visité l’endroit en 2016. « Magazines et carnets emplissent la bibliothèque, montrant l’étendue des intérêts de Louise Bourgeois, dont The Joy of Cooking, le poème épique hindou Bhagavad-Gita, et le recueil de nouvelles Nine Stories de J.D. Salinger. » Des travaux sont en cours pour transformer cette maison en musée.


=> Louise Bourgeois édité par Frances Morris, Rizzoli Electa, 5 mars 2019. 320 pages, 45 dollars.

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Article publié dans le numéro de février 2019 de France-Amérique[:]