France-Amérique : Vous avez conçu Version française comme le « journal du chic à la française ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Katherina Marx : Ce magazine explore la création française dans ce qu’elle a de riche et de diversifié, à travers la gastronomie, le design, l’architecture, la mode ou l’artisanat. Chaque épisode est composé de plusieurs rubriques : « Point de vue » avec mes coups de cœur du moment, « Le geste » sur l’artisanat, ou encore « Tous au musée » à la découverte d’une institution, comme la Bourse de commerce du milliardaire François Pinault à Paris, la Piscine de Roubaix ou le château des Milandes, en Dordogne, où a vécu Joséphine Baker. Il y a beaucoup plus de musées en France qu’on imagine ! Au cœur de chaque épisode, on retrouve aussi le portrait d’un invité et mon entretien avec lui. Nous tenons à parler autant de haute couture que d’art urbain ! Je ne souhaite pas produire une émission qui ne traiterait que de haut de gamme car, selon moi, la culture et l’art n’ont rien à faire avec le luxe. Les collages urbains de Fred le Chevalier sont aussi intéressants que le mobilier du designer Hervé Van der Straeten qui travaille exclusivement dans la haute façon. Le col Claudine, les broderies, la céramique et même les pâtisseries ont leur place dans cette émission.
Vous avez longtemps débuté chaque épisode en affirmant que les étrangers sont ceux qui parlent le mieux de la France. Pourquoi ?
Tout simplement parce que les Français font du French bashing et ne savent pas reconnaître à quel point la France est riche de paysages, de talents et de créativité. Avec leur regard et leur recul, les étrangers se rendent peut-être mieux compte que c’est un pays exceptionnel. Je suis moi-même allemande et je vis à Paris depuis une trentaine d’années. Je me considère comme une Parisienne – ce qui ne veut pas dire « être né(e) à Paris », mais aimer la ville comme je l’aime et la connaître comme je la connais. J’ai peut-être perdu un peu de distance critique, mais il ne se passe pas un jour sans que je ne sois étonnée par sa lumière et sa beauté. D’ailleurs, nous tournons beaucoup en extérieur, en toutes saisons.
Pour quelle raison avez-vous choisi Paris pour cadre de presque tous vos reportages et entretiens ?
Nous avons tourné quelques émissions spéciales à Londres, New York ou dans la montagne. Nos journalistes partent parfois couvrir des sujets ailleurs en France : récemment, nous avons diffusé une « ballade lifestyle » à Toulon et une visite de l’hôtel Majestic de Cannes. Mais tout ce qui touche à la création se passe ici, dans la capitale. Paris rayonne dans le monde entier, c’est un aimant ! Cependant, avec la pandémie, beaucoup de créateurs, jeunes ou moins jeunes, ont quitté la ville pour aller se mettre au vert. Ces artistes et artisans se rendent toujours à Paris pour des commandes ou rencontrer leur galeriste, mais ils s’inspirent aussi dans leur travail de leur nouveau cadre de vie, de la nature. Nous avons suivi cette tendance. Il fallait que nous allions là où sont les créateurs aujourd’hui.
Chaque épisode fait la part belle aux « artisans qui font battre le cœur de l’Hexagone et [aux] lieux qui font son prestige ». Comment les choisissez-vous ?
L’invité principal doit être passionné et avoir un univers suffisamment abouti pour qu’on lui accorde un portrait. L’architecte Jean-Michel Wilmotte, le décorateur Jacques Grange et bien d’autres grands noms sont passé dans notre émission. Ils ont le recul des créateurs dont le talent est affirmé, tout en restant dans le questionnement constant et la recherche. Nous nous intéressons aussi aux figures montantes : Nathanaël Désormeaux, Daniel Carrère… Nous donnons une place à ces créateurs en devenir dès lors que leur univers est suffisamment abouti. Nous avons ainsi rencontré le designer Jean-Simon Roch, lauréat du prix Emile Hermès en 2016 pour sa gamme de jeux simples mais loufoques. Nous avons également interviewé Philippe Périssé, créateur de mode inspiré par les héroïnes des années 1920 et 1930, ainsi que la plus jeune cheffe étoilée de France, Julia Sedefdjian. J’aime cette variété !
Vous avez récemment bouclé la neuvième saison de Version française. Comment l’univers que vous couvrez a-t-il évolué avec le temps ?
Je vois de plus en plus de jeunes dans les métiers manuels et l’artisanat d’art. Ils décident de ne pas passer leur vie devant un ordinateur et veulent faire quelque chose de leurs mains. En retour, ces jeunes apportent dans l’univers du patrimoine leur façon de faire, leur vision, de nouvelles technologies et de nouvelles matières. Ils renouvellent des gestes anciens et je trouve ça très beau. En Normandie, Pauline Esparon fait des sculptures incroyables en lin brute, non filé, et sa banquette L’Ecoucheur est entrée au Mobilier national. Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres ! Je pourrais aussi citer l’ébéniste Anna Le Corno ou la sculptrice Lauren Collin, qui travaille le papier. Paris change aussi, comme ses habitants. Je circule maintenant en vélo et je découvre une facette de la ville que je voyais moins en prenant les transports en commun. Je continue de découvrir de nouveaux endroits qui me passionnent et me surprennent. C’est le cas par exemple du musée d’Histoire de la médecine, installé dans les locaux de l’ancienne Faculté de médecine, de l’appartement de l’architecte Auguste Perret dans le 16e arrondissement ou de la maison du peintre Amédée Ozenfant dans le 14e arrondissement. Celle-ci, construite par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, est magnifique.
Que souhaitez-vous véhiculer par cette émission ?
Version française est un magazine résolument optimiste et positif. Nous faisons rêver à une période où peu de médias le font : c’est volontaire. On rassemble un large public composé de gens du métier, comme des architectes ou des designers, qui cherchent à se tenir au courant des nouvelles tendances françaises. Beaucoup d’expatriés nous regardent aussi pour retrouver une partie de leur culture. Je m’adresse à tous les curieux. On voit souvent le chic français comme quelque chose de désinvolte, d’inconscient, mais c’est aussi quelque chose de très fantasmé et un peu cliché. Nous en offrons une vision différente en montrant ce qui se fait de nouveau en France.
Justement, comment expliquez-vous l’aura de l’art et de l’artisanat français à l’étranger ?
Malgré tout ce qu’il se passe actuellement dans le monde, la France a su garder ses traditions : partager un repas tous ensemble autour d’un table, par exemple, ou manger des choses produites de façon juste. Il y a aussi cette offre culturelle, immense et ouverte à tous. Beaucoup de pays n’ont pas cette chance. Regardez les mosaïstes, regardez les jeunes artisans lustriers : ils sont dans l’excellence, le détail, la précision. La France a cette renommée à juste titre et je pense qu’elle n’est pas prête de la perdre. L’Etat encourage d’ailleurs la transmission des savoir-faire et la formation de nouveaux artisans. Ca fait partie de la culture ici.
Version française est actuellement disponible sur TV5MONDEplus.