Art

Christo emballe Paris

A 83 ans, Christo s’apprête à réaliser un rêve de jeunesse. En 1962, l’artiste bulgaro-américain et sa femme Jeanne-Claude avaient déjà pour projet de recouvrir d’une toile géante l’Arc de triomphe, symbole de la nation française. Intitulée Projet pour Paris, Place de l’Etoile-Charles de Gaulle, cette œuvre sera visible du 6 au 19 avril 2020*, à l’occasion de la rétrospective que consacrera le Centre Pompidou aux années parisiennes de l’artiste.
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L’Arc de Triomphe empaqueté : Projet pour Paris. © André Grossmann/Christo et Jeanne-Claude

Au même moment, à Paris, le bouquet de tulipes de Jeff Koons trônera dans les jardins du Petit Palais. Il serait tentant de faire le parallèle entre ces deux œuvres américaines qui ont en commun le caractère monumental et les difficultés techniques de leur installation sur site. La comparaison s’arrête là. Car tout oppose leurs créateurs dans la démarche : les installations de Christo sont éphémères et gratuites, tant pour le spectateur que pour la ville ou l’Etat qui les accueillent, quand celles de Koons, ancien trader reconverti dans l’art contemporain, relèvent avant tout d’opérations promotionnelles et financières, souvent opaques.

Là où Koons privilégie l’art industriel spéculatif, Christo cultive l’art de l’expérience et de l’enchantement. C’est à Paris que l’artiste américain d’origine bulgare, et Jeanne-Claude (sa femme française, décédée en 2009) se sont rencontrés en 1958. Ils y ont vécu et travaillé jusqu’en 1964, avant de s’installer à New York où Christo possède toujours son studio, dans le quartier de SoHo à Manhattan. Le duo s’est fait connaître du grand public par plusieurs coups d’éclats : ils ont notamment emballé le Musée d’art contemporain de Chicago en 1969, déroulé un immense rideau orange dans une vallée du Colorado en 1972, fait serpenter 40 kilomètres de barrière de toile au nord de San Francisco en 1976, encerclé les îles de la baie de Biscayne à Miami en 1983, emballé le Pont-Neuf à Paris en 1985, puis le Reichstag à Berlin en 1995, et installé des milliers de portiques safranés dans Central Park à New York en 2005.

Les Gates de Christo et Jeanne-Claude dans Central Park, en 2005. © Christo et Jeanne-Claude

Ces projets urbains ou ruraux – que Christo qualifie d’ « art environnemental » – ont en commun un matériau simple : la toile. « Elle traduit le côté nomade du projet car l’œuvre est fabriquée rapidement et n’existe que pendant quelques jours, à l’instar des tentes des tribus nomades », expliquait l’artiste dans un entretien à France-Amérique en 2011. « La toile bouge dans le vent, elle n’est pas statique. Il y a un côté physique dynamique, très sensuel. » Celle recouvrant l’Arc de triomphe sera composée de 25 000 mètres carrés de tissu recyclable en polypropylène argent bleuté.

Un précédent parisien : le Pont-Neuf

Plus ambitieux encore, le projet du Pont-Neuf, long de 140 mètres, avait nécessité pas moins de 40 000 mètres carrés de toile, 12 tonnes de câbles d’acier et l’intervention de 300 professionnels dirigés par 12 ingénieurs. Sa seule installation constituait déjà un exploit. L’œuvre fut exposée aux regards des spectateurs quatorze jours durant, l’objectif étant d’offrir un regard neuf sur le plus ancien pont de la capitale. « Recouverts par la toile, tous les détails d’architecture, les éléments anecdotiques étaient unifiés », explique l’artiste. « Ne restait que l’essence du Pont-Neuf. »

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Le Pont-Neuf empaqueté en 1985. © Christo/Wolfgang Volz

Le temps d’exposition achevé, reste le souvenir impérissable d’une expérience hors du commun. Ceux qui ont marché sur le Pont-Neuf emballé en 1985 ne peuvent l’oublier. Ceux qui ont traversé le parcours des gates de Central Park à New York non plus : on l’a vécu ou pas. Cette mémoire ne laisse pour traces que des dessins, collages, maquettes et photographies. Les études préparatoires de l’artiste, comparables à ceux d’un architecte, se vendent à prix d’or au cours d’enchères inédites. Des sommes permettant à l’artiste de financer ses projets, contrairement aux tulipes de Jeff Koons. « Cela permet une vraie liberté artistique et une totale indépendance », explique Christo qui aime à rappeler que ses œuvres ne coûtent pas un sou aux contribuables français, et qui refuse, par principe, tout mécénat et toute aide officielle. Un anti-Koons, en somme.


*En raison de la pandémie de Covid, l’installation a été reportée du 17 septembre au 3 octobre 2021.


Article publié dans le numéro de mai 2019 de France-AmériqueS’abonner au magazine