Cinéma

Didier Allouch, un Frenchie entre Cannes et Hollywood

Didier Allouch s’apprête à quitter son port d’attache de Los Angeles, où il vit depuis près de trente ans et couvre les Oscars pour Canal+, pour se rendre à Cannes. Correspondant du festival aux Etats-Unis, il sera sur le tapis rouge et dans les salles obscures du 16 au 27 mai. Le journaliste français, qui produit et anime aussi l’émission Rendez-vous d’Amérique sur TV5MONDE, également disponible en streaming sur TV5MONDEplus, évoque avec nous son emploi du temps cannois, le dynamisme de la scène culturelle francophone aux Etats-Unis et le film américain qui a donné naissance à sa cinéphilie.
Didier Allouch avec Leonardo DiCaprio au festival de Cannes, en 2019. © Stéphane Kossmann

France-Amérique : Quel film êtes-vous le plus impatient de voir à Cannes cette année ?

Didier Allouch : Le dernier Martin Scorsese évidemment, Killers of the Flower Moon ! D’abord parce que j’adore Scorsese et ensuite parce que je viens de voir les premières images à Las Vegas – je reviens du CinemaCon, la convention internationale des exploitants de salles – et j’ai failli mourir dans mon fauteuil ! Ça m’a scié. Mais il y a plein d’autres films. C’est ce que j’adore dans les festivals, et particulièrement à Cannes : les surprises. On entre dans une salle et on ne sait pas sur quoi on va tomber. C’est la magie du cinéma !

Pour parler d’un autre film projeté à Cannes, que pensez-vous de Johnny Depp en Louis XV dans Jeanne du Barry de Maïwenn ?

J’achète ! Johnny Depp est un super acteur qui peut jouer tous les rôles ou presque. Maintenant, il traverse une période délicate [suite à son divorce acrimonieux avec Amber Heard, qui l’accusait notamment de violences conjugales], donc on va voir comment il s’en sort. Mais c’est un de ces acteurs dont les rebonds sont intéressants. Après les films de Jack Sparrow, la gloire, l’argent, le voici qui tourne dans un film totalement arty et en français. Le fait qu’il ait atteint un point bas dans sa vie lui a peut-être redonné envie de faire du cinéma ? En tant que cinéphile, je trouve ça intéressant. En tout cas, je serai dans la salle le 16 mai pour voir son film.

Justement, parlez-nous de votre rôle pendant le festival…

J’ai plusieurs casquettes. Je suis journaliste pour TV5MONDE et Canal+, et je suis aussi correspondant du festival de Cannes aux Etats-Unis. Pendant l’année, je travaille avec Thierry Frémaux [le directeur du festival] et son équipe pour leur signaler les films américains qui, selon moi, pourraient plaire au public cannois. Je ne suis pas sélectionneur, mais défricheur : je me contente de leur signaler des films. Cette année, par exemple, j’ai conseillé Hypnotic, le thriller de Robert Rodriguez avec Ben Affleck, que j’ai découvert à South by Southwest à Austin. Un excellent film de série B ! Il sera présenté à Cannes en Séance de minuit, ça va faire du bien aux gens. Ensuite, je travaille aussi pour le festival, j’anime des conférences de presse, des conférences pour les professionnels du cinéma, des master class, et je vois deux films par jour. Je ne chôme pas !

Vous avez interviewé les plus grandes vedettes du cinéma. Comment préparez-vous ces rencontres ?

Tout dépend du type d’entretien. Sur le tapis rouge, je n’ai que trois ou quatre minutes par personne. Je vois le film avant, je fais quelques recherches, mais je n’écris pas de questions. Avec le temps, les actrices et les acteurs me reconnaissent et savent que je vais les respecter : on parle de cinéma, pas de potins ! Par contre, quand je fais une master class avec Jodie Foster ou Matt Damon, je me documente à fond. J’ai passé un mois et demi pour préparer mon entretien avec Tom Cruise à Cannes l’année dernière : j’ai revu tous ses films, relu tous les livres sur lui et revu toutes ses interviews. J’ai ensuite une heure, une heure et demie avec lui, et je partage mon plaisir avec le public dans la salle. C’est le pied.

Parlez-nous de Rendez-vous d’Amérique, l’émission que vous produisez et animez toutes les deux semaines pour TV5MONDE.

Je suis en train de monter le 343e numéro ! Cet épisode couvrira la sortie américaine du film Carmen de Benjamin Millepied, le concert d’Angèle à Coachella, l’exposition du dessinateur François Avril à New York, et je vais filmer ce dimanche un concert des pianistes Katia et Marielle Labèque à UCLA. L’émission, lancée en 2010, traite de l’actualité culturelle francophone en Amérique. Avec l’aide de l’agence Keep in News et d’un réseau de correspondants, je couvre des sujets complètement obscurs comme des choses très connues : un spectacle de Gad Elmaleh, un concert de Stromae ou de Phoenix, une exposition sur Sempé ou sur Agnès Varda, une performance du funambule Philippe Petit à Washington, la sortie de la série sénégalaise Wara… On est là pour promouvoir la culture francophone en Amérique du Nord, mais aussi pour l’étudier de près, suivre son évolution. Ça a vraiment élargi mon horizon professionnel au-delà du cinéma. C’est une bouffée d’air frais !

Quels sujets vous ont le plus marqué ou surpris ?

Il y a quelques années, j’ai interviewé la Française Anne-Lise Desmas, qui est conservatrice au Getty Museum, à Los Angeles. J’ai appris ce jour-là que les musées français et américains ne sont pas agencés de la même manière, que les œuvres sont disposées différemment et que les visiteurs circulent différemment ! J’ai aussi couvert le Festival international de Louisiane, à Lafayette : j’ai passé quatre jours extraordinaires sur place avec les musiciens et le public. Je suis tombé amoureux de la Louisiane à ce moment-là.

Pour revenir au commencent, comment êtes-vous arrivé en Californie ?

Par hasard ! Je suis né à côté de Montpellier, mais j’ai grandi à Paris, dans le quartier de l’Opéra. J’allais au cinéma tous les samedi après-midi, notamment au Hollywood Boulevard, qui passait un tas de films d’horreur. Puis avec une petite communauté de cinéphiles, j’ai lancé un fanzine, Le 35, qu’on dupliquait à la photocopieuse au bureau de mon père – c’était avant les blogs ! On économisait pour aller au festival de Deauville ou à Cannes, on s’entassait dans une chambre et on voyait huit ou neufs films par jour. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire pour Mad Movies, un magazine de cinéma fantastique, et de là, un ami m’a un jour proposé de devenir correspondant de Canal+ à Los Angeles. C’était en 1996 et je ne suis jamais reparti !

J’imagine donc que vous vous plaisez à Los Angeles…

Je m’y sens tellement bien. C’est la ville du cinéma – je vais voir des films à la Warner, chez Fox et j’ai toujours ce même frisson en entrant dans les studios – et c’est aussi une métropole internationale avec très peu de gratte-ciel. Je vis dans une maison avec un jardin, c’est bien pour les enfants. Ensuite, j’ai de la chance : je passe deux mois de l’année en Europe pour participer à des festivals ou pour les vacances. Comme dans la chanson d’Hannah Montana, j’ai « le meilleur des deux mondes » !

Vous souvenez-vous du premier film qui vous a donné le goût du cinéma ?

Bien sûr ! C’est L’Exorciste [1973]. Je devais avoir 12 ans quand je l’ai vu et j’ai été traumatisé. Parce que ça fait peur, mais aussi parce que je me suis rendu compte de la puissance du cinéma, à quel point un travelling compensé [lorsque la caméra avance et que le zoom recule, ou l’inverse] pouvait vous rentrer dans le cœur, dans la tête et vous empêcher de dormir la nuit. William Friedkin fait ça sur la porte de Regan, la petite fille, et créé cette impression de cauchemar. Pendant des semaines, j’ai vu cette image terrifiante à chaque fois que je fermais les yeux ! Si le cinéma est capable de déclencher une telle émotion, qu’est-ce qu’il peut faire d’autre ? Plus de quarante ans plus tard, je n’ai pas encore fini de répondre à cette question.


Rendez-vous d’Amérique
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