Lever le nez. Pour Vanessa Grall, c’est la règle numéro un lorsqu’on voyage. Pourtant, personne ne le fait vraiment. « Les gens me voient rarement », commente l’autrice de 38 ans en désignant les fenêtres de son bureau, dans le 5e arrondissement. Tout comme son blog Messy Nessy Chic, c’est un véritable cabinet de curiosités : sur des panneaux blancs sont affichées des cartes postales et des publicités de voyage rétro ; sur le radiateur, une vieille machine à écrire trône à côté d’une carte des cocktails du bar Hemingway et du crâne d’un rongeur non identifié (« Je l’ai trouvé dans le jardin ! »). Trois portes-fenêtres ouvrent sur des balcons et leurs balustrades de fer forgé : c’est de là que Vanessa Grall observe le style des gens qui passent pour ses fameuses reels Instagram.
La Franco-Américaine a grandi à Londres avant de s’installer à Paris vers l’âge de 25 ans. C’est là qu’elle a fait une carrière de ses talents d’observatrice et d’étrangère à la curiosité insatiable. De fait, son accent est difficile à situer. « A Londres, j’ai été dans un lycée américain », explique Vanessa Grall. « J’ai une oreille musicale qui s’adapte à la personne avec laquelle je suis. » Après le lycée, elle fait ses études pendant un an à l’antenne de New York University à Florence, en Italie. Sensée poursuivre à New York ensuite, elle abandonne finalement l’université avant de rentrer à Londres. Elle y fera ses premières armes dans un petit magazine lifestyle de Notting Hill : « C’était seulement deux mecs et moi dans une ancienne boutique. J’ai fini par écrire tout le truc. »
A la fin des années 2000, comme beaucoup de milléniaux plus âgés, Vanessa Grall décide de lancer un blog. Six mois plus tard, elle s’installe à Paris et sa nouvelle ville devient sa muse. C’est là qu’elle se prend de passion pour tout ce qui est tombé dans l’oubli, pour le macabre et le bizarre. « A l’époque, il y avait quelques blogs [sur Paris], mais aucun ne s’intéressait à ces histoires étranges. [Ils montraient] les classiques, ce qu’on appellerait aujourd’hui, j’imagine, le Paris d’Emily in Paris. » Aussi, elle veut s’intégrer : « Enfant, j’ai toujours redouté de ressembler à une touriste. En arrivant à Paris, j’ai voulu connaître parfaitement la ville. »
Ces histoires insolites mais très fouillées, écrites dans un style à la fois oral et impertinent, ont fait mouche. Le trafic a explosé et Messy Nessy Chic a bien grandi depuis. Auto-proclamée « créatrice, éditrice, concierge et patronne de ce navire », Vanessa Grall emploie aujourd’hui une douzaine de contributeurs indépendants. Et même si Paris reste la destination la plus représentée, avec des articles sur l’histoire des bains-douches de la capitale ou son expérience dans un club échangiste, le blog couvre d’autres aires géographiques : on y parle d’îles suédoises, de jardins italiens du XVIe siècle ou d’un bar haut en couleur dans le delta du Mississippi. Bien plus que le SEO, c’est la curiosité de chaque auteur qui dicte le contenu.
Son étoile polaire parisienne
Résidente depuis douze ans, Vanessa se voit maintenant comme une Parisienne. L’univers de Messy Nessy Chic, qu’elle a créé de ses propres mains, témoigne d’un esprit entrepreneurial typiquement américain. Mais sa modestie et sa tendance pince-sans-rire à l’autodénigrement ont quelque chose de très britannique. « Je ne suis pas particulièrement ambitieuse. Tout en étant très certainement bosseuse, je procrastine beaucoup. Je me considère paresseuse. »
« Paresseuse » n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit pour décrire une autrice qui apparaît régulièrement dans le classement des meilleures ventes d’Amazon, qui a sa propre maison d’édition ainsi qu’un blog dont la fréquentation a un temps rivalisé avec celle de Vogue.com. Vanessa Grall affirme se soucier moins du nombre de clics et des chiffres de ventes que des avis de ses lecteurs. « Un homme qui venait de perdre son partenaire m’a envoyé un e-mail alors qu’il rassemblait les effets personnels de celui-ci. Il voulait me dire combien mes articles comptaient pour lui et égayaient sa vie. Pour moi, ça vaut toutes les récompenses. »
A ce jour, Vanessa Grall a publié deux livres Don’t Be a Tourist, un sur Paris et l’autre sur New York. Elle prépare le troisième, un « anti-guide » consacré à Londres. « Mes livres ne parlent pas juste de restaurants ou de musées », explique-t-elle. « Ce sont des éléments de la ville saisis à force d’observation. Parmi les destinations proposées, vous trouverez une descente de gouttière biscornue – entre autres curiosités architecturales – ou un vieux sage assis sur un banc. » L’idée est de partager une façon d’explorer une ville, qu’il s’agisse de marcher le long d’une voie ferrée abandonnée (la Petite Ceinture à Paris) ou de découvrir les meilleures adresses où écouter les conversations (le bar de L’Entracte, rue de Montpensier) – autant de sujets que vous ne trouverez pas dans Fodor’s ou Lonely Planet.
« Je veux [que le lecteur] ait l’impression que nous partageons avec lui notre carnet de voyage », explique Vanessa Grall, qui compare son rôle à celui d’une curatrice. Qu’elle rédige son post hebdomadaire sur « treize choses que j’ai trouvé sur Internet aujourd’hui », sélectionne un classique de la chanson française pour une vidéo Instagram ou crée un itinéraire sur mesure pour son programme Travel Concierge, elle ne clique pas sur « Publier » sans être sûre de la valeur ajoutée. « Je me demande toujours si j’apporte quelque chose à mes lecteurs ou si c’est seulement de l’esbroufe. »
Article publié dans le numéro de juillet-août 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.