Patrimoine

Aux portes de Paris, l’art dans le hangar

Au bord d’un étang de la forêt de Meudon, au sud-ouest de la capitale, un chef-d’œuvre de l’architecture industrielle de la Belle Epoque entend devenir un haut lieu de la création contemporaine.
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Le Hangar Y, à Meudon. © Adeline Bommart

Mon premier est un ancien hangar à dirigeables – le premier au monde – converti en lieu d’exposition, mon deuxième est un bassin hexagonal dessiné par André Le Nôtre pour le domaine royal de Meudon, et mon troisième est un parc de sculptures qui dessine une promenade artistique autour du plan d’eau. Mon tout ? La dernière destination incontournable de la région parisienne, à 45 minutes en transports en commun de la tour Eiffel : le Hangar Y, baptisé en référence à l’imposante structure métallique qui servait jadis de hall de montage et de garage aux plus légers que l’air.

Inauguré en mars dernier après trois ans de travaux et 30 millions d’euros, cet espace culturel attend jusqu’à 150 000 visiteurs par an. Pas plus pour ne pas transformer en Disneyland ce lieu qui conserve le génie du paysagiste de Louis XIV, mais assez pour exaucer l’ambitieux rêve de la fondation Art Explora, qui gère le site : combiner sur dix hectares de nature les attraits du Grand Palais, domicile des méga-expositions parisiennes, actuellement en travaux, à ceux du Palais de Tokyo, temple de la création contemporaine dans le 16e arrondissement.

L’histoire du Hangar Y commence avec l’Exposition universelle de 1878. Annexe de la galerie des Machines sur le Champ-de-Mars, le bâtiment est déplacé l’année suivante dans le parc de Meudon, où il accueille les premiers ballons. Ce témoin de l’architecture industrielle de la seconde moitié du XIXe siècle, construit en briques et en fer et éclairé par de larges verrières, mesure 70 mètres de long sur 41 mètres de large. A 26 mètres, la nef centrale est suffisamment haute pour laisser entrer les aérostats. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le hangar accueille le musée de l’Air, qui déménagera plus tard au Bourget, et sert même d’atelier à Marc Chagall ! Le peintre s’y installe en 1964 pour assembler les treize panneaux du nouveau plafond de l’opéra Garnier.

L’enveloppe d’un dirigeable dans le Hangar Y pendant la Première Guerre mondiale, en 1916. © Musée de l’Air et de l’Espace - Le Bourget
Les panneaux du nouveau plafond de l’opéra Garnier, peints par Marc Chagall et assemblés au Hangar Y, en 1964. © Izis-Manuel Bidermanas/2023 Artists Rights Society, New York/ADAGP, Paris
Dix artistes européens, dont Nils Vandevenne (à gauche), ici avec sa sculpture Aileron, sont venus en résidence au Hangar Y en 2022. © Lewis Joly/Art Explora
Le pignon du bâtiment, jadis ouvert pour permettre l’entrée des ballons, a été fermé par une vaste façade vitrée. © Adeline Bommart

Le cinéma lui aussi profitera de ce volume extraordinaire. En 2003, le réalisateur Jean-Pierre Jeunet transforme le site en hôpital de campagne pour Un long dimanche de fiançailles, fresque historique avec Audrey Tautou, Marion Cotillard et Gaspard Ulliel. En 2018 vient le temps de la résurrection et la structure, classée depuis 2000 au titre des monuments historiques, est méticuleusement restaurée. Les architectes se permettront deux entorses : le pignon ouvert qui permettait l’entrée des dirigeables est fermé par une vaste façade vitrée et deux mezzanines sont créées à l’intérieur. Avec ces galeries faisant le tour de l’espace, c’est le lieu rêvé pour des expositions multimédia et autres expériences immersives, comme L’épopée du Hangar Y, jusqu’au 3 décembre.

Un espace hors normes et éclectique

A proximité de cette cathédrale métallique, on découvre un autre espace tout aussi singulier : un parcours artistique en plein air. Une sculpture d’Adel Abdessemed marque le départ. En aluminium peint, Die Taubenpost figure une paire de pigeons voyageurs de plus de deux mètres de haut, avec une charge explosive sur le dos au lieu d’un message. D’autres surprises jalonnent le chemin forestier qui épouse les contours du bassin : une drôle de petite maison construite par Subodh Gupta à partir d’ustensiles de cuisine, un olivier millénaire en émail blanc par Ugo Rondinone ou encore Jurassique France, l’empreinte d’une patte de dinosaure en taille réelle imaginée par Laurent Le Deunff.

Dix-neuf grands noms de la scène internationale actuelle offrent ainsi « une parenthèse poétique dans un site historique et emblématique du Grand Paris ». Les visiteurs apprécieront aussi une librairie sur le thème de l’aéronautique française, un espace modulable de bois et d’acier destiné à accueillir des conférences et des ateliers, ainsi que deux restaurants : une guinguette sous les arbres, avec glaces et tapas, et le Perchoir Y, « brasserie moderne » confiée au chef étoilé Guillaume Sanchez, avec sa terrasse au bord de l’eau et ses spécialités de poissons et crustacés.

Dans l’esprit du centre Pompidou, premier musée parisien à rompre avec les espaces artistiques traditionnels, le Hangar Y entend mélanger les genres. Et devenir un incubateur de talents, toutes disciplines confondues. Benjamin Millepied, de retour à Paris après plusieurs années passées à Los Angeles, y a récemment installé le Paris Dance Project. A Meudon, l’ancienne étoile du New York City Ballet veut jeter des ponts entre la danse classique et les formes contemporaines, et former les chorégraphes de demain – comme il l’a fait en Californie avec le L.A. Dance Project. Une mission qui rejoint celle du Hangar Y, une « nouvelle histoire créative à la croisée de l’art, de la culture, des sciences, de la nature et des loisirs ».


Article publié dans le numéro d’octobre 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.