Nous sommes au bout de la Croisette, chic promenade cannoise. Il n’y a pas eu de festival cette année [en 2020] ; pourtant les yachts sont bien là, éparpillés sur la baie. Le bateau qui nous emmène sur l’île Saint-Honorat, lui, n’a rien de luxueux. Le capitaine à son bord s’exclame : « Quittons les paillettes de Cannes pour découvrir un écrin de verdure, de fraîcheur et de sérénité ! » Vingt minutes plus tard, entourés d’une eau turquoise, nous foulons le sol orange de Saint-Honorat, dans le superbe archipel de Lérins.
Longue d’un kilomètre et demi, large de 400 mètres, l’île est un caillou dont on fait le tour en moins d’une heure. Au cours de cette promenade, alors que l’oreille s’habitue aux stridulations des cigales infatigables et que le nez n’en finit plus d’humer la délicieuse odeur des pins, l’œil aperçoit des vignes et, plus loin, le toit d’un édifice religieux.
Oui, l’île est habitée par des moines et ce depuis seize siècles ! En 405, Honorat d’Arles y fonde un monastère, faisant du lieu l’un des plus anciens sites monastiques d’Europe. Aujourd’hui, vingt moines y vivent selon la règle de Saint-Benoît : levés à 4h30, couchés à 20h30, ils prient sept fois par jour et passent le reste du temps à étudier, méditer et travailler la vigne.
Notre vin quotidien
Les huit hectares de vignoble de l’abbaye sont cultivés par les moines eux-mêmes : ébourgeonnage, vendange, mise en bouteille… Pour Frère Marie, qui a repris la production il y a trente ans, l’île est idéale pour faire du bon vin. « Il n’y pas d’hiver ici », s’enthousiasme-t-il. « Le vent marin tempère les fortes chaleurs de l’été, le sol argilo-calcaire garde l’eau et l’humidité ambiante rafraîchit les vignes. Et puis, il y a le soleil ! »
La réputation de l’abbaye n’est plus à faire : son vin s’exporte jusqu’au Japon. On le sert régulièrement au jury du Festival de Cannes ; il a même été proposé aux chefs d’Etat lors du sommet du G20 en 2011 ! Outre son vin, l’abbaye produit une célèbre liqueur issue de 44 plantes différentes, la Lérina verte, ainsi que de l’huile d’olive.
Tous ces produits sont biologiques : le respect de la nature est au cœur des préoccupations des moines. En plus du potager en permaculture, l’abbaye a entrepris il y a un an de supprimer toutes les poubelles de l’île. Les 90 000 visiteurs annuels sont désormais invités à garder leurs déchets avec eux afin de réduire la prolifération des rats, qui n’ont pas de prédateurs sur l’île, et des goélands, dont les fientes endommageaient les bâtiments séculaires. L’opération est un succès : les visiteurs jouent le jeu et l’île est encore plus calme qu’avant ; elle semble faite pour méditer. L’écrivain Paul Claudel l’avait bien compris. De ce minuscule archipel, il dira en 1936 : « Lérins est une miette de prière au milieu de l’éternité qui l’entoure de toute part. »
Article publié dans le numéro d’octobre 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.