A partir d’un ver marin, la start-up bretonne Hemarina a développé un substitut sanguin qui permettrait de stabiliser les œdèmes cérébraux des soldats victimes d’une explosion — la première cause de mortalité des militaires américains en Afghanistan et en Irak. Les chercheurs français ont signé un partenariat de recherche avec la marine américaine et recevaient le 8 février dernier le prix Creative Next qui récompense les entrepreneurs français aux Etats-Unis.
Sur les champs de bataille, les explosions tuent trois fois plus que les balles. Soixante-cinq pour cent des décès américains en Afghanistan et en Irak sont attribués à la déflagration d’une bombe, d’une mine ou un d’engin piégé — contre vingt-deux pour cent attribués aux balles. Le souffle d’une explosion entraîne de graves traumatismes cérébraux. Hémorragies et œdèmes privent le cerveau d’oxygène et causent la mort d’un blessé sur deux avant son arrivée à l’hôpital. La technologie mise au point par la start-up française Hemarina pourrait doubler « l’heure d’or », les précieuses soixante minutes dont disposent les médecins pour résorber un œdème cérébral avant que les séquelles ne deviennent irréversibles.
Ancien scientifique au CNRS et fondateur d’Hemarina à Morlaix (Finistère), Franck Zal est chercheur en écophysiologie marine. Il étudie l’adaptation des organismes à leur environnement. Ses travaux portent sur un ver natif des côtes françaises et apprécié des pêcheurs à la ligne : l’arénicole (Arenicola marina en latin, buzuc en breton). Grâce à son hémoglobine, cet invertébré qui vit dans le sable de la plage au rythme des marées est capable de respirer dans l’air comme dans l’eau.
« L’oxygène c’est la vie », explique Franck Zal. Le sang transporte l’oxygène et irrigue les organes. Chez l’homme, l’oxygène est acheminé par les molécules d’hémoglobine contenues dans les globules rouges. Chez l’arénicole, par contre, l’hémoglobine est dissoute dans le sang. A marée haute, le ver emmagasine l’oxygène que contient l’eau de mer et utilise cette réserve à marée basse. L’hémoglobine du ver ne contient pas les globules rouges qui donnent au sang humain son groupe sanguin, mais sa structure est « quasiment similaire » à l’hémoglobine humaine.
Un substitut sanguin universel et facilement transportable
Hemarina planche actuellement sur le développement d’un substitut sanguin universel à base de sang d’arénicole. « Cette molécule peut être transfusée sans se soucier du groupe sanguin de la victime », note Franck Zal. Une révolution. Une poche standard de 450 millilitres de sang humain a une durée de vie de quarante-deux jours. Au-delà de cette durée, les globules rouges périssent et le sang est inutilisable. L’hémoglobine de l’arénicole, en revanche, peut être réduite en poudre, stockée et conservée jusqu’à deux ans et demi. Une autre révolution. Cette découverte « stratégique » a attiré l’attention du centre de recherche médicale de la marine américaine, situé à Silver Spring dans le Maryland. Spécialiste en médecine traumatique, « l’U.S. Navy nous a demandé de concevoir un moyen d’oxygéner le cerveau d’un soldat blessé pendant une heure », explique Franck Zal. Le délai imparti correspond à la fois à « l’heure d’or » et au temps de transport moyen d’un blessé vers un hôpital de campagne. Les expériences réalisées en laboratoire sont concluantes : des cerveaux de souris ont été maintenus en vie pendant deux heures et demie. Après avoir conduit ses propres expériences en 2015, la marine américaine a publié dans le Journal of Neurotrauma des résultats aussi encourageants. « La molécule fonctionne très bien », se réjouit Franck Zal.
En attendant que l’hémoglobine de ver marin fasse partie de l’équipement des infirmiers militaires, les Français poursuivent leurs recherches. Outre la médecine traumatique, la technologie développée par Hemarina a de nombreuses applications possibles : la transfusion sanguine — il manquerait cent millions de litres de sang par an dans le monde, estime l’Organisation Mondiale de la Santé —, le traitement des infections causées par une mauvaise circulation du sang, ou encore la conservation d’organes en attente de transplantation. Des essais cliniques ont été réalisés auprès de soixante patients français en attente d’une greffe de rein. Cette technologie sera accessible « dans le courant de l’année 2017 », annonce Franck Zal. « La transfusion de l’hémoglobine de ver marin devrait être possible d’ici trois ou quatre ans ! »