Patrimoine

Une matinée aux Roches Blanches

Accroché au-dessus de la mer à Cassis, l’hôtel Les Roches Blanches emprunte son nom à ces falaises calcaires typiques du littoral méditerranéen. Une ancienne maison de maître érigée en 1887 qui fait aujourd’hui le bonheur des vacanciers et des amateurs d’Art déco.
© Didier Delmas/Les Roches Blanches

« Qu’a vist Paris e noun Cassis a ren vist », écrivait le poète Frédéric Mistral. « Qui a vu Paris et non Cassis, n’a rien vu. » Les pointus et chalutiers du petit port provençal voguent entre deux formidables monuments naturels : les calanques et le cap Canaille, une muraille ocre qui surplombe la mer Méditerranée de 394 mètres. Inattendue dans une Provence calcaire aux blancs éblouissants, cette masse de grès aimante les regards.

Depuis un siècle et demi, l’hôtel Les Roches Blanches fait face à cette falaise que Louis XIV considérait comme la plus belle de son royaume. Comme un nid de mouettes, la villa altière qui est le cœur de l’établissement domine une volée de terrasses plongeant dans l’eau bleu nuit. Depuis une de ces restanques, le phare en pierre de Cassis marquant l’entrée du port, avec sa lanterne vert bouteille, ressemble à un bilboquet.

Au début du XXe siècle, la double colonnade du portail des Roches Blanches voit passer l’écrivain et réalisateur Marcel Pagnol et son acteur fétiche, Fernandel. Voisins de La Ciotat, les frères Lumière s’invitent pour la journée. Cassis est alors la destination secrète des Marseillais : le dimanche, les notables phocéens se remettent devant une bouillabaisse des cahots du col de la Gineste, qui sépare la métropole du village.

Le pied-à-terre de Winston Churchill

Le Vieux-Port et la basilique Notre-Dame-de-la-Garde se trouvent à vingt kilomètres seulement par le bord de mer. Ou à pied par le sentier qui longe les calanques, époustouflant massif hérissé de pics calcaires, d’éboulis fleurant le thym et de criques façonnées par 120 millions d’années d’érosion. Les calanques de Cassis sont célèbres auprès des baigneurs, des grimpeurs et, depuis 1991, des préhistoriens. Cette année-là, un plongeur cassidain, Henri Cosquer, découvre dans une cavité sous-marine des dessins et gravures datant de 30 000 ans : la grotte Cosquer.

Au début du XXe siècle, un autre artiste installe ses pinceaux dans un abri plus confortable : Winston Churchill n’est pas encore Premier ministre quand il réside aux Roches Blanches. Il se promène sur la plage du Bestouan, peint la calanque de Port-Miou et le cap Canaille. Sa professeure, Madge Oliver, occupe une villa avec tourelle proche de l’hôtel. L’Américain Jerome Hill, héritier du créateur du Great Northern Railroad, y créera plus tard une résidence d’artistes : la Fondation Camargo. C’est aussi, pour l’anecdote, dans les années 1930 que le vin de Cassis obtient la première AOC de France, appellation d’origine contrôlée certifiant l’excellence d’un terroir.

© Les Roches Blanches
© Les Roches Blanches
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© Les Roches Blanches
© Les Roches Blanches

Quatre-vingt ans plus tard, l’hôtel croule sous la vigne vierge et le manque de soins. En 2016, l’architecte Monika Kappel, résidente à Cassis, y voit « le projet d’une vie». Les deux ans de travaux respectent l’héritage Art déco, les candélabres de l’entrée, les motifs d’écaille, le garde-corps en fer forgé de l’escalier et l’écusson sculpté des initiales « RB ». Mais ils insufflent aussi une sensation d’espace, des volumes comme dilatés par la lumière méditerranéenne et le mistral.

Un hôtel tourné vers la mer

Les 45 chambres se dotent de balcons comme de bastingages, parfois de grandes terrasses en surplomb. Elles s’ornent de consoles en bois sur mesure, de granite, de marbre. Monika Kappel aime « la douceur des pierres sous la main », dit-elle. « Quand on s’appelle Les Roches Blanches, on ne pose pas de carrelage. » En haut de la nouvelle villa de quatre chambres, prénommée « Cala Bianca », la double douche panoramique ressemble à un sas suspendu à la cime des arbres.

« J’aime l’impression qu’on pourrait marcher sur la canopée, fouler les aiguilles des pins jusqu’à glisser dans la Méditerranée », plaisante Monika Kappel. Les pins d’Alep, aux écorces roses et noires, sont les vedettes des lieux. Leur résine embaume l’air. Leurs branches se contorsionnent au-dessus du boulodrome, de la piscine et du comptoir du Loup Bar, où l’on déjeune de poissons crus. Des plats méditerranéens se partagent sous la pergola du Rocco, la cuisine est plus sophistiquée au restaurant Les Petites Canailles.

Parfois, un tronc d’arbre barre une volée de marches taillées à même le calcaire. Elles mènent à des alcôves fleuries d’immortelles, des belvédères aménagés entre deux failles. On y sommeille en écoutant le ressac. Et quand il fait trop chaud, on descend l’échelle métallique vissée aux roches pour s’immerger dans la baie et prendre un bain de couleurs. Blancheur du calcaire, ocre des falaises, bleu de la mer et tout autour, le vert des vignobles. Introduit par les Grecs, le vin de Cassis a été le premier nectar gaulois. L’appellation compte aujourd’hui une dizaine de domaines, tous en bio. À la Dona Tigana, vous aurez peut-être la chance de rencontrer son propriétaire, l’ancien international de football Jean Tigana. Il vous expliquera en toute simplicité qu’il joue désormais au rugby avec son voisin, Dimitri Droisneau, chef de la Villa Madie, trois étoiles au Michelin. Ça y est, vous connaissez un autre secret des Cassidains…

 

Article publié dans le numéro d’août 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.