Portrait

Jean-Michel Wilmotte, architecte et discrète vedette

Le Grand Palais Ephémère au pied de la tour Eiffel, la Station F, la cathédrale orthodoxe ou le nouvel hôtel Lutetia à Paris, le siège de Google à Londres, l’aéroport international d’Incheon à côté de Séoul, le restaurant de Guy Savoy à Las Vegas ou la tour Bleu Ciel de Dallas... Sans le savoir, vous avez probablement déjà croisé une des réalisations de Jean-Michel Wilmotte. Un homme-orchestre qui séduit le monde entier par son style épuré, à rebours de toute esbroufe.
© Jean Grisoni

Sa carte de visite annonce « Jean-Michel Wilmotte, architecte », le métier qui l’a fait connaître au grand public. Mais cet homme-orchestre qui dirige une agence de 300 collaborateurs où se côtoient 27 nationalités est aussi architecte d’intérieur, designer et urbaniste. Un surdoué du dessin – il réalise tous ses croquis au feutre, sur du papier calque – capable d’imaginer un hôtel, des bureaux, une usine ou des meubles (« des mini-architectures »). Un modeste qui se dit lui-même « étonné » quand on le questionne sur la variété de ses talents : « Ce sont, au fond, des métiers qui s’enchaînent », explique-t-il. « Un architecte se doit d’avoir sinon une vision, du moins un regard sur les choses qu’il traduit ensuite dans un concept s’il s’agit d’une architecture, mais qui peut prendre aussi la forme d’un objet ou d’un plan d’urbanisme. »

Connu aux Etats-Unis pour avoir signé une tour de 33 étages à Dallas et l’intérieur du restaurant de Guy Savoy au Caesars Palace de Las Vegas, ce créatif au carnet d’adresses mondial a aussi réalisé une collection pour l’éditrice de meubles et de luminaires Holly Hunt, à Chicago. La diversité des chantiers de son agence laisse pantois. Quels fils relient en effet la cathédrale orthodoxe de Paris sur les bords de la Seine, le Centre de gestion sportive de Ferrari à Maranello et le siège de Google à Londres ? Dans son bureau du faubourg-Saint-Antoine, plus proche de la place de la Bastille que des beaux quartiers parisiens, Jean-Michel Wilmotte se flatte de sa spécialité : n’en avoir aucune. Avec son costume sage et sa cravate club, le cheveu broussailleux, il n’a rien d’un artiste maudit, en rébellion avec son temps. Mais il « aime être là où on ne l’attend pas ».

La cathédrale russe de la Sainte-Trinité et ses cinq bulbes dorés, inaugurée en 2016 en face du pont de l’Alma ? « Mon souci de comprendre les besoins du client, le clergé orthodoxe, m’a aidé », éclaire l’architecte. « J’ai participé à la procession de Pâques autour de la cathédrale Basile-le-Bienheureux, sur la place Rouge de Moscou. » Le centre Ferrari en Italie ? « L’usine de Maranello est une ville de 50 000 mètres carrés, avec un laboratoire de recherche et un anneau de vitesse, où travaillent 4 000 personnes qui ne produisent que quatre voitures par jour : deux pour la course, deux pour la série. Je crois avoir réussi à associer une image de vitesse et un impératif de discrétion. » Et les bureaux londoniens de Google ? « Les Anglais n’aiment pas perdre de la place, mais mon concept de bureaux organisés autour d’un atrium, d’un puits de lumière, les a séduits. »

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La tour Bleu Ciel, à Dallas. © Wilmotte & Associés Architectes
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La cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité, à Paris. © Alessandra Chemollo

Il poursuit : « Je pars toujours d’un lieu pour intégrer une marque. Je déplace ensuite le curseur pour instiller dans la construction de l’élégance, de la discrétion ou au contraire du buzz, selon le désir du client d’être plus ou moins reconnu par son image. Mais je ne triche jamais avec les hommes qui les habitent. » A l’évidence, c’est l’élégance que l’architecte préfère. De là ce style épuré, sobre, avec une attention particulière pour le végétal, la lumière, les matériaux simples – pierre, bois, dalles de verres rétroéclairées – toujours dans le respect du site et de son histoire. De là aussi une sensation de calme et de sérénité, née d’un certain effacement permettant aux œuvres d’exister pour et par elles-mêmes. Le contraire du geste spectaculaire des architectes stars désireux de laisser à tout prix leur trace dans l’histoire, parfois aux dépens du budget, souvent en oubliant les occupants.

Entre Vauban et Le Corbusier

Né en 1948 à Soissons, non loin de Reims, l’architecte se réclame d’influences éclectiques. Il y d’abord Le Corbusier, lui aussi architecte et urbaniste, « pour sa sensibilité aux formes, mais aussi pour ses peintures et ses dessins », et le Mexicain Luis Barragán, lauréat du prix Pritzker, amoureux d’une « architecture émotionnelle » et inspirateur de l’environnement ouvert du Salk Institute for Biological Studies de La Jolla en Californie, conçu par Louis Kahn. Enfin, il y a Vauban, l’ingénieur, architecte, urbaniste et stratège qui marqua de ses fortifications en étoile le siècle de Louis XIV. Sa polyvalence et son attention aux problèmes de son époque plaisent à Jean-Michel Wilmotte, le touche-à-tout, plus soucieux de résoudre les problèmes actuels – comme la sur-administration des villes françaises et leur poids sur la créativité– que d’élaborer de grands concepts tape-à-l’œil.

Cette absence de posture a fait sa réputation. L’anti-star est devenue incontournable : une majorité de son travail hors de France se fait à présent en Asie et au Moyen-Orient, où il a notamment signé l’aéroport international d’Incheon, à côté de Séoul, et le musée d’Art islamique de Doha. Les musées sont son violon d’Ingres. « Que l’on intervienne dans un bâtiment ancien [le musée d’Orsay ou le Louvre] ou neuf [le centre culturel Bunkamura à Tokyo, un de ses premiers projets], la scénographie muséale doit instaurer une relation entre trois acteurs : l’œuvre exposée, le lieu qui la reçoit et le visiteur en mouvement. J’aime penser cette relation d’une œuvre à une autre, le dispositif d’une vitrine, une ligne de fuite et les échanges entre intérieur et extérieur. » A Venise, ce talent s’était manifesté en 2017 lors de l’exposition de Damien Hirst avec ses installations en transparence à la Punta della Dogana, réhabilitée par l’architecte japonais Tadao Andō, une autre de ses influences.

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Le terminal 2 de l’aéroport international d’Incheon, à côté de Séoul. © Lee Namsun L2 Agency
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Projet pour l’hôpital américain de Paris, prévu pour 2026. © Wilmotte & Associés Architectes

Jusqu’en juin 2023, la grande rétrospective Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam permet d’apprécier une autre facette de son talent de metteur en scène : son goût des couleurs. Pour célébrer l’un des plus grands peintres néerlandais avec Rembrandt et Van Gogh, explique l’architecte, « j’ai voulu retrouver les velours tissés bleu ou vert sombre que l’on admire dans les demeures peintes par le maître de Delft avec, à chaque fois, comme dans ses tableaux, un faisceau de lumière venant de la gauche, comme celui qui éclaire La Jeune fille à la perle ou La Liseuse à la fenêtre ». Une mise en scène inspirée qui rappelle l’autre passion de Jean-Michel Wilmotte : les décors. Il a d’ailleurs conçu ceux de plusieurs ballets de Roland Petit, à l’opéra Garnier, au nouveau théâtre national de Tokyo et au Bolchoï de Moscou.

François Mitterrand lui avait confié la décoration de ses appartements à l’Elysée. Quarante ans plus tard, l’agence Wilmotte & Associés, qui possède des bureaux à Paris, à Nice, à Londres, à Venise, à Dakar et à Séoul, croule sous les commandes. Le chantier de rénovation de la gare du Nord à Paris et la construction du futur centre d’entraînement du PSG, à l’ouest de la capitale, doivent aboutir cette année. Autre projet en cours : les nouveaux bureaux de la filière cognac, prévus pour 2025. Un créateur discret mais auréolé de gloire – c’est aussi ce qui a séduit LVMH, L’Oréal, Peugeot, JCDecaux, Google et le Crédit Agricole. Un siège social, répète Jean-Michel Wilmotte, doit « refléter l’identité du client avant celle de l’architecte ».


Article publié dans le numéro de mars 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.

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