Pierre Yovanovitch supervise actuellement une dizaine de projets aux Etats-Unis, dont une maison victorienne dominant la baie de San Francisco, une villa à Los Angeles pour « une célèbre famille française » et deux résidences dans le Connecticut. Mais le célèbre architecte d’intérieur, retenu en France par la pandémie, est contraint de travailler à distance. « Google Maps me donne un aperçu de la topologie du site et je travaille à l’aide de plans, de photos et de vidéos », explique-t-il au téléphone depuis son bureau parisien, dans le 2e arrondissement. « C’est un processus unique pour moi. Le client et le lieu sont très importants dans ma réflexion. »
Avant de peindre en rose saumon les murs d’une chambre ou de tapisser un couloir de carreaux de céramique, avant d’installer dans un salon une toile de Nicolas de Staël ou un fauteuil moderniste du Danois Flemming Lassen, Pierre Yovanovitch écoute. Il se tait, attentif aux désirs du client, jauge sa personnalité (Est-il formel ou exubérant ? Intellectuel ? Détendu ?) et s’imprègne de l’espace. « L’agencement et la décoration doivent être en accord avec l’architecture. J’aime la dissonance, mais ça serait faux d’installer des boiseries anciennes dans une tour contemporaine. »
Pour sa « collection » de neuf appartements de luxe au sommet des gratte-ciel ultra-modernes The XI, qui ouvriront à Chelsea cet hiver, l’architecte a retenu des matières organiques – du bois, du marbre, du bronze – qu’il illumine par de subtiles touches de couleur : les orangés d’un tapis rétro, le safran discret d’une bibliothèque encastrée, le rouge d’une lampe d’appoint. Dans les Hamptons, Pierre Yovanovitch est en train de moderniser l’intérieur d’une résidence centenaire. Pour concilier le charme début de siècle du lieu et l’esthétique minimaliste du client, un collectionneur contemporain, il a arrangé du mobilier actuel, du design américain et scandinave des années 1950, « tout ce qui fait mon goût aujourd’hui ».
L’élève de Pierre Cardin
L’architecte d’intérieur est arrivé à son métier par hasard. Après son lycée à Nice et des études de commerce à Paris, il s’apprêtait à faire son service militaire lorsque Pierre Cardin lui a offert un apprentissage. Il travaillera à ses côtés pendant huit ans, en tant que responsable de ses licences masculines pour le Benelux, puis en tant que créateur, chargé de dessiner ses collections masculines. La mode ne l’intéresse pas plus que ça, mais Pierre Yovanovitch se découvre à cette époque une passion pour la silhouette. « Pierre Cardin m’a inculqué un œil pour l’architecture. C’est lui qui m’a appris ce que je développe aujourd’hui dans mes intérieurs : la forme, le volume, la géométrie, la symétrie et la dissymétrie. »
En 2001, le décorateur autodidacte fonde sa propre agence. Une Anglaise fait appel à ses services pour agencer sa résidence parisienne, un ami lui confie sa villa de West Palm Beach en Floride. Le bouche à oreille fera le reste. En 2004, le magazine américain Architectural Digest consacre un article à son appartement parisien, un duplex en face du palais de l’Elysée. « Son sens du luxe est si raffiné », note le journaliste, « que les murs de sa chambre sont tapissés de cachemire ». Quatre ans plus tard, le magazine intronise Pierre Yovanovitch dans son prestigieux classement AD100 des meilleurs architectes d’intérieur, décorateurs et paysagistes.
Il a depuis travaillé avec Hermès et Christian Louboutin et décoré l’hôtel Le Coucou à Méribel, le restaurant londonien de la cheffe Hélène Darroze au Connaught et le siège parisien du groupe Kering de François Pinault, un cocon chaleureux et hyper moderne dans un bâtiment du XVIIe siècle. Sous oublier la boutique de la villa Noailles à Hyères, où il ose une palette pop, des bleus, des rouges et des jaunes éclatants, ni son château varois de Fabrègues, entièrement restauré, où il aime recevoir ses clients. Les quatre tours aux tuiles vernissées, le mobilier et les œuvres d’art, le parc et ses labyrinthes d’ifs lui servent de « carte de visite ».
Apprivoiser le marché américain
L’ouverture en 2018 d’un bureau new-yorkais sur Madison Avenue et la publication l’année suivante de sa première monographie chez Rizzoli ont accru sa réputation aux Etats-Unis. Pierre Yovanovitch y suit en personne les chantiers : ses clients, fortunés, exigent ce traitement V.I.P. Pour garantir un service « haute couture », de l’étude de plans jusqu’au choix des tableaux, des serviettes et des petites cuillères, le chef d’entreprise (il emploie 45 personnes entre Paris et New York) trie ses projets sur le volet – une trentaine par an – et s’entoure des meilleurs artisans, la plupart français : les tapissiers des Ateliers Jouffre et les tisseurs de la Manufacture d’Aubusson, la céramiste Armelle Benoît, des menuisiers, des ébénistes, des gypsiers.
« Ces artisans détiennent un savoir-faire extrêmement recherché par nos clients et savent retranscrire mes idées et mes dessins », témoigne Pierre Yovanovitch, qui a montré sa première collection de meubles à la galerie R & Company de Manhattan en 2017. (Ses fauteuils Ours et Asymétrie, son canapé Stanley en zigzag et sa lampe E.T sont devenus des classiques prisés des amateurs de design.) « En faisant appel à mes services pour leur intérieur, les Américains s’achètent unsignature et une certaine culture des arts décoratifs français. »
Article publié dans le numéro de novembre 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.