The Brief

Ludovic du Plessis, Telmont et la révolution du champagne vert

Avec son vélo pliant et sa veste façon bleu de travail, Ludovic du Plessis ne passe pas inaperçu dans le monde du luxe. « Climato-optimiste » à l’enthousiasme contagieux, l’ancien cadre de Dom Pérignon aux Etats-Unis s’est donné pour objectif de produire le champagne le plus respectueux de l’environnement au monde. Pour ce faire, il mise sur la maison centenaire Telmont, le groupe français Rémy Cointreau et un actionnaire américain célèbre pour son engagement en faveur de la nature : Leonardo DiCaprio.
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© ChampagneTelmont

France-Amérique : L’année dernière, Leonardo DiCaprio est devenu actionnaire de votre maison de champagne. Comment est née votre collaboration ?

Ludovic du Plessis : Nous nous connaissons depuis une quinzaine d’années. A cette époque, je me posais des questions sur le changement climatique, mais je n’en mesurais pas encore les conséquences. C’est lui qui a planté la graine du développement durable dans ma tête. Porte-parole des Nations unies sur les questions environnementales, il est très actif. Il m’a conseillé le documentaire Can We Cool the Planet? (2020) et ça m’a fait réfléchir. Je me suis alors demandé : « Comment allier mon plaisir, la Champagne, avec un métier qui serait bénéfique pour l’environnement. »

C’est ainsi que vous avez racheté la maison Telmont…

Exactement. Avant cela, je me suis occupé pendant dix ans du champagne Dom Pérignon et pendant sept ans du cognac Louis XIII. En quête d’un domaine à vendre, j’ai enfourché mon vélo pliant – je m’y suis mis lorsque je vivais à New York ! – et j’ai écumé la Champagne. J’avais quatre critères en tête. Je cherchais une maison historique, une affaire familiale, une gamme de grands vins et une exploitation qui ait commencé la transition vers l’agriculture biologique. Beaucoup de maisons cochaient les trois premières cases, mais la quatrième relevait presque de la mission impossible ! A peine 4 % du vignoble champenois est certifié bio. Ça veut dire zéro herbicides, zéro pesticides, zéro fertilisants chimiques, zéro fongicides. C’est aussi simple que ça. Bertrand Lhôpital, l’arrière-petit-fils du fondateur de la maison Telmont, avait commencé à convertir ses parcelles. Nous sommes aujourd’hui quatre actionnaires : le groupe Rémy Cointreau, mon employeur, qui est majoritaire, Bertrand Lhôpital, qui est directeur du vignoble et chef de cave, moi-même et Leonardo DiCaprio. Il a visité le domaine et a tout de suite compris notre philosophie. Ce n’est pas une égérie, mais un investisseur qui faisait sens pour Telmont. Il suit ce que nous faisons et nous donne des conseils.

Ludovic du Plessis, président de Telmont, avec Leonardo Dicaprio, qui est entré au capital de la maison française en 2022. © Champagne Telmont

Revenons sur les cinq années que avez passé à New York, lorsque vous travailliez pour le groupe LVMH. En quoi cette expérience vous a-t-elle influencé ?

Je suis amoureux des Etats-Unis. C’est un pays qui m’a accueilli, moi et ma famille, à bras ouverts. C’est un pays qui a le sourire et la positive attitude – tout ce que j’aime ! J’ai la chance d’avoir trois enfants qui ont appris l’anglais au Lycée Français de New York et ont gardé cette positive attitude. Tous les jours, je rencontrais des gens inspirant. Trois rencontres en particulier ont changé ma vie : Leonardo DiCaprio, Serena Williams et Spike Lee. Ils m’ont ouvert leur porte et c’est fantastique de pouvoir échanger des idées avec des gens comme eux. Ceci, associé à l’architecture de Manhattan, m’a tiré vers le haut. A Paris, j’aurais pu rester dans le cognac, présider une superbe maison comme Louis XIII, mais les Etats-Unis m’ont encouragé à sortir de ma zone de confort. J’avais envie d’essayer de nouvelles choses et de prendre des risques.

Produire le meilleur champagne, sans compromis sur le plan du changement climatique et de la façon la plus durable possible. Comment vous attaquez-vous à une mission aussi ambitieuse ?

C’est le projet Au nom de la Terre, lancé le 21 juin 2021. Pour nous guider, nous nous sommes entourés des meilleurs spécialistes, et notamment du cabinet de conseil en stratégie environnementale Quantis [qui travaille aussi avec Apple, Bel, Chevron, EDF, General Mills, la SNCF, Starbucks ou Unilever]. Face au dérèglement climatique, l’Accord de Paris préconise de réduire au maximum notre empreinte carbone et ce, afin de limiter le réchauffement à 1,5°C. Tous les gestes comptent. Nous avons commencé par la terre, en restaurant la biodiversité et en plantant des charmes et des couverts végétaux pour capter le dioxyde de carbone. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne a fait un travail extraordinaire et toute la région s’y est mise. Mais ce n’est pas assez. Il faut maintenant passer à l’agriculture biologique, sur nos propres parcelles comme celles de nos partenaires. Aujourd’hui, 60 % de nos 80 hectares sont certifiés agriculture biologique ou en passe de l’être.

Votre révolution touche aussi l’emballage…

En effet, pour atteindre notre objectif d’être net positive d’ici 2050, c’est-à-dire réduire drastiquement nos émissions et capturer plus de CO2 et autres gaz à effet de serre que nous en émettons, il faut aller encore plus loin. C’est ce que nous expliquons dans notre guide du développement durable en Champagne, publié en janvier. La bouteille elle-même représente entre 24 et 30 % de notre empreinte carbone. Nous avons donc mis fin aux bouteilles « prestige », qui pèsent plus lourd : 900 grammes, contre 835 grammes pour la « champenoise » classique. A l’aide de l’entreprise Verallia, nous avons réduit ce poids à 800 grammes en développant la bouteille la plus légère du marché. Enfin, nous avons arrêté les bouteilles transparentes au profit de bouteilles vertes, produites à 87 % à partir de verre recyclé. Dans la même lancée, nous avons arrêté les coffrets cadeaux. Nous réduisons ainsi de 8 % l’empreinte carbone pour chaque bouteille produite. Ce n’est pas anodin. En février, notre politique The best packaging is no packaging a gagné la médaille d’or du meilleur emballage décernée par le magazine The Drinks Business ! Ça signifie que les mentalités sont en train de changer.

Bertrand Lhôpital, directeur du vignoble, chef de cave et arrière-petit-fils du fondateur de Telmont. © Champagne Telmont
Les bouteilles Telmont sont produites à 87 % à partir de verre recyclé. © Champagne Telmont

Comment décririez-vous votre champagne à nos lecteurs qui ne connaissent pas encore Telmont ? Quelle est l’influence du raisin bio sur les arômes ?

Le style Telmont, c’est la finesse de la bulle. C’est un vin qui a un vrai corps, mais qui n’est pas lourd, un vin très aérien, à la fois frais, élégant et mature. Il est aussi très faiblement dosé en sucre, comme indiqué sur nos étiquettes – nous sommes transparents. Sa palette aromatique change d’une année sur l’autre, selon ce que la nature nous apporte. Ensuite, le champagne bio est-il meilleur que le non-bio ? C’est un faux débat, selon moi. Le goût est tellement subjectif. Par contre, nous avons commencé les vendanges hier [le 5 septembre] et je peux vous dire que je trouve plus de pourriture sur les grappes conventionnelles que sur celles bio. En bouche, le raisin bio a un éclat, une texture…

Vous exportez aux Etats-Unis 30 % de votre production annuelle, soit 100 à 130 000 bouteilles : une goutte d’eau par rapport aux grandes marques qui inondent le marché. Comment vous distinguez-vous ?

Telmont, c’est une démarche exclusive. Globalement, plus de 70 % de nos ventes se font dans les restaurants. Nous travaillons avec des adresses influentes et pour lesquelles le développement durable est primordial : la Table de Colette de Josselin Marie à Paris, l’Oustau de Baumanière de Glenn Viel aux Baux-de-Provence, le restaurant de Guy Savoy à Las Vegas, le Daniel de Daniel Boulud à Manhattan, Peak ou encore Casa Cipriani. Le reste de nos ventes, ça va être des cavistes très ciblés à New York, Miami, Los Angeles, Houston ou Atlanta. Vous ne trouverez pas Telmont chez Costco ! Nous réalisons aussi beaucoup de ventes directes, à notre propriété de Damery, à côté d’Epernay, ou via notre plateforme de e-commerce.

En parlant d’export, votre champagne traversera bientôt l’Atlantique à la voile. Un autre geste pour l’environnement ?

Depuis juin 2021, plus une seule de nos bouteilles n’est acheminée par avion. Tous nos envois vers l’Amérique et l’Asie se font par bateau. Nous avons conclu un partenariat avec la société française Neoline, qui lancera un voilier-cargo de 136 mètres en 2025. Sur le domaine, nos véhicules sont électriques et nos tracteurs fonctionnent au biocarburant. Nous-mêmes faisons un effort et venons travailler en train et/ou à vélo ! Si nous voulons continuer à produire du champagne dans un siècle, c’est à nous de montrer la voie.


Entretien publié dans le numéro d’octobre 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.