Économie

Comment la France fait revenir les touristes américains

Voici une nouvelle qui réjouira les cafetiers, les hôteliers et les musées : les dépenses des touristes américains en France se sont envolées l’an dernier, dépassant celles d’avant la pandémie. L’enjeu est à présent de les attirer hors de Paris et de la Côte d’Azur.
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© Colin Elgie

Mieux qu’avant la pandémie ! Le tourisme français a montré en 2022 un rétablissement spectaculaire : avec un total de 57,9 milliards d’euros, les dépenses des visiteurs internationaux ont dépassé de 2,1 % celles de 2019, malgré l’absence des touristes chinois et japonais retenus par les mesures anti-Covid. La plus belle progression est venue des Etats-Unis : 5,5 milliards d’euros dépensés l’an dernier, soit une hausse de 34 % par rapport à il y a trois ans. Une excellente performance, d’autant que le nombre de touristes américains est resté inférieur à la période pré-pandémie : 3,7 millions en 2022, contre 4,7 en 2019. L’inflation et un taux de change dollar-euro proche de la parité, donc favorable aux visiteurs américains, expliquent ce bon résultat. Mais ce n’est pas le seul facteur, selon Anne-Laure Tuncer, directrice pour les Etats-Unis d’Atout France, l’agence publique chargée du développement touristique de la France : « Au sortir de la pandémie, les clients américains ont davantage envie de voyager et de se faire plaisir ! »

L’Hexagone profite aussi de son attrait vis-à-vis d’une clientèle américaine aisée, voire très aisée, dont le pouvoir d’achat a augmenté ces trois dernières années. Les études d’Atout France permettent de dresser un portrait-robot du touriste américain : il ou elle voyage huit jours en moyenne, majoritairement seul ou en couple, séjourne dans des hôtels haut de gamme (4 ou 5 étoiles et palaces), appartient à la génération X (née entre 1965 et 1980) et privilégie Paris, où se rendent 70 % des visiteurs venus d’outre-Atlantique. Malgré les mouvements sociaux et l’image parfois peu flatteuse renvoyée par les médias américains, l’attrait pour la Ville Lumière, synonyme de culture et de romantisme, ne se dément pas. La première destination touristique mondiale a aussi bénéficié, depuis 2020, du succès de deux séries de Netflix : Emily in Paris et Lupin.

Pour Atout France, un des principaux enjeux est d’attirer ces visiteurs en dehors de la capitale et de la Côte d’Azur, seules destinations à bénéficier de liaisons aériennes directes avec les Etats-Unis. « Pour que les Américains s’aventurent dans d’autres régions, il faut créer des offres qui justifient le déplacement », explique Anne-Laure Tuncer. « Beaucoup ignorent que la France fait à peine la taille du Texas, avec un très bon réseau ferroviaire. Bordeaux est seulement à deux heures de Paris en TGV ! »

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© Colin Elgie

Les bouchées doubles sur le tourisme gourmand

L’art de vivre à la française – à commencer par le vin et la gastronomie – constitue un axe fort, et les initiatives se multiplient. La Cité du vin de Bordeaux, ouverte en 2016, a montré la voie en permettant de faire découvrir toute une région. « Les Américains connaissaient bien sûr le vin de Bordeaux, mais pas forcément l’offre touristique qui allait avec », se souvient Anne-Laure Tuncer. « Il a fallu leur montrer qu’ils pouvaient explorer les vignobles du Bordelais, mais aussi Cognac ou Biarritz, ou en profiter pour faire une croisière fluviale. » En Bourgogne, Dijon suit une stratégie similaire avec la Cité internationale de la gastronomie et du vin, ouverte l’an dernier sur un campus de 70 000 mètres carrés centré autour de l’ancien hôpital général de la ville. A cette occasion, CNN Travel avait inclus Dijon parmi les meilleures destinations touristiques de l’année 2022.

La mise en avant du patrimoine viticole et culinaire fait même naître des alliances inédites : depuis 2021, trois régions longtemps perçues comme concurrentes se sont associées pour créer la Vallée de la gastronomie, sur un parcours de 620 kilomètres allant de Dijon à Marseille. « Il faut faire évoluer les périmètres », explique Laurent Cormier, directeur délégué d’Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme. « Nous sommes partis du constat que depuis des millénaires, nos régions proposent des produits d’excellence, et nous avons développé le concept ensemble : partir du terroir pour faire découvrir l’ensemble de nos territoires. » L’initiative accorde son label à plus de 440 adresses ainsi qu’à une trentaine d’« expériences mémorables », comme une dégustation des 33 grands crus de l’appellation Bourgogne en trois jours ou un atelier pâté en croûte avec un chef lyonnais.

Autre expérience de plus en plus prisée par les visiteurs américains : la découverte de la France à bicyclette. « Le tourisme à vélo est au cœur de notre stratégie », explique Laurent Cormier, qui cite l’exemple de ViaRhôna, un itinéraire cyclable de 800 kilomètres reliant les rives du lac Léman aux plages de la Méditerranée. Un tour-opérateur américain s’est même spécialisé dans le mariage du cyclotourisme et de l’art de vivre : DuVine, fondé en 1996 avec l’idée d’emmener des cyclistes d’outre-Atlantique dans les vignobles et les villages de Bourgogne. « Quand vous voyagez à vélo, cela met en œuvre tous vos sens », explique son créateur, Andy Levine. « Vous sentez le terroir, vous voyez les gens qui travaillent dans les vignes. Vous pouvez engager la conversation plus facilement et remonter le temps en vous arrêtant dans les marchés de villages. » Un quart de siècle plus tard, DuVine propose une quinzaine d’itinéraires en France, de la Corse à la Normandie en passant par la vallée de la Loire, et a étendu son activité à 25 pays, dont l’Italie et le Portugal.

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Golf, rugby, culture et histoire

Toujours au rayon sportif, mais côté spectateurs, les grands événements sont un autre moyen de promouvoir l’Hexagone. A commencer par les 24 Heures du Mans, qui fêteront en juin leur centenaire, et le Tour de France, en juillet – « notre plus belle campagne de promotion », selon Anne-Laure Tuncer. Pour la première fois en 2018, la Ryder Cup, un trophée de golf par équipe opposant l’Europe et les Etats-Unis, s’est tenu en France, près de Paris. La compétition « a été un succès, alors qu’auparavant [le pays] n’était pas vu comme une destination golfique par les Américains ». Cet automne, la Coupe du monde de rugby, répartie sur neuf grandes villes françaises, constituera un tour de chauffe avant l’événement phare de l’an prochain : les Jeux olympiques et paralympiques. Si Paris en sera la destination phare, plusieurs épreuves se dérouleront hors de la capitale, dont la voile à Marseille, le football dans six stades de province et le surf à Tahiti !

L’année 2024 marquera aussi le 80e anniversaire du Débarquement. « Ce sera un grand moment d’émotion et de reconnaissance, mais aussi un moment important pour le tourisme de mémoire, qui attire en Normandie près de six millions de visiteurs par an, dont beaucoup d’Anglo-Saxons », indiquait mi-mars à New York le président de la région, Hervé Morin. Les commémorations coïncideront avec le festival artistique Normandie Impressionniste, organisé de mars à septembre.

Art de vivre, gastronomie, sport, mémoire et culture sont autant de moyens de faire sortir les touristes américains des sentiers battus. S’y ajoutent la quête d’un tourisme plus « vert » : au sortir de la pandémie, Emmanuel Macron a proclamé sa volonté de faire de la France la première « destination durable » d’ici à 2030. « Cela passe par la mise en avant du train, par la rénovation et la classification des hébergements touristiques et par l’allongement de la saison touristique au-delà de la seule période estivale », détaille Anne-Laure Tuncer. Le tout, en continuant à investir et à innover, face à la concurrence d’autres destinations comme l’Italie, la Croatie ou le Portugal. « La France a parfois une image de belle au bois dormant ou de pays-musée », reconnaît la directrice d’Atout France aux Etats-Unis. « C’est pourtant l’une des destinations qui renouvelle le plus son offre touristique ! »


Article publié dans le numéro de mai 2023 de France-AmériqueS’abonner au magazine.