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« Une Alliance Française, c’est un petit morceau de France »

Imaginez une « multinationale de la langue et de la culture française », avec un siège boulevard Raspail à Paris et 840 branches dans 133 pays, dont 106 aux Etats-Unis. Bienvenue à l’Alliance Française ! Fondée il y a 140 ans, l’institution est au cœur du documentaire Alliance(s) Française(s), qui est disponible sur TV5MONDEplus et sera diffusé le 20 novembre à l’ambassade de France à Washington. Isabelle Leroux, présidente de la Fédération des Alliances Françaises des Etats-Unis et membre du conseil d’administration de celle de Miami, et Hamza Djimli, coordinateur des Alliances Françaises auprès de l’ambassade, font le point sur ce réseau d’influence culturelle unique au monde.
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L’Alliance Française de La Nouvelle-Orléans, sur Jackson Avenue. © Alliance Française de La Nouvelle-Orléans

France-Amérique : L’Alliance Française est née à Paris en 1883 sous l’impulsion d’un groupe de diplomates et intellectuels, parmi lesquels Jules Verne et Louis Pasteur. Elle a alors pour objectif la « propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger » et se répand très vite, en Tunisie, en Inde et jusqu’aux Etats-Unis, où la première Alliance voit le jour à San Francisco en 1889. Comment expliquez-vous un tel engouement ?

Isabelle Leroux : Il y a toujours eu une très bonne entente entre la France et les Etats-Unis, ce n’est plus à prouver. Les Américains sont très francophiles, avec un grand intérêt et un profond respect pour l’histoire et la culture française, sa philosophie et ses auteurs. Le siècle des Lumières les a beaucoup marqué. Les Alliances Françaises couvrent aujourd’hui la quasi-totalité du territoire américain. C’est le plus grand réseau au monde en nombre de branches et en termes de revenus, et le troisième en nombre d’apprenants : 24 000 par an !

Qui sont les gens qui suivent les cours de l’Alliance Française ?

Isabelle Leroux : La plupart poussent nos portes par intérêt personnel. D’autres viennent pour le travail, d’autres encore pour apprendre la langue de leur conjoint. L’âge varie énormément. Nous accueillons de plus en plus de jeunes – c’est une bonne nouvelle ! – même si notre cœur de cible reste une population adulte et cultivée, qui a les moyens de voyager et aime la France. Le profil de nos apprenants dépend beaucoup des horaires. En journée, nous accueillons des gens qui ont du temps, des retraités par exemple, et au moment du déjeuner et le soir, des gens qui travaillent. L’ensemble de ces profils se retrouvent lors de nos évènements culturels.

Hamza Djimli : Les certifications et examens de français, qui permettent par exemple aux étudiants américains de poursuivre leurs études en France, aident les Alliances Françaises à toucher un public plus jeune.

On voit dans le documentaire d’Antoine Rivière que le français représente un atout professionnel, « un plus sur le CV », que ce soit en Inde, en Argentine ou à Madagascar. Est-ce aussi vrai aux Etats-Unis ?

Hamza Djimli : Tout à fait, puisque le français est la troisième langue la plus demandée sur le marché américain du travail. Nous proposons d’ailleurs une formation au français professionnel destinée aux professeurs, qui connait un grand succès. Elle permet aux Alliances de répondre aux demandes de leurs apprenants qui ont besoin du français dans leur activité, et leur donne aussi la possibilité de proposer des classes aux entreprises américaines qui sont en relation avec la France.

Le réseau des Alliances Françaises dans le monde. © Flair Production

On taxe souvent la culture française aux Etats-Unis d’être trop élitiste, trop tournée vers le passé. Comment l’Alliance Française peut-elle combattre ce cliché et rendre son offre plus accessible ?

Isabelle Leroux : Je ne pense pas que ce soit un obstacle. C’est vrai que le programme de la Fédération peut être exigeant, avec par exemple une conférence de l’Académicien Antoine Compagnon sur le thème « Proust contre Colette ». Il existe un public pour ces sujets aux Etats-Unis. En parallèle, nous avons présenté le livre de Sylvie Bigar, Cassoulet Confessions ! A partir de cette recette populaire, l’autrice accomplit un parcours initiatique dans le sud-ouest de la France. Nous avons aussi organisé un cycle en hommage au réalisateur Jean-Pierre Melville, avec la projection de quatre films suivis d’une conversation avec ses neveux. Nous alternons les sujets exigeants et les sujets plus grand public. Il faut satisfaire toutes les niches.

Quels conseils donneriez-vous aux petites Alliances Françaises, avec moins de moyens ou qui n’ont pas forcément la chance d’être situées dans une grande ville francophile ?

Hamza Djimli : Je leur conseillerais d’abord de sécuriser leur organisation. Les Alliances Françaises reposent pour beaucoup sur le bénévolat et l’investissement personnel des membres du conseil d’administration et du président, un modèle assez fragile. Il faut aussi assurer la succession, renouveler le conseil et définir une stratégie pluriannuelle pour envisager l’avenir. Mon deuxième conseil serait de ne pas négliger les évènements culturels, qui permettent de renforcer le lien social entre les membres. Le plus grand atout de chaque Alliance, c’est de pouvoir fédérer des personnes qui n’auraient pas l’occasion de se rencontrer au quotidien, des personnes aux profils variés, que ce soit sur le plan culturel, économique ou social. Ce pouvoir fédérateur local est très fort. Il a d’ailleurs fait l’objet de beaucoup d’interrogations durant la pandémie : le passage en ligne allait-il modifier l’ADN des Alliances Françaises et leur mission socio-culturelle ?

Isabelle Leroux : Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’ancrage local. Je l’ai encore constaté en octobre, lors de la convention annuelle des Alliance américaines, qui s’est tenue à Atlanta. Certaines Alliances Françaises parmi les plus petites ont une programmation culturelle impressionnante et organisent parfois même de belles levées de fonds. Maintenant, je ne vais pas brosser un panorama idyllique. Je l’ai dit dans mon discours d’introduction : les défis sont là et ils sont nombreux.

Quels sont les grands défis actuels ?

Isabelle Leroux : Le premier défi pour les plus petites Alliances, c’est l’enseignement. C’est compliqué de mettre en place un programme rigoureux pour un nombre restreint d’intéressés. Nous avons aussi du mal à recruter des professeurs de français. Et nous savons que nous allons être confrontés à l’intelligence artificielle – nous préparons une série de tables rondes sur le sujet. Pendant la pandémie, nous avons prouvé notre résilience et notre capacité à réagir vite en mettant en place avec succès des cours et des évènements en ligne ; à nous de faire de même avec l’IA et les nouvelles technologies d’e-learning. Utilisés à bon escient, ces outils présentent des avantages. Ensuite, chaque Alliance Française est une entité économique indépendante, une petite entreprise avec des salaires à verser et des factures à payer, encadrée par des bénévoles investis. Certaines ont des problèmes de locaux, de loyers qui augmentent ou encore d’adhérents impactés par la crise… On ne s’inscrit pas à un cours de français si on ne peut pas remplir son frigo. Mais c’est un réseau dynamique et en dépit de ces défis économiques, la plupart des Alliances aux Etats-Unis sont profitables.

De nouvelles Alliances Françaises ont-elles vu le jour aux Etats-Unis récemment ?

Hamza Djimli : La dernière créée est celle de Reno, dans le Nevada. Elle existait déjà dans les années 1960 à 1980 et a été réactivée en décembre 2022. Nous avons aussi reçu des demandes d’information émanant du Massachusetts, de l’Arkansas, du Wyoming ou du Montana, un Etat qui attire de plus en plus de résidents de San Francisco et de Seattle. Mais ce n’est pas une course au nombre. La Coordination nationale et la Fédération accompagnent les Alliances sur plusieurs points, comme l’organisation et l’animation des cours de français, la conception de la programmation culturelle, les sessions d’examen ou la gestion des locaux. Par ailleurs, la Fédération organise des webinaires internes sur les ressources humaines, la diversité, comment retenir ses professeurs ou comment créer un ciné-club avec succès, mais c’est difficile de développer un réseau aussi hétérogène et disparate. Nous encourageons aujourd’hui les rapprochements. Denver a ainsi un satellite à Boulder, Atlanta à Roswell et New York à Montclair, dans le New Jersey.

Le siège de l’Alliance Française, à Paris. © Flair Production

Certains critiques estiment que la France a perdu de son rayonnement. Qu’en pensez-vous ?

Hamza Djimli : J’ai du mal avec ce terme, qui nous ramène à l’empire colonial. Je parlerais plutôt d’influences au pluriel. Dans la coopération, nous considérons que les deux pays s’influencent mutuellement, quel que soit le pays. Nous nous orientons aujourd’hui vers le soft power, une spécialité française. Quel autre pays dispose d’un réseau culturel aussi développé et présent aux quatre coins du monde ? Je ne dirais pas que la France perd de l’influence, pas sur le plan culturel en tout cas. Le programme de la Villa Albertine en est la preuve. L’idée de recréer la Villa Médicis de Rome et d’installer des artistes, des créateurs ou des chercheurs dans dix villes américaines est extraordinaire. Sur place, les Alliances Françaises ont la chance d’être elles aussi en contact avec les résidents et de pouvoir organiser des conférences en partenariat avec les consulats et les services culturels de l’ambassade, par exemple. Elle rayonne peut-être différemment, mais la France est toujours bien présente et appréciée.

Au-delà de la France, l’Alliance Française fait aujourd’hui la promotion des cultures francophones dans leur ensemble. Comment s’est opérée cette transition ?

Isabelle Leroux : Nous établissons des partenariats avec le Québec, l’Afrique ou les Alliances Françaises des Caraïbes, et proposons des évènements spéciaux lors du mois de la francophonie, en mars. En octobre dernier, nous avons organisé une discussion avec l’artiste congolais Francklin Mbungu, qui exposait son travail dans une galerie de Washington. Nous essayons d’être le plus représentatif possible.

Hamza Djimli : Beaucoup d’Alliances s’appuient sur les communautés francophones locales. C’est le cas par exemple de Houston, où vit la plus grande diaspora vietnamienne en dehors du Vietnam, ou de Miami, qui a une forte influence haïtienne.

Le linguiste Bernard Cerquiglini, qui est interviewé dans le documentaire, évoque « l’esprit Alliance Française ». Comment définiriez-vous cet esprit ?

Isabelle Leroux : Des valeurs humanistes. C’est le point qui ressort du congrès des 140 ans de l’Alliance Française de cet été. Je pourrais aussi citer la qualité de notre enseignement, la diversité de nos programmes culturels, la chaleur de l’accueil ou même les crêpes ! C’est ce qui fait l’Alliance Française : on ne rentre pas chez soi à l’issue d’une conférence, mais on se retrouve autour d’un verre pour poursuivre la conversation. Nous proposons d’apprendre le français, mais aussi de le pratiquer et de le vivre au travers de nos évènements. Une Alliance, c’est un petit morceau de France.

Hamza Djimli : L’émancipation à travers la culture et l’éducation. Je travaille souvent à la bibliothèque de l’Alliance Française de Washington et tout au long de la journée, des gens s’assoient spontanément à côté de moi et engagent la conversation. Ce sont toujours des personnes très différentes. J’adore cet aspect social et humaniste !


Alliance(s) Française(s) est actuellement disponible sur TV5MONDEplus.

Le documentaire sera aussi diffusé à l’ambassade de France à Washington le 20 novembre.