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Swaine, le temple des accessoires prisé par Hollywood

Quel est le point commun entre le chapeau d’Harrison Ford dans Indiana Jones, la casquette de Cillian Murphy dans Peaky Blinders et le pébroque de Gene Kelly dans Chantons sous la pluie ? La maison Swaine London, spécialiste bientôt tricentenaire des accessoires de luxe, récemment acquise par le groupe français Chargeurs. Entretien avec sa PDG, Carine de Koenigswarter, chargée de faire entrer cette enseigne historique dans le XXIe siècle.
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Carine de Koenigswarter, la PDG de Swaine. © Julien de Rosa/Point de Vue/AFP

France-Amérique : Swaine entretient des relations fécondes avec le cinéma. Parlez-nous de ce pan important de votre activité.

Carine de Koenigswarter : Pendant l’âge d’or d’Hollywood, Swaine habillait Marilyn Monroe, Buster Keaton et Frank Sinatra. Nos accessoires sont aussi apparus dans Chantons sous la pluie (1952), James Bond 007 contre Dr No (1962), Goldfinger (1964), Mary Poppins (1964), L’Affaire Thomas Crown (1968), jusque Batman (1989), Da Vinci Code (2006), The King’s Man (2021) et le dernier volet des aventures d’Indiana Jones, qui est sorti en salles en juin dernier. Nous sommes reconnus dans le milieu du cinéma et les studios apprécient nos articles sur-mesure. Je reviens d’ailleurs de Los Angeles !

Revenons aux origines de Swaine. Avant de façonner des chapeaux, des parapluies et des mallettes, la maison fournissait la couronne britannique… en cravaches !

Swaine est né à Londres en 1750, ce qui en fait la plus vieille maison de luxe au monde. Le fondateur, James Swaine, était sellier et produisait des équipements équestres pour la cour : des cravaches, mais aussi des harnais, des selles et des sacoches. Avec l’avènement de l’automobile au début du XXe siècle, Swaine a ajouté la bagagerie à ses activités. Avec le temps, d’autres artisans ont rejoint la maison et nous réalisons aussi les parapluies Brigg et les chapeaux Herbert Johnson. Mais encore aujourd’hui, notre façon d’assembler un sac est directement héritée de notre savoir-faire équestre multi-centenaire : utilisation de l’English bridle leather, un cuir extrêmement résistant qui se patine avec le temps, couture au point sellier avec deux aiguilles, etc.

En quoi Swaine se démarque-t-il de grands noms de la maroquinerie comme Louis Vuitton ou Hermès ?

Comme eux, nous produisons des articles d’artisanat haut de gamme, résistants et qui se transmettent de génération en génération. Swaine, par contre, se différencie par son luxe discret, pierre angulaire de l’élégance britannique. Vous ne trouverez pas de gros logos sur nos produits : le gentleman anglais ne se pavane pas ; il pratique l’art de la subtilité. Nous ne sommes pas non plus dans la mode et n’avons pas de grand directeur artistique. Nous travaillons directement avec nos 45 artisans, qui sont au cœur du processus de création. Le plus grand atelier de Swaine est installé à côté de Cambridge et nous avons récemment ouvert un autre atelier au sous-sol de notre boutique amirale de New Bond Street, à Londres. Plus de la moitié des collections présentées sont faites sur place et nos clients peuvent voir comment est fabriqué leur sac.

Swaine a fourni les casquettes et les chapeaux des deux dernières saisons de la série Peaky Blinders... © Robert Viglasky/BBC
... et les parapluies du film Chantons sous la pluie, avec Gene Kelly. © MGM Studios

Swaine est également réputé pour son offre sur-mesure…

En effet. Incarnation du luxe anglais, complément des tailleurs de Savile Row, Swaine est le temple du bespoke : un lieu où nos clients peuvent concevoir des pièces uniques, que ce soit un attaché-case avec un drapeau en guise de doublure intérieure, une malle à pique-nique pour un yacht ou un coffret à champagne avec les armoiries de la famille. Swaine a aussi produit des gants et des cravaches pour la reine Elizabeth II et des parapluies pour la reine mère. Au cours de sa longue histoire, notre maison a obtenu 16 royal warrants, dont le premier remonte au roi George IV ! Nous attendons désormais de connaître le cahier des charges de Charles III, qui est très attaché à l’environnement et au développement durable.

Etape historique pour cette enseigne longtemps réservée aux hommes, vous avez piloté le lancement d’une collection féminine. Comment avez-vous approché ce défi de taille ?

Swaine est un emblème national britannique qu’il fallait faire entrer dans la modernité. Nous proposions au même endroit tous les accessoires du parfait gentleman de la City, mais nous ignorions les femmes, pourtant très demandeuses d’articles élégants faits pour aller au bureau puis à un cocktail ou à une fête. C’était dommage. D’autant plus que les hommes qui nous rendent visite sont souvent accompagnés de leur épouse. Il fallait que nous puissions leur offrir quelque chose. En clin d’œil à la mallette que porte l’agent 007, nous avons créé le sac à main Bond Girl : un petit attaché-case muni d’une bandoulière dans des couleurs pop : fuchsia, lilas, bleu ciel, orange ou violet. C’est cette idée du twist à l’anglaise, une touche d’excentricité dans un produit très classique. A partir du moment où l’ADN de la marque et les icônes sont préservées, le reste peut être iconoclaste !

A l’opposé de ces « twists » modernes, Swaine cultive la tradition extrêmement rigide de l’étiquette vestimentaire…

En effet, l’étiquette a encore beaucoup de poids en Angleterre. Il existe un ensemble de codes très précis qui régissent l’élégance, comment une femme doit porter son parapluie lorsqu’elle ne s’en sert plus, par exemple : à la main ou à son bras, près du corps, sans jamais le poser au sol. Les essences de bois et les couleurs ont aussi leur importance. Une poignée de parapluie en whangee ou en malacca signale une carrière militaire et un attaché-case noir, un avocat. Autant de codes que nos vendeurs maîtrisent à la perfection. C’est le petit truc en plus, le détail à peine perceptible qui séduit les initiés, mais la marque reste accessible à tout le monde.

Quelles sont vos pièces emblématiques ? Et les plus populaires en ce moment ?

Notre produit emblématique, l’équivalent du trench-coat chez Burberry ou de la malle de voyage chez Louis Vuitton, c’est l’attaché-case. Un objet avec un pouvoir symbolique très fort, qui représente la réussite dans les affaires. La mallette Bond et le sac à main Bond Girl – un succès phénoménal – font tous les deux partie de nos bestsellers. La sortie d’Indiana Jones et le cadran de la destinée a aussi remis au goût du jour notre collection de chapeaux Poet en feutre de lapin. C’est la folie ! Il y plus de quatre mois d’attente. Mais nos clients sont prêts à patienter. Ils savent que nous travaillons à la main, avec des matières rares ou semi-précieuses, et acceptent ces goulots d’étranglement. Plus de trente heures sont nécessaires pour fabriquer un de nos attachés-cases, dont sept uniquement pour la poignée. C’est de la haute couture.

Le sac à main Bond Girl. © Swaine
La boutique amirale de Swaine, à Londres. © Swaine

Swaine a un point de vente au Canada, chez B. Hemmings à Toronto, et prépare son installation sur le marché américain. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nuance : nous préparons notre retour aux Etats-Unis ! Puisqu’il y a encore une quinzaine d’années, nous avions deux boutiques dans le pays, une à Washington et une autre à San Francisco. Les Américains, qui aiment beaucoup les chapeaux, représentent une part importante de notre clientèle. Par ailleurs, une adresse à New York ou dans une ville comme Houston nous permettrait de présenter sur place nos traditions, nos savoir-faire et notre service de sur-mesure.

Vous avez étudié à Harvard et avez beaucoup voyagé aux Etats-Unis dans le cadre de vos postes successifs au sein du groupe Chargeurs. Quelles relations entretenez-vous avec ce pays ?

J’avais moins d’un mois lors de mon premier voyage ! Mes parents habitaient entre la France et les Etats-Unis et je garde des souvenirs fantastiques de mes nombreux séjours outre-Atlantique. C’est un pays fascinant et inspirant, un pays dont les Français se sentent proches. Je fais partie de cette génération qui a grandi avec le cinéma américain et les séries américaines. L’Amérique est un décor qui nous est familier.

Votre grand-tante, la « baronne du jazz » Pannonica de Koenigswarter, fut la compagne de Thelonious Monk et la mécène des plus grands musiciens afro-américains. Quels souvenirs avez-vous d’elle ?

Je ne l’ai pas connue, malheureusement, mais elle avait une aura extrêmement importante dans la famille. Elle a soutenu les plus grands musiciens noirs américains, mais au-delà de sa générosité, elle avait une grande liberté. C’était une femme libre et avant-gardiste. J’ai moi-même grandi dans un milieu avec beaucoup d’artistes et son parcours m’a beaucoup inspiré.


Entretien publié dans le numéro de septembre 2023 de France-AmériqueS’abonner au magazine.