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« On a toujours besoin de nouveaux mots parce que le monde change »

Pour sa huitième édition, la French-American Foundation à Paris a décerné son Translation Prize 2021 à Santiago Artozqui pour sa traduction de Pourquoi l’Amérique de Matthew Baker. Ce recueil de nouvelles a connu un succès retentissant des deux côtés de l’Atlantique et constitue le premier ouvrage de l’auteur à être traduit en français. Pour l’occasion, France-Amérique a rencontré les deux lauréats.
George Catlin, Buffalo Bull Grazing – no. 2, 1844. © Smithsonian American Art Museum

France-Amérique : Pourquoi l’Amérique est un recueil de treize nouvelles se déroulant dans un futur proche. Comment avez-vous eu cette idée ?

Matthew Baker : La question de la dystopie par rapport à l’utopie me fascine, car les êtres humains sont si divers sur le plan idéologique et philosophique. Certaines nouvelles se déroulent dans une dystopie et tout le monde la vit comme telle. Mais il y a d’autres histoires qui se déroulent dans des sociétés que la plupart des personnages vivent comme une utopie. J’ai donc voulu suivre dans ces mondes un ou deux personnages qui, quel que soit le bonheur des autres, veulent tout brûler.

Pourquoi écrivez-vous des nouvelles sur les Etats-Unis ? Est-ce parce que ce pays vous semble plus fragmenté que jamais ?

M.B. : J’ai commencé à travailler sur ces histoires bien avant d’avoir le concept du livre dans son ensemble, ce n’était donc pas une démarche délibérée. Mais j’aime l’idée d’une histoire plus vaste racontée à travers ces morceaux à la fois connectés et séparés. Je suppose que c’est un peu la structure d’un pays composé de petits états ou régions, à la fois indépendants et coopérant vers un objectif national plus large.

Pourtant, l’Amérique n’est-elle pas utilisée comme un prétexte pour délivrer en définitive un message plus global ?

Santiago Artozqui : Je pense que oui. La façon dont je vois ces histoires est qu’elles retiennent certains aspects de la vie américaine et les poussent à leurs limites. Quelque chose de similaire pourrait avoir lieu en France, que ce soit de manière superficielle ou en abordant des sujets tels que le racisme, la lexicographie, etc.

M.B. : Peut-être que certains détails changeraient si vous transplantiez les histoires en France, en Ecosse ou même au Brésil ! Mais l’histoire et les questions sont finalement des questions universelles avec lesquelles tous les humains luttent et vivent.

Il y a beaucoup de néologismes dans le livre : diriez-vous que le vocabulaire existant ne suffit plus ?

S.A. : Pour ma part, je dirais qu’on a toujours besoin de nouveaux mots parce que le monde change. Il y a de nouvelles choses, de nouvelles interactions et de nouvelles façons de ressentir les choses qui nécessitent de nouveaux mots. Même en dehors de la littérature, on a besoin de nouveaux mots. Peut-être que dans le livre de Matthew, nous avons tendance à les remarquer plus que d’habitude.

M.B. : Oui, j’imagine que c’était un projet délicat à traduire. Il y a beaucoup de choses qui se passent avec le langage mais aussi à travers le livre car ce sont des histoires spéculatives. Parfois, il peut même y avoir des mots qui existent déjà, mais qui sont utilisés d’une manière entièrement nouvelle ou qui reçoivent implicitement une nouvelle définition !

L’écriture a tous les éléments séduisants d’un scénario sous forme de roman. Le cinéma vous a-t-il influencé ?

S.A. : La traduction est un processus technique, mais c’est la partie la plus facile. Les images, c’est une autre histoire ! Quand je traduis, c’est une affaire de mots mais il s’agit surtout d’essayer de rendre compte des images et des références.

M.B. : Pour moi, le cinéma a eu la plus grande influence sur moi, peut-être plus que tout autre moyen de narration, en tant que personne, qu’écrivain et que conteur. Lorsque je travaille sur un texte, je pense à des images, à des plans, des séquences ou des montages distincts, de la même manière que l’on imagine un film. Et je pense que les histoires ont été très influencées par l’histoire du cinéma et des genres, de l’horreur aux westerns spaghettis.

S.A. : Et ça se voit ! Surtout quand on traduit la nouvelle Pourquoi l’Amérique. Bien sûr que c’était du western spaghetti, c’était évident !

Ce qui est logique, puisque vos nouvelles ont vont être adaptés sur le grand écran…

MB : Je pense que huit ou neuf d’entre elles ont déjà fait l’objet d’une option pour le cinéma ou la télévision. Mais on ne sait jamais vraiment ce qui va être fait dans cette industrie, parce qu’ils font si peu de choses par rapport aux options qu’ils prennent. J’espère que quelques-unes d’entre elles seront portées à l’écran sous une forme ou une autre !

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Pourquoi l’Amérique de Matthew Baker, traduit de l’anglais par Santiago Artozqui, Fayard, 2021. 558 pages, 23 euros.