Livre

Françoise Hardy, l’âge de grâce

C’est une figure de la pop française des années 1960. A 74 ans, Françoise Hardy demeure aussi une icône de la mode. Son autobiographie, dans laquelle elle se livre (presque entièrement) vient enfin d’être publiée en anglais. Elle est accompagnée de la sortie d’un nouvel album.
© Benoit Peverelli

Certains soirs dans le parc de Bagatelle, au cœur du bois de Boulogne, une grande dame élégante aux cheveux blancs, à la silhouette androgyne et vaguement familière contemple en silence les arbres aux branches immenses, au feuillage touffu et aux troncs derrière lesquels pourrait se cacher un éléphant. Il est fort probable qu’il s’agisse de Françoise Hardy, trésor national français venue là en voisine, lors de l’une de ses promenades régulières – sa manière préférée, dit-elle, d’oublier ses problèmes et autres contrariétés.

L’autobiographie de Françoise Hardy, Le Désespoir des singes… et autres bagatelles (The Despair of Monkeys and Other Trifles), a été publiée en anglais en mai dernier. Le livre est sorti en France en 2008. Or depuis 2004, la chanteuse a connu son lot de soucis. Cette année-là, elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer de la lymphe. En 2016, elle est placée dans un coma artificiel duquel elle n’avait qu’une toute petite chance de se réveiller. Elle s’en est sortie et vient de publier aux Etats-Unis Personne d’autre, que l’on peut qualifier d’album commémoratif.

Née à Paris en 1944 d’une mère célibataire qu’elle adorait et dont elle s’est occupée toute sa vie, elle parle de son enfance comme d’une « triste incarnation de l’ordre et de la discipline », ce qui irritait considérablement sa mère, qui n’incarnait ni l’une ni l’autre. Cette remarque n’est valable que pour un aspect de sa vie. Car Françoise Hardy, icône des Sixties, était à bien des égards l’exact contraire de l’époque tumultueuse et chaotique qui l’a vu s’épanouir.

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Françoise Hardy en 1967. © Patrice Picot/Gamma-Rapho

C’est à l’âge de 17 ans que débute sa carrière de chanteuse. Son ascension, de jeune fille timide souffrant le martyr lors de ses auditions au statut de star dès son premier tube, « Tous les garçons et les filles », peut être qualifiée de « fulgurante ». Dès la fin de son adolescence, elle est plongée dans un univers de sexe, de drogues et d’alcool ; mais elle ne goûtait guère le sexe sans amour (« les relations sexuelles sans amour réduisent l’autre au statut d’objet ») et se tenait à l’écart des drogues. Elle était et demeure une buveuse raisonnable et se souvient de n’avoir été ivre qu’à une ou deux occasions.

Dans ses mémoires, elle relate une anecdote amusante : Keith Richards, le guitariste des Rolling Stones, l’invita un jour chez lui à Londres. Fan inconditionnelle du groupe, Françoise s’y rendit à l’heure convenue pour découvrir que la petite amie de Keith était aussi présente. Elle décrit une scène embarrassante au cours de laquelle elle comprit les intentions du couple. Elle s’éclipsa aussi vite que possible.

Entre deux épisodes euphoriques, comme la signature de son premier long contrat avec Vogue Records, la vie de Françoise Hardy semble ponctuée par l’anxiété. La timidité et le sentiment d’insécurité de son adolescence ne l’ont jamais vraiment quittée. Sa brillante carrière fut une « prison dorée ». Critique sévère de son propre travail, elle pense que la plupart de ses prestations auraient pu être meilleures. Lorsque son premier amant, un photographe, faisait un shooting, elle était persuadée qu’il allait tomber amoureux de la femme qu’il était en train de photographier.

Il en va ainsi, tout au long de cette autobiographie candide, bien écrite et raisonnablement agaçante. Ce qui rend la lecture de ce récit agréable, c’est le ton posé et non dénué d’autodérision, qualifié par un critique d’ « humour anglais ». Que nenni ! Il s’agit plutôt d’un pessimisme français des plus élégants. En femme volontaire, Françoise Hardy a des opinions bien tranchées, qu’elle défend avec force, que ce soit la guerre en Irak, l’avortement ou les conséquences de la surpopulation. Elle échappa à l’agitation des événements de Mai 68. Elle avait été envoyée par sa maison de disques en Corse, « en attendant que le calme fut restauré ».

Son autobiographie est l’occasion de se prononcer sur ce moment clé de l’histoire de France du XXe siècle : « J’ai toujours ressenti une méfiance instinctive vis-à-vis des mouvements étudiants, où l’on trouve souvent des agitateurs d’extrême gauche… Mai 68 mit en lumière une évolution collective dont le processus, amorcé depuis bien longtemps, arrivait à maturité. » La même année, à l’âge de 24 ans, elle domine les classements français et britannique avec le titre « Comment te dire adieu », écrit par Serge Gainsbourg.

Son premier compagnon, le photographe français Jean-Marie Périer, la photographia pour des magazines de mode. William Klein et Richard Avedon en firent de même pour Vogue et pour bien d’autres publications. Elle fit si souvent la une de Paris Match qu’elle devint la cover girl française des années 1960. Françoise Hardy a récemment confessé au New York Times qu’elle était parfaitement consciente qu’à l’époque, la presse étrangère s’intéressait davantage à ses tenues qu’à ses chansons. André Courrèges et Paco Rabanne furent ses couturiers fétiches. Mais le Smoking d’Yves Saint-Laurent fut sa tenue préférée.

Bien qu’elle n’ait jamais vraiment fréquenté la bohème intello de la Rive gauche, on l’associa à l’existentialisme romantique de l’époque. En 1966, elle fit une brève apparition dans Masculin Féminin de Jean-Luc Godard, film majeur de la Nouvelle Vague. Sa notoriété croissante attira l’attention de Mick Jagger, qui déclara lors d’une interview qu’elle incarnait son idéal féminin, et de Bob Dylan, qui lui écrivit un poème beat sur la pochette de son quatrième album paru en 1964, Another Side of Bob Dylan – « pour Françoise Hardy/sur les quais de Seine/l’ombre immense/de Notre-Dame/cherche et attrape mon pied/ et les étudiants de la Sorbonne/tourbillonnent sur leurs fragiles bicyclettes… »

En 1981, elle épousa l’auteur-compositeur-interprète et comédien, Jacques Dutronc, après une longue période au cours de laquelle, comme on pouvait s’y attendre, ils se tournèrent autour s’observant tels deux lutteurs sumo, catégorie poids plumes, aucun d’eux capable d’accomplir le pas décisif. En Europe, ils formaient un couple star et de leur union est né un fils, Thomas, lui aussi auteur-compositeur-interprète. Dans ce mariage, Dutronc est resté le playboy chéri du public hexagonal et, bien entendu, une source intarissable d’angoisses pour sa femme, qui apprit la liaison de son époux avec l’actrice Romy Schneider, avec qui il tournait un film.

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Françoise Hardy à Amsterdam, en 1969. © Joost Evers/Dutch National Archives

Françoise Hardy se nourrit de ses éternels tourments intimes dans les chansons et albums qu’elle composa et interpréta dans un style exquis et avec succès – de « L’amour s’en va » dans les années 1960, à La Question, un album plus mûr, sorti en 1971 ou Clair-obscur en 2000. Cependant, à l’apogée de sa gloire, elle reste la groupie d’autres interprètes. Alors qu’elle faisait un jour du shopping à Londres, elle tomba par hasard sur Mick Jagger. Les deux se complimentèrent, avant de poursuivre leur chemin. Mais elle se percevait comme quelqu’un ayant « vu la lumière en se demandant si elle allait jamais s’en remettre ». Sa rencontre avec les Everly Brothers, idoles de son enfance, fut l’apothéose de l’un de ses voyages à New York. Chantant en français, en italien, en allemand et en anglais, la beauté timide jeta un sort sur bon nombre de ses contemporains. Serge Gainsbourg, Jacques Brel et – bien sûr – son ami Johnny Hallyday étaient des admirateurs du premier cercle.

Les mémoires de Françoise Hardy adoptent une voix beaucoup plus sombre lorsqu’elle évoque, par exemple, l’euthanasie de sa mère adorée et la schizophrénie d’une sœur qu’elle ne put jamais aimer – pour ne rien dire du meurtre de son père par un jeune amant. Aujourd’hui, miraculeusement remise et divorcée à l’amiable de son mari, elle habite un deux pièces dans le XVIe arrondissement. Elle écoute de la musique classique, écrit et lit les ouvrages de ses auteurs préférés, dont certains sont devenus ses amis, comme le sulfureux Michel Houellebecq. Sans oublier, évidemment, ses promenades dans le Parc de Bagatelle.


Article publié dans le numéro de juillet 2018 de France-AmériqueS’abonner au magazine.

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The Despair of Monkeys and Other Trifles de Françoise Hardy, traduit du français par Jon E. Graham, Feral House, 2018. 311 pages, 24,95 dollars.