Portrait

Une Américaine à Paris découvre le secret de la joie de vivre

Née au Nigéria, Ajiri Aki a grandi au Texas et vit depuis plus de dix ans en France, où elle explore la notion de joie de vivre. Nous avons récemment rencontré l’autrice, aussi vendeuse d’objets anciens, à son domicile du 11e arrondissement pour parler de son livre Joie, à paraître le 18 avril, et de la façon dont les Français profitent de la vie.
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© Madame de la Maison

L’appartement d’Ajiri Aki renferme un trésor d’objets chinés. Sur la cheminée en marbre du salon, on compte pas moins de neuf variétés de fleurs, fraîches ou séchées, dans autant d’élégants vases dénichés aux puces. Ici, un plateau en cristal avec des châtaignes ; là, un présentoir doré avec des cartes postales anciennes de Paris. Sur la table à manger en bois rustique court un chemin de table vert olive agrémenté de vaisselle dépareillée, d’un élégant porte-tartines et de coquetiers en porcelaine. Pour Ajiri Aki, fondatrice de Madame de la Maison, boutique spécialisée en linge et vaisselle ancienne, notre entretien matinal lui-même – un festin de toasts beurrés et d’œufs à la coque – est empreint de joie. Joie, comme le titre de son livre, un guide pour apprendre à cultiver cet art bien français de la joie au quotidien.

« La joie, ce n’est pas le bonheur », explique Ajiri Aki, 43 ans, tout en guillotinant un œuf d’une main experte. « On peut être malheureux et ressentir quand même de la joie. On peut être grognon et ressentir de la joie. Quand les Français font la grève, par exemple, ils sont dans la rue, ils boivent et chantent », s’esclaffe-t-elle. La joie, c’est trouver du plaisir en toute situation – même quand on manifeste son mécontentement. C’est « l’art d’être », concept exposé dans le premier chapitre de son livre. C’est sortir sa plus belle porcelaine pour le petit déjeuner un jour de semaine. « La joie est l’étoile polaire des Français. On ne goûte pas la joie si l’on vit constamment dans le désir. Il faut trouver la paix et partir à l’aventure. »

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© Jessica Antola
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© Jessica Antola

L’autrice, née au Nigéria et arrivée à Austin, au Texas, avec sa famille à l’âge de cinq ans, a eu amplement le temps d’observer les Français et leur conception particulière de la douceur de vivre. Etudiante en arts décoratifs au Bard Graduate Center de New York, elle a passé un été à Paris, s’immergeant dans l’univers du couturier français Jean Patou, auquel elle a consacré son mémoire de master. Avant de s’installer dans la Ville Lumière en 2011, après son mariage avec un producteur de films suisse allemand. Elle a depuis donné naissance à deux enfants et s’est progressivement acculturée. Les débuts ont toutefois été difficiles, elle le reconnaît : « Pour les Américains, ‘Paris, c’est si beau !’ Mais on peut s’y sentir très seul si on ne trouve pas sa tribu. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû davantage profiter [de ce temps libre], parce qu’aujourd’hui, avec les enfants, ma vie est très occupée. J’aurais dû aller voir plus d’expositions, voyager davantage en solo. Rétrospectivement, je regrette de n’avoir pas profité de cette solitude pour flâner. »

Un projet né de la pandémie

La flânerie est l’un des thèmes abordés par Ajiri Aki dans Joie, tout comme l’importance de la pause déjeuner (garantie par la loi), les astuces d’une grand-mère française sur l’entretien du linge de maison ou la capacité à dire « non » pour se préserver. Comme beaucoup de projets littéraires (et beaucoup d’enfants), Joie a été conçu pendant la pandémie. Durant le premier confinement, au printemps 2020, Ajiri Aki a approfondi une idée qui la travaillait depuis ses premiers temps à Paris : « Je me suis demandé ce qui, dans la culture française, m’avait changée. En particulier, qu’avais-je appris sur la joie ? » Toujours avide de découvertes, elle s’est lancée dans des dizaines d’entretiens avec des créateurs de tendance établis en France, comme le pâtissier et auteur de livres de cuisine Frank Adrian Barron ou la formatrice en œnologie Tanisha Townsend, fondatrice de Girl Meets Glass. « L’histoire culturelle est passionnante. Réfléchir à la manière dont on fait les choses aux Etats-Unis et en France – l’une est-elle meilleure que l’autre ? J’aime les conversations qui naissent de ce questionnement. »

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© Jessica Antola

Une certaine filiation entre la culture de son pays d’origine et sa nouvelle patrie a commencé à voir le jour. Sur le rapport au groupe : « Il y avait quelque chose en moi qui me venait de la culture nigériane – plus on est de fous, plus on rit. Au moment où j’avais du mal à trouver ma place en France, j’ai remarqué que les Français partageaient avec les Nigérians le goût de se rassembler, de faire corps avec leur tribu lors de grands dîners de famille ou de déjeuners interminables. » Elle poursuit : « Comprendre la culture m’a fait apprécier encore davantage les gens et ma vie en France. » Son livre, qui sort en anglais cet avril, est déjà numéro 1 des nouveautés sur Amazon. Lindsey Tramuta, journaliste américaine installée à Paris, en parle comme d’un « chef-d’œuvre suggestif et inspirant », « une fenêtre sur l’art de vivre à la française ».

Que réserve l’avenir à cette entrepreneure-autrice ? Dans l’immédiat, plusieurs contrats de licence, pour des poignées de porte anciennes et des articles de papeterie. Les détails ne sont pas encore finalisés, mais l’ambition d’Ajiri Aki à long terme est on ne peut plus claire : « Je veux continuer à créer des produits qui rassemblent les gens, de beaux objets à avoir autour de soi quand on se réunit et qu’on partage des moments de joie. »


Joie: A Parisian’s Guide to Celebrating the Good Life
d’Ajiri Aki, Clarkson Potter, 18 avril 2023.


Article publié dans le numéro d’avril 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.