Charles de Gaulle a passé le plus clair de son temps à combattre ce qu’il considérait comme « la domination anglo-saxonne », en particulier lors de la Deuxième Guerre mondiale, entretenant des relations orageuses avec Churchill et Roosevelt dont il dira plus tard : « Jamais les Anglo-Saxons ne consentirent à nous traiter comme des alliés véritables. Jamais ils ne nous consultèrent, de gouvernement à gouvernement, sur aucune de leurs dispositions. Par politique ou commodité, ils cherchaient à utiliser les forces françaises pour les buts qu’eux-mêmes avaient fixés comme si ces forces leur appartenaient. »
Pour apprécier la tâche herculéenne à laquelle s’est attelé de Gaulle en 1940, il faut rappeler la situation de la France à cette époque. Sous la pousée allemande, le gouvernement français doit se replier à Bordeaux. Alors que l’armée française était en pleine débâcle, Charles de Gaulle, tout juste promu général de brigade (à titre provisoire), se rend à Londres le 17 juin pour demander de l’aide militaire au Premier ministre Winston Churchill.
Lorsqu’il apprend que le maréchal Pétain, nouveau chef du gouvernement français, annonce son intention de demander à Hitler la signature d’un armistice, acte politique liant totalement la France (et non une capitulation, acte militaire n’engageant que l’armée), il décide, avec l’accord de Churchill, de lancer le 18 juin un appel sur les ondes de la BBC pour adjurer les Français de ne pas accepter l’armistice et les invite à poursuivre le combat aux côtés des Britanniques.
Cet appel, peu entendu mais relayé par la presse, marquera symboliquement le début de la France libre et d’une Résistance embryonnaire. Pour le général de Gaulle, la bataille de France qui venait d’être perdue ne signifiait pas la fin de la guerre, car selon lui, « cette guerre est une guerre mondiale ».
Ce même 18 juin, Churchill acceptait, à contrecœur, le général de Gaulle comme « le chef de tous les Français libres ». A contre cœur car ses rapports avec de Gaulle s’apparentaient davantage à ceux d’un ennemi que d’un allié, l’un et l’autre de tempérament irascible et passionné, incarnaient des ambitions nationales antagonistes. D’un côté, de Gaulle, général de brigade presque inconnu, orgueilleux et audacieux, était doté d’un nationalisme ombrageux et ne voulait pas être perçu comme la marionnette des Britanniques ; de l’autre Churchill, Premier ministre anglais, se méfiait du Français et voyait en lui « un homme prétentieux et même dangereux », allant jusqu’à confier plus tard au président Franklin Roosevelt qu’il aimerait « éliminer politiquement de Gaulle » !
Cette méfiance est évidente dans la remarque qu’il adressa à de Gaulle en 1944 : « De Gaulle, dites-vous bien que quand j’aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt ! Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! »
L’animosité Roosevelt-de Gaulle
Quelle que soit la tension entre Churchill et de Gaulle, elle pâlit à côté de l’hostilité persistante qui empoisonna les rapports Roosevelt-de Gaulle pendant toute la durée de la guerre, et qui pourrait passer chez le président américain pour de la « gaullophobie ».
A l’époque de la défaite de la France et de la mise en place du gouvernement de Vichy sous Pétain, en 1940, Franklin Roosevelt, président des Etats-Unis depuis 1932, réélu en 1936, avait déjà dû affronter de rudes difficultés pour redresser économiquement son pays après la crise de 1929. Il n’était donc pas prêt à s’engager dans une guerre européenne pour venir en aide à la France, dont il estimait que la défaite l’avait mise totalement hors-jeu sur le plan international.
Convaincu que l’Allemagne d’Hitler représentait un danger pour la paix mondiale et qu’il importait de se débarrasser de l’idéologie nazie, il devait toutefois compter avec l’opinion américaine et le Congrès, hostiles à tout engagement susceptible d’entraîner les Etats-Unis dans une guerre en Europe.
Ayant dès le début accepté la légitimité constitutionnelle du gouvernement Pétain, selon la logique de son raisonnement, comment pouvait-il reconnaître de Gaulle, considéré comme déserteur, condamné à mort par contumace par Pétain le 2 août 1940 ? L’entrée en guerre des Etats-Unis après Pearl Harbor et les efforts de la France libre ne modifieront jamais sa position à l’égard de Charles de Gaulle.
Dans son entourage à Washington, certains de ses conseillers présentaient le général français comme « un apprenti dictateur ». Quant à l’amiral Leahy, représentant américain auprès de Pétain, ne rapportait-il pas que de Gaulle n’avait qu’une poignée de partisans en France et était « un gêneur » ?
Dès lors, Roosevelt considérait Charles de Gaulle comme « un ambitieux isolé, à la fois irréaliste et dépourvu de tout caractère représentatif », ce qui explique peut-être que, tout au long de la guerre, il n’a jamais semblé tenir compte de l’effort de guerre des Forces françaises libres sous le commandement de De Gaulle.
Giraud vs de Gaulle
Dans l’esprit de Roosevelt, Charles de Gaulle ayant été « éliminé », Washington recherchait un général français prestigieux mais malléable pour prendre le commandement de l’armée d’Afrique et remettre la France dans la guerre. Sur ce point, le général Henri Giraud répondait parfaitement à cette attente : issu de Saint-Cyr, officier très brillant, ambitieux, beaucoup de panache, héros de guerre fait prisonnier par les Allemands en 1940, son évasion rocambolesque en avril 1942 impressionna beaucoup Roosevelt qui l’encouragea à engager, contre de Gaulle, une lutte d’influence pour le monopole de la représentation de la France.
Il faut signaler qu’en novembre 1942, l’objectif de Washington était un débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, opération surnommée « Torch », contre les autorités vichystes en place à Casablanca, Alger et Oran, se déroula dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, les forces françaises furent placées sous le commandement de Giraud, à l’insu du général de Gaulle.
Mis au courant après les faits, de Gaulle furieux, sollicita un entretien en tête-à-tête avec Roosevelt, entretien qui n’eut jamais lieu. Mais une conférence décidée par les leaders américains et anglais afin de préparer la stratégie européenne des Alliés après la guerre, eut lieu le 23 janvier 1943 au Maroc. Les généraux Giraud et de Gaulle y furent conviés.
Cette conférence au sommet sera souvent appelée « conférence d’Anfa », car elle s’est tenue à l’hôtel Anfa de Casablanca. De Gaulle, alors président du Comité national français de Londres, hésitait à s’y rendre, humilié par l’absence de réponse de Giraud à qui il avait, le premier, proposé une rencontre. Quand ils se trouvèrent face à face, De Gaulle lui dit avec indignation: « Hé quoi ? Je vous ai par quatre fois proposé de me voir, et c’est dans cette enceinte de fil de fer au milieu des étrangers qu’il me faut vous rencontrer? Ne sentez-vous pas ce que cela a d’odieux au point de vue national ? »
Pour les photographes de service, les deux généraux français échangèrent sans grande conviction une poignée de mains. Au cours de cette rencontre, Roosevelt se montra courtois, sinon charmant, parlant fort bien français, ce qui fera dire à de Gaulle : « J’ai rencontré aujourd’hui un grand homme d’Etat; je crois que nous nous sommes bien entendus et compris. » Malgré l’impression favorable de De Gaulle, Roosevelt n’en continua pas moins à mener une action négative contre le chef de la France libre et s’ingénia à l’empêcher de jouer un rôle politique.
Le triomphe de De Gaulle
A l’époque du débarquement en Normandie le 6 juin 1944, Roosevelt pensait que la France et l’Italie devraient être occupées et gouvernées par l’administration militaire américaine, l’A.M.G.O.T. (acronyme de Allied Military Government of Occupied Territories, ou « Administration militaire des territoires occupés ») et le Trésor américain avait déjà frappé la monnaie d’occupation !
Cependant, durant l’été 1944, la cote de popularité du général de Gaulle était à la hausse, et tenant l’administration américaine en échec, il réussit à imposer le gouvernement provisoire de la République française. Les Britanniques rangés derrière Churchill le soutinrent, de même que les militaires américains, comme Eisenhower chargé de l’opération « Overlord ». Ce dernier avait compris que la population française ne reconnaissait d’autre autorité que celle de De Gaulle et ne manqua pas de faire passer ce message à Washington.
De Gaulle, conscient du fait qu’il fallait agir vite, s’empressa de rejoindre Paris et le 25 août 1944, descendait à pied les Champs-Elysées acclamé par une « marée humaine » en liesse. Il aura fallu le triomphe réservé à de Gaulle pour que Roosevelt se rende à l’évidence : de Gaulle replaçait la France au nombre des grandes puissances, ceci évidemment grâce à l’aide des Britanniques et des Américains. Son gouvernement provisoire, installé à Paris, fut reconnu par les Alliés le 23 octobre 1944.
Jusqu’à la fin de sa vie, Roosevelt fit preuve d’hostilité à l’égard de Charles de Gaulle, personnalité politique… alliée. C’est ainsi qu’au début de janvier 1945, fut annoncée la tenue d’une conférence à quatre (avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’URSS et la Chine), la célèbre conférence de Yalta du 4 au 11 février 1945 qui eut lieu en Crimée, afin de décider de l’avenir de l’Europe et de la constitution des Nations Unies, sans qu’aucune communication diplomatique préalable ne soit faite par Washington au président de Gaulle. Bien qu’exclue des pourparlers, la France, grâce à Churchill et à Anthony Eden, son ministre des Affaires étrangères, fut plutôt favorisée et ses intérêts bien servis puisqu’on lui reconnaissait le droit d’avoir une zone d’occupation en Allemagne et d’obtenir le cinquième siège permanent au Conseil de sécurité.
Les relations franco-américaines ne se normalisèrent qu’avec la disparition des protagonistes qui se détestaient : Roosevelt mourait le 12 avril 1945 et de Gaulle quittait le gouvernement un an plus tard. En dépit de leurs rapports houleux, de Gaulle sera très affecté par la mort de Roosevelt et décrètera une semaine de deuil national en hommage à l’homme qui avait permis aux démocraties de gagner la guerre contre la tyrannie.
Article publié dans le numéro de septembre 2014 de France-Amérique. S’abonner au magazine.