Entretien

Philippe Labro, l’inlassable « américanologue »

Du Sud conservateur des années 1950 à l’élection de Barack Obama en s’arrêtant sur les années 1960 et l’assassinat de JFK, le journaliste et écrivain français Philippe Labro a observé, enregistré, commenté et tenté de comprendre l’Amérique.
[button_code]
© Francesca Mantovani/Gallimard

Le 23 novembre 1963, le président des Etats-Unis vient d’être assassiné. Philippe Labro arrive à Dallas, dépêché par le journal France-Soir. Dans les couloirs du commissariat de police, le journaliste de 27 ans frôle Lee Harvey Oswald, le tireur présumé, et serre la main de celui qui abattra Oswald le lendemain, Jack Ruby. Celui-ci portait à l’auriculaire droit « une chevalière sertie d’un minuscule diamant », se souvient le reporter. « Probablement de pacotille. » Une bagouse de pimp, de souteneur, de gangster à la petite semaine.

Philippe Labro porte lui aussi une chevalière. Une lourde pièce d’orfèvrerie orne son annulaire gauche, une college ring, souvenir des deux années qu’il a passées dans les années 1950 à l’université Washington and Lee en Virginie. Tout un symbole. Sur ce campus planté d’ormes, le Français découvre « les rites, les mœurs, les comportements, les préjugés et tout ce qui fait la vie universitaire et la culture américaine », point de départ d’une américanophilie qui perdure aujourd’hui.

Grand reporter, mais aussi romancier et cinéaste, Philippe Labro décline au pluriel son Amérique. Faits et fiction se croisent au hasard d’une salle de classe, d’un dîner mondain ou d’un voyage en stop. L’autobiographie n’est jamais loin. Il revient sur son expérience en Virginie dans L’étudiant étranger (1986), sur son séjour dans les forêts du Colorado dans Un été dans l’Ouest (1988) et sur les meurtres de Dallas dans « On a tiré sur le Président » (2013). Le journaliste-écrivain était récemment invité à présenter son dernier roman, Ma mère, cette inconnue, par la Maison Française de NYU. Entretien.

France-Amérique : D’où vient votre fascination pour l’Amérique ?

Philippe Labro : Tout part de mon enfance. Je suis né juste avant la Deuxième Guerre mondiale et pendant toute la guerre, mes parents m’ont parlé du jour où les Américains arriveraient. Dès l’âge de quatre ans, l’Amérique a représenté pour moi la liberté. Avec la Libération sont arrivés en France tous les éléments de la culture américaine dont nous avions été privés : le cinéma, la musique et la littérature. Au lycée, nous séchions les cours pour aller voir John Ford, Orson Welles et Billy Wilder au cinéma des Champs-Elysées. J’avais, déjà, cette envie de l’Amérique.

Lauréat d’une bourse Fulbright, vous débarquez aux Etats-Unis en 1954. Décrivez-nous vos premières impressions.

C’était une vision mirifique. Il n’y a pas plus beau et plus émouvant pour un garçon de 18 ans que de voir apparaître à travers le brouillard, à cinq heures du matin, les gratte-ciels de Manhattan. Aller aux Etats-Unis, au milieu des années 1950, ce n’était pas n’importe quoi. C’était rare. Accoudé au bastingage du Queen Mary, j’avais la sensation de découvrir le Nouveau Monde, un nouveau monde.

Comment s’est passée votre arrivée en Virginie, dans le Sud ?

J’ai débarqué dans le Sud comme un Martien arrive sur la Terre. En 1954, la statue de Robert E. Lee sur le campus [de l’université Washington and Lee] ne faisait pas débat – j’ai vécu la ségrégation de très près. Mais sur le campus et lors de mes voyages en stop, j’ai aussi découvert l’extraordinaire hospitalité américaine. Il suffisait que je dise que j’étais français et étudiant et j’étais reçu partout. J’étais un étranger, mais à cette époque, lorsque l’on disait Hi stranger !, c’était amical. Aujourd’hui, le mot stranger a une connotation beaucoup plus ambiguë et inquiétante.

Comment « votre » Amérique a-t-elle évolué ?

Comme toutes les civilisations, elle a évolué. Elle est passée au travers de décennies beaucoup plus violentes et difficiles que lorsque j’y étais en 1954-1956. Eisenhower était alors président : il venait de mettre fin à la guerre de Corée et le pays connaissait des années prospères et assez simples. Depuis, les mœurs ont changé, les assassinats politiques des années 1960, la résurgence des fractures ethniques et du racisme, les attentats du World Trade Center, les guerres au Moyen-Orient. Mais cette évolution n’est pas que négative. Le brassage ethnique, le fameux melting pot, n’a jamais été aussi puissant qu’aujourd’hui et la grande révolution des nouvelles technologies continue de transformer l’Amérique et le monde entier. Ce n’est pas l’Amérique bucolique de mon campus !

Comme journaliste, romancier ou cinéaste, vous avez chroniqué sans relâche les années 1960 américaines. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Entre l’âge de 20 ans et 31 an, j’ai passé ma vie dans les avions, avec une petite machine à écrire portative Olivetti. En couvrant les campagnes de Kennedy, Johnson, Nixon, jusqu’à George Bush Senior, j’ai observé le rôle grandissant des médias. Les médias ont pris le pouvoir en dictant leur conduite aux hommes politiques. La communication, l’image, les débats télévisés et les discours revêtent une importance considérable. Un seul détail, une seule phrase peut tout faire basculer.

JFK vous a fasciné au point de consacrer une partie de votre carrière à enquêter sur son assassinat, jusqu’à devenir le spécialiste français de l’affaire. Quels sont vos autres héros américains ?

Mohamed Ali, Frank Lloyd Wright, Woody Allen, Pocahontas, Marlon Brando, Norman Mailer, Jack Kerouac, Carl Lewis ou encore Rosa Parks, qui est selon moi la plus grande Américaine. J’aime les rebelles, les marginaux, les venus de nulle part qui réussissent soudainement. Ralph Lauren a commencé comme vendeur chez Brooks Brothers et est aujourd’hui à la tête d’un empire ! L’Amérique demeure un foyer de drames, de catastrophes et d’erreurs, mais aussi d’inventions, de découvertes et de surprises.