France pratique un journalisme de mise en scène où les images de guerre et de crise humanitaire sont utilisées pour leur qualité spectaculaire afin de répondre aux attentes d’un public avide de sensations fortes. Prise au piège de sa notoriété publique, elle cherche la vérité dans un monde de spectacle où elle emprunte tour à tour le rôle de victime et de metteur en scène.
France-Amérique : Pourquoi avoir choisi un personnage féminin pour incarner une pratique sensationnelle du journalisme ?
Bruno Dumont : Informer tout en faisant du spectacle est un sujet contemporain qui m’intéresse, et filmer une femme m’apparaissait pertinent parce que beaucoup de femmes sont des vedettes dans le journalisme d’aujourd’hui. Il y de grandes similitudes entre l’information-spectacle (l’infodivertissement, ou infotainement en anglais) et le cinéma et ça m’intéressait de voir ces enjeux à travers le corps et le regard d’une actrice.
France réalise ses reportages d’une manière très factice ; tout est mis en scène et elle utilise le réel comme un décor de théâtre. Quelle est, selon vous, la différence entre les images d’information et celles du cinéma dans leur rapport à la réalité ?
Le cinéma est capable de saisir le réel dans la vérité de la fiction, alors que l’information c’est de la fiction. France est dans une fiction totale, c’est-à-dire dans une incapacité de représenter le réel parce que ce n’est pas son métier. Vous pouvez filmer le réel sans que ce soit vrai, de la même façon que France met tout en scène. Elle fait du cinéma. Chez les journalistes, c’est la même chose : croire au vrai, c’est déjà être dans le faux. C’est une contradiction qui m’intéresse beaucoup car les médias, en voulant rapporter le réel, sont paradoxalement confrontés à la fiction.
Il y a deux France, celle du luxe, du spectacle et de l’artifice incarnée par une star (Léa Seydoux) et celle des petites gens et des spectateurs (des non-acteurs pour la plupart) dont la relation est extrêmement codépendante. Au regard du sort tragique de votre héroïne, on peut se demander qui en ressort gagnant…
Le personnage de France est profondément malheureux et pleure continuellement. C’est une femme perdue dans l’industrie des médias, qui prend conscience de la vacuité de ce qu’elle fait. La fin du film la ramène à la possibilité d’exister et de trouver la vérité dans son métier. Elle quitte la facticité et la sophistication de ce monde et s’éveille à la simplicité des choses et la vérité qui est juste à côté d’elle. C’est un film sur la rédemption.
Justement, lors d’un dîner de charité auquel France assiste, un donateur fait les louanges du capitalisme comme système de rachat et de rédemption. « Pour bien mourir », dit-il, « il faut mourir pauvre ». Votre film est-il un apprentissage de la bonté ?
La bonté se trouve dans l’humilité. C’est une question personnelle qui est accessible à tous. Je ne condamne ni le bourgeois, ni le pauvre. La bonté appartient à tous et doit être acquise par la vie de chacun.
Vous avez travaillé à deux reprises sur le personnage de Jeanne d’Arc et vous filmez le visage de Léa Seydoux de la même manière que Carl Theodor Dreyer faisait des gros plans de son actrice dans La passion de Jeanne d’Arc (1927). Pourquoi cette insistance sur le visage martyr de France ?
Au cinéma, on est dans la surexpression et le tragique, de la même manière que France est un roman photo mélodramatique. Le cinéma doit surreprésenter notre réalité pour que l’on puisse avoir accès au savoir. C’est ce que fait Dreyer dans ses gros plans de Jeanne d’Arc, ainsi que le jeu de l’actrice absolument tendre et dramatique, qui rend la chose poignante. La fonction du cinéma est de nous émouvoir pour que la vérité se révèle en nous. Ce qui compte, c’est que l’éveil ait lieu dans notre cœur en étant confronté à une représentation qui sature notre esprit pour le faire dégorger.